Exposition « Hildegarde von Bingen … et une femme créa la bière »
La maison des mégalithes de Wéris propose jusqu’au 1er novembre 2022, une exposition sur Hildegarde von Bingen. Femme d’une intelligence exceptionnelle, femme d’influence en plein Moyen-âge, ses travaux dans divers domaines trouvent encore un écho aujourd’hui, mais c’est sa contribution à l’amélioration de la bière qui est mise en avant ici.
Une collaboration entre la maison des mégalithes et l’Avouerie d’Anthisnes
L’exposition sur Hildegarde von Bingen est née de la passion d’un des guides du « musée de la bière et du pikèt » situé dans l’Avouerie d’Anthisnes. Frédéric Schenk, insatiable curieux, a découvert le rôle fondamental d’Hildegarde dans l’amélioration de la cervoise au 12ème siècle. Mais il a rapidement compris l’importance de la moniale dans l’histoire du Moyen-âge et dans l’histoire de l’Eglise. Il a donc conçu les panneaux de cette exposition, qui synthétise superbement les résultats de ses recherches. La conservatrice de la maison des mégalithes, Aubrée Godefroid, en scientifique avertie, lui a ouvert les portes et nous permet jusqu’au 1er novembre, de partir à la découverte d’une femme d’exception.
Le 12ème siècle, une époque de bouleversements et d’améliorations en Europe
Hildegarde n’aurait pas pu exister dans un autre siècle du Moyen-âge que le 12ème. L’Europe connaît à ce moment-là de profonds bouleversements, générés par les croisades du siècle précédent, mais pas que … Le niveau de vie s’améliore nettement, les ressources alimentaires augmentent grâce à des améliorations techniques comme la charrue, le collier d’épaule, qui permettent un meilleur rendement agricole. De même, les raids vikings et magyars cessent peu à peu. A cette époque d’ailleurs, on assiste à un véritable engouement pour la vie religieuse, surtout chez les femmes. Cela était peut-être dû au départ de nombreux hommes pour les croisades, ce qui laissait les femmes dans des conditions compliquées. Il valait donc mieux se mettre sous la protection de l’Eglise.
Nous sommes en pleine renaissance économique et culturelle, et l’Eglise se réforme en profondeur. De nouveaux ordres monastiques sont créés, cependant, les règles des monastères de femmes ne sont pas encore très bien établies, ni très rigides, contrairement aux monastères d’hommes, ce qui a permis à Hildegarde von Bingen de bénéficier d’une liberté qui n’était pas possible avant, et qui ne le sera plus par la suite.
D’où vient Hildegarde ?
Hildegarde est née en 1098 dans une famille de la noblesse de la Hesse Rhénane. Promise à l’état religieux dès ses 8 ans, elle a prononcé ses vœux vers 14-15 ans. D’abord prieure, elle est devenue abbesse de l’abbaye de Disibodenberg en 1136.
Elle fondera par la suite un autre monastère, l’abbaye de Rupertsberg, celle de Disibodenberg étant au complet, vu l’affluence de moniales, attirées par la réputation de centre de connaissances de celle-ci.
Une femme aux multiples talents
On peut qualifier Hildegarde de « touche-à-tout de génie ». Mais si le terme touche-à-tout peut révéler parfois une certaine superficialité, ce n’a pas du tout été le cas d’Hildegarde dont le savoir était réellement encyclopédique. Durant toute sa vie, elle a collationné ses diverses connaissances et a laissé de nombreux ouvrages encore consultés de nos jours.
Elle a été une très grande mystique. Dès l’enfance, elle a eu des visions dont elle a parlé à son confesseur Volmar. Celui-ci l’a encouragée à en parler, et elle finira par les rédiger avec l’appui et même les encouragements de Saint-Benoît de Clairvaux, et du pape Eugène III. Ses œuvres sont un mélange de théologie et de philosophie naturelle. De 1141 à 1151, elle a décrit 26 visions dans le « Sciavias » (Sache les voies de Dieu). Elle utilisera également ses visions dans ses prédications. Ses écrits et sermons lui conféreront une grande influence, et elle conseillera des personnages aussi importants que l’empereur du Saint-Empire germanique, plusieurs papes et le comte de Flandres.
