Fabriquer une femme : Marie Darrieussecq, figure féministe
Aujourd’hui 8 mars, faire honneur au dernier roman de Marie Darrieussecq paru chez P.O.L en ce début d’année, semblait aller de soi…
Marie Darrieussecq
Style ciselé et sec
Raconte et ose
Solange et Rose
Deux féminines facettes
Celle aux multiples conquêtes
Celle au destin sans paillettes
Deux amies
Pour la vie ?
Un roman qui dit tout
De ces tumultes flous
Qui forgeaient les femmes
Au contact des hommes
Dans les années 80
Plaisir quasi divin
Que cette lecture
Qui présage d’un futur…
Un peu d’étymologie
Fabricor, aris, ari, atum sum. Eh oui, le mot « fabriquer » en latin est un verbe passif et c’est comme si la femme n’avait pas le pouvoir de se fabriquer elle-même, mais devait passer entre les mains d’autrui : les hommes qui la modèlent, en l’occurrence dans le roman de Marie Darrieussecq.
Et oui, c’est dans la société patriarcale des années 80, que les femmes se construisent de bric et de broc, bon an mal an, avec les injections de l’époque : être libérée mais pas trop au risque de passer pour une « Marie couche toi là ». (D’ailleurs, si l’on analyse cette dernière expression qui apparaît au 17ème siècle et en 1876, dans L’Assommoir d’Emile Zola, ce n’est pas la femme qui est maîtresse de son corps, mais elle se définit par un ordre qu’on lui donne en usant de l’impératif…)
Le choix du prénom Solange
Marie Darrieussecq dans un entretien daté de 2011 à la sortie de « Clèves » (Tiens… Tiens…) nous conte l’histoire de Sainte Solange :
« Solange naquit aux environs de Bourges. Instruite par ses parents dans la loi du Seigneur, elle donna dès son plus jeune âge les marques d’une rare piété et, à l’âge de sept ans, consacra sa virginité au Seigneur. Dieu la combla tant qu’elle guérissait les malades et chassait les démons par sa seule présence. Occupée à garder les moutons de son père dans un pré du voisinage, elle occupait son temps à prier.
Un jour, l’un des fils du comte de Bourges rencontra la jeune bergère Solange et fut séduit par sa grande beauté. Par des avances et des promesses d’abord, par des menaces ensuite, il s’efforça d’obtenir qu’elle consente à devenir son épouse. Mais, fidèle à son voeu, elle repoussa ce projet. Alors le jeune homme, dans un élan de furie, l’enleva de force, la mit sur sa monture et l’entraîna avec lui dans une course folle. La jeune fille se déroba à son ravisseur et se laissa tomber à terre, au bord d’un ruisseau. C’est alors que, dans sa rage, le séducteur trancha la tête de la jeune bergère. »
Mais la jeune femme garda sa virginité ! Au péril de sa vie certes, mais ce n’est pas ce qui arrive encore à nombre de femmes encore aujourd’hui ? On décompte nombre de viols et en chacune de ces victimes c’est un bout de soi qui meure…
Etymologie bibliographique
Même si, j’avoue, je n’ai lu que le premier roman de Marie Darrieussecq : « Truismes » qui déjà revendique une approche féministe contemporaine à l’instar de Virginie Despentes, Lydie Salvayre ou encore Christine Angot, j’ai visité au travers d’interviews, quelques-uns des romans de Marie Darrieussecq où déjà Solange et/ou Rose apparaissaient : « Clèves », « Il faut beaucoup aimer les hommes ». Clèves est d’ailleurs ce petit village basque dans « Fabriquer une femme » où les deux amies et voisines Solange et Rose commencent à évoluer au début du roman.
Un mode d’emploi ?
On pourrait s’attendre à ce que Marie Darrieussecq en choisissant ce titre nous donne un mode d’emploi pour « fabriquer une femme ».
Dans son laboratoire narratif, en donnant corps d’un côté à Rose (première partie intitulé : « d’après Rose »), de l’autre à Solange (seconde partie: « selon Solange ») puis réunissant ses deux protagonistes dans une troisième partie « Ensemble », c’est un peu ce que l’autrice nous propose. Solange fille-mère à l’âge de 15 ans, Rose qui s’essaie ratage après ratage d’une drôlerie impertinente à la sexualité avec son amoureux des premiers jours, Christian. C’est ainsi que commence en effet le roman : un éclairage frontal sur l’adolescence de nos deux héroïnes. Celles-ci vont connaître une trajectoire bien différente. Quand Rose, issue d’un milieu bourgeois, se cantonne à suivre un parcours sans pas de côté du lycée à l’âge adulte où elle exercera, mère de famille, le métier de psychologue, Solange, dont la famille se réduit à un père absent et une mère plus mégère qu’aimante, n’a qu’une idée en tête : s’extraire de son milieu, s’extraire de ce village en répondant à sa vocation d’actrice.
De l’autobiographie
Oui, Marie Darrieussecq est née dans un petit village basque.
Oui, Marie Darrieussecq a fait une partie de ses études à Bordeaux puis à Paris.
Oui, Marie Darrieussecq a vécu le harcèlement de rue, ce qui l’énervait au plus haut point nous dit-elle dans l’entretien tant cela l’empêchait, alors qu’elle était, à 26 ans, en train d’écrire « Truismes », de suivre le fil de ses idées.
Oui, Marie Darrieussecq a fréquenté les boîtes de nuits gay où comme elle le dit encore dans ce même entretien.
Oui, Marie Darrieussecq est à la fois un peu Rose qui s’applique avec discipline pendant sa vie estudiantine pour devenir ensuite psychologue ; un peu Solange, celle qui sort des sentiers battus en fréquentant les boîtes de nuits gay comme dit quelques lignes plus haut, en partageant ses premiers émois avec « des » garçons et non un seul et unique à l’instar de Rose et son Christian.
Oui, Marie Darrieussecq a connu les premiers temps du sida et ne manque pas de préciser toujours dans ce même interview qu’elle a vécu la réception des résultats d’une analyse de sang avec la même angoisse que Solange.
Le jour où l’autrice apprit qu’elle n’avait pas été contaminée fut d’ailleurs décisif dans sa carrière d’autrice : il lui fallait désormais écrire à tout prix pour notre plus grand plaisir !