Falstaff, une œuvre faussement légère, une mise en scène virevoltante et des chanteurs au sommet.

Verdi avait atteint sa quatre-vingtième année quand il a composé son « Falstaff ». En 1889, il est au sommet de sa gloire, il n’a plus rien à prouver. Sa carrière est brillante, et il arrive au crépuscule d’une vie foisonnante. Il commencera Falstaff « pour passer le temps » mais cette œuvre deviendra un testament qui condensera toutes les qualités de ses œuvres, et s’avancera vers une nouvelle tendance dans l’écriture musicale.

C’est dans la plaine du Pô que Guiseppe Verdi a vu le jour en 1813. Ses parents sont aubergistes et le petit garçon a été très tôt en contact avec des musiciens ambulants. Très vite ses parents encouragent sa passion pour la musique. Aidé par un don indéniable, et soutenu par son beau-père, Verdi fait ses premiers