Quoi de plus étonnant alors qu’Hildegarde, « mystique flamboyante » soit reconnue comme une des 4 femmes docteur de l’Eglise par Benoît XVI, qui a fait également fait aboutir la procédure en béatification d’Hildegarde, pourtant lancée dès sa mort en 1179.
La musique soigne l’âme humaine
Hildegarde a également écrit des poèmes et composé des œuvres musicales qui plaisent encore aujourd’hui. Ses compositions musicales comptent 70 chants liturgiques, elle a aussi composé un drame liturgique « le jeu des vertus ». L’ensemble musical Sequentia a d’ailleurs été disque d’or en 1994 avec l’album « Chants de l’extase ».
Femme médecin et naturopathe
Sa vision holistique et préventive de la santé trouve encore un écho chez certains médecins aujourd’hui. L’être humain est un tout, et il faut prendre soin de lui en entier si on veut lui garantir une bonne santé, elle déclare d’ailleurs que tout ce qu’il faut pour soigner l’être humain se trouve dans la nature. Ses ouvrages sont réédités et suivis par de nombreuses personnes aujourd’hui, et ce sont de véritables bibles pour des naturopathes, qui semblent pourtant ne pas suffisamment tenir compte de l’avertissement d’Hildegarde « Les médicaments décrits et montrés par Dieu peuvent guérir l’homme à moins que Dieu ne le rappelle à lui ».
Ses écrits étaient largement influencés par le savoir des médecins de l’antiquité (Galien et Hippocrate), mais aussi par les savoirs des savants musulmans, traduits dans le sud de l’Europe, et par les connaissances populaires des plantes. Hildegarde a mis un grand soin à réunir toutes les connaissances accumulées lors de ses lectures, et ses observations personnelles. Elle a rédigé un véritable inventaire du vivant. Confrontée au problème de devoir exprimer des choses qui n’existaient pas encore, elle a inventé de nombreux mots pour enrichir le latin et elle en est même venue à inventer une langue – la lingua ignota – qui est composée de 23 caractères et d’un lexique de 1000 mots qui intriguent les linguistes actuels qui l’étudient encore. Il semblerait qu’il s’agisse de la plus ancienne langue construite connue.
Et la bière dans tout ça ?
Les plus anciennes traces de boissons fermentées datent de 13.000 ans. L’eau a toujours présenté un grave danger pour la santé humaine, à cause de la prolifération de microbes. Nos ancêtres y ont remédié très tôt par l’adjonction de céréales fermentées à l’eau, réduisant ainsi sa nocivité. Le problème était que l’on ne pouvait pas conserver longtemps ces breuvages.
Lors de ses nombreuses recherches et découvertes en botanique, Hildegarde en est venue à observer que « l’amertume du houblon combat certaines fermentations nuisibles dans les boissons et permet des les conserver plus longtemps ». La description des propriétés du houblon par Hildegarde va lancer la culture de celui-ci par les moines, ce qui a transformé la cervoise médiévale. L’utilisation du houblon a permis d’augmenter de 6 mois à un an, la durée de conservation des boissons. La lupuline qu’il contient comprend des substances qui tuent ou ralentissent la croissance des microbes et bactéries.
Les arômes du houblon sont passés relativement inaperçus au temps d’Hildegarde, et chacun avait son propre mélange d’épices pour aromatiser la cervoise. Mais au XVème siècle sous l’influence du duc de Bourgogne Philippe III, le houblon est devenu la seule épice de la « bierre ». Aujourd’hui, des centaines de variétés de houblon, et autant d’associations confèrent ses saveurs et parfums originaux à la bière, et sont autant de secrets de fabrication bien gardés.
Avec une vie aussi remplie, un tempérament que rien ne semblait abattre, un franc-parler qui ne se laissait même pas intimider par les plus hauts dignitaires de son temps, Hildegarde a vécu en femme libre et épanouie. L’extrême richesse de sa vie a fait d’elle une figure de référence pour les féministes de notre époque.
L’exposition « Hildegarde von Bingen, …et une femme créa la bière » est accessible jusqu’au 1er novembre 2022 à la maison des mégalithes, place Arsène Soreil, 1 à 6940 Wéris.
L’entrée est gratuite !
Pour en savoir plus :
Table ronde sur « Le média ».
Documentaire de la chaîne « Arcana les mystères de l’histoire ».
À la recherche d’Hildegarde von Bingen, documentaire de KtoTV.
Le film « Vision » de Margarethe VonTrotta.