Entretien exclusif pour Culturius avec la princesse Amélie de Bourbon Parme en ce mois de novembre 2024 à Paris au café Murat à propos de son dernier ouvrage « L’Ascension », le deuxième tome de la trilogie « Les trafiquants d’éternité ».

Illustration : La princesse Amélie de Bourbon-Parme © Photo Francesca Mantovani / Gallimard

Romain Janclaes : L’écriture d’une trilogie demande une vision d’ensemble. Aviez-vous dès le début une idée précise du développement des trois tomes, ou les intrigues ont-elles évolué au fil de l’écriture ?

Amélie de Bourbon-Parme : Dès le début j’ai eu envie de raconter la vie d’Alessandro Farnèse sous la forme d’un roman historique, un roman très documenté avec une exigence de véracité des fait, des dates, des personnages… En revanche le projet initial était d’une telle ampleur que j’ai dû négocier avec mon éditeur de scinder ce roman en trois actes. Cette séparation s’est faite très naturellement à la fin du premier tome (L’Ambition) qui coïncide avec la chute de César Borgia, un événement qui marque une étape importante dans la carrière d’Alessandro. Le deuxième tome (L’Ascension) commence peu après l’élection de Jules II et se termine par l’élection d’Alessandro Farnese au pontificat.

« L’Ambition », le premier tome des « Trafiquants d’Éternité », sorti en 2023 © Gallimard

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’évolution des personnages principaux dans ce second tome ?

Alessandro Farnese est le personnage central, le héros autour duquel s’organise toute l’intrigue qui se déroule donc de 1503 à 1534. Dans cette deuxième partie, il va être de plus en plus sûr de sa vocation, du destin auquel il se sent appelé, à savoir devenir Pape. Sa personnalité se construit et sa dimension spirituelle s’affermit pendant ces trente années. Il va également confirmer son ancrage à Rome en faisant construire le fameux Palais Farnèse (actuelle ambassade de France).

Le Palais Farnèse construit par Alessandro Farnèse, aujourd’hui Ambassade de France © Christophe Rouffio / ELLE

C’est véritablement un point d’orgue de sa carrière qui va conforter sa position de « papabile » puisqu’il avait décidé de jouer la carte «  romaine » pour s’imposer au sein du Sacré Collège composé d’une majorité de représentants des cours étrangères et princières italiennes.  Alessandro va également se constituer une cour d’environ trois cents personnes, composée d’artistes, d’intellectuels et d’érudits. Il devient également un père de famille  avisé et prudent qui va se révéler un fin stratège. Alessandro nouera pour ses enfants de prestigieuses alliances matrimoniales prestigieuses afin d’assurer plus qu’une continuité dynastique, une véritable ascension aristocratique.

Amélie de Bourbon-Parme, d’où vous vient cette fascination pour votre ancêtre Alessandro Farnèse et est-ce que le fait d’être l’une de ses descendantes a été un plus pour mener ce projet romanesque ?

J’ai choisi d’écrire à son sujet d’abord parce que je trouve qu’Alessandro Farnese est assez méconnu dans l’histoire de l’Italie et de l’Europe en général. C’était ma façon de rétablir une sorte d’injustice historique envers cet homme qui a joué un rôle majeur dans l’histoire de l’Église et de la papauté puisque c’est lui qui a convoqué le concile de trente. Il a répondu aux critiques soulevées par les Protestants et s’est imposée comme une figure emblématique de la Contre-Réforme. Je voulais montrer que son ambition personnelle en tant que chef de famille, amoureux d’une seule et unique femme (Silvia Ruffini) toute sa vie, n’était pas contradictoire avec sa trajectoire ecclésiastique. C’est parce qu’il a été un homme assez extraordinaire dans sa vie privée avec une grande fidélité et une rectitude dans ses projets qu’il est arrivé au sommet.

Jules II ordonnant les travaux du Vatican et de Saint Pierre à Bramante, Michel-Ange et Raphaël. Par Horace Vernet, 1827 © Musée du Louvre

Mais c’est le fait qu’il soit un ancêtre direct qui a attiré mon attention. Je voulais comprendre comment une telle ascendance était possible. Au passage, j’ai découvert un personnage extraordinaire et j’ai voulu le faire connaître.

On peut supposer que cette époque vous fascine mais je voudrais savoir ce qui vous intéresse plus particulièrement dans ce début du XVIe siècle italien ?

En effet,  la Renaissance est une période qui me passionne car c’est une époque de transition entre le monde ancien médiéval et l’époque moderne dont nous sommes les héritiers très directs. C’est de cette période qu’émerge l’individu tel qu’on le connaît aujourd’hui : avec un esprit critique et une faculté de défendre sa capacité de penser et d’agir avec plus de liberté et d’assurance qu’il ne l’a jamais fait. Le paysage intellectuel, artistique et spirituel qui se met en place à cette époque est très proche de celui dans lequel on vit aujourd’hui. Malgré les cinq siècles qui nous séparent il y a une grande modernité dans cette période-là.

La princesse Amélie de Bourbon-Parme, une écriture élégante et précise, une intrigue passionnante © Photo Francesca Mantovani / Gallimard

Amélie de Bourbon-Parme, quel regard portez-vous sur les indulgences, vous écrivez un moment cette phrase très forte « le pardon était à vendre » quel est votre sentiment à cet égard ?

C’est tout le thème de cette trilogie intitulée « Les trafiquants d’éternité », je voulais rendre compréhensible comment l’Église, à cette époque, s’était éloignée de sa mission première qui était de prêcher l’Évangile, de répandre la parole du Christ, obéissant à une logique politique et guerrière. L’Église, en tant que puissance temporelle, avait besoin de restaurer son autorité sur ses États mais aussi son prestige. La restauration et la décoration des appartements du Vatican, la reconstruction de la basilique Saint-Pierre s’inscrivent dans cette perspective.

La coupole de la basilique Saint-Pierre, un immense chantier débuté à l’époque d’Alessandro Farnèse, et qui nécessitait d’immenses fonds © Wikipedia Commons

Elle était engagée dans des luttes continuelles contre les princes et les seigneurs qui lui disputaient le pouvoir sur les territoires autour de Rome.  Pour relever ces défis, elle avait un besoin continuel d’argent.  Et pour y répondre, elle a vendu des indulgences : c’est-à-dire le pardon, l’idée étant de passer moins de temps au Purgatoire en échange de sommes d’argent plus ou moins conséquentes. Cette sorte de marchandage, élevé au rang de système, surtout en Allemagne, a profondément choqué Luther et l’a amené à écrire ses fameuses  thèses parues en 1517.

Au regard de l’évolution actuelle de l’Église quel regard portez-vous sur le célibat des prêtres quand on sait qu’Alessandro était marié et fidèle à son épouse Silvia et que cette dernière lui a été d’un précieux soutien tout au long de son existence?

Dès le XIe siècle, le mariage et le concubinage des prêtres est interdit. Donc Alessandro n’était pas marié ! Mais au XVe et XVIe siècle, les hommes entraient dans l’Église surtout pour faire carrière sans avoir nécessairement de vocation. Peu nombreux étaient ceux qui renonçaient à avoir une femme, des enfants, surtout avant de recevoir les ordres majeurs. Mais la Réforme protestante et le besoin de purification des mœurs religieuses ont mis l’Église face à ses contradictions. Alessandro était à la charnière entre ces deux mentalités.

« L’Ascension », le tome II des « Trafiquants d’Éternité », vient de sortir © Gallimard

Son amour et sa relation avec Sylvia vont donc être à la fois des obstacles à son ascension mais également des forces positives. Elle l’a préservé d’influences néfastes et elle lui a apporté une stabilité morale et affective, le protégeant contre les dérives de cette époque. C’était important pour moi de montrer comment, de façon peut-être un peu paradoxale, cette femme a été l’instrument de son ascension ecclésiastique et dynastique.

Que pensez-vous que les lecteurs retiennent de L’Ascension ? Y a-t-il un message ou une réflexion que vous espérez voir résonner en eux ?

J’aimerais qu’ils perçoivent combien le succès d’une carrière résulte d’une grande volonté, d’une ambition insatiable mais aussi d’une part de chance et d’une capacité à comprendre son époque. C’est cela qui façonne un destin.

Amélie de Bourbon-Parme, Laure de Dampierre et notre journaliste Romain Janclaes © Photo Romain Janclaes

Amélie de Bourbon-Parme, que pouvez-vous déjà nous dire sur le troisième et dernier tome des « Trafiquants d’Éternité » ? Avez-vous déjà une vision précise de la conclusion de la trilogie ?

Le troisième tome (La transmission) va porter sur le pontificat d’Alessandro qui a pris le nom de Paul III en référence à Paul, l’apôtre qui s’est converti sur le chemin de Damas. Alessandro souhaite montrer qu’il a été touché par la révélation et souhaite réévangéliser les fidèles qui avaient été quelque peu échaudés par l’appauvrissement spirituel de l‘Église à l’époque des Borgia et des Médicis. La trilogie se termine par sa mort, mais l’histoire continue avec ses enfants et ses petits-enfants, c’est tout l’enjeu de l’héritage qu’il va leur transmettre. Mais il est difficile de léguer ce que l’on a de plus cher.

« L’Ascension », par Amélie de Bourbon-Parme, 2024, 23 €, chez Gallimard.


Nous avions déjà interviewé Amélie de Bourbon-Parme en 2023 pour le premier tome de sa trilogie, retrouvez cet entretien ici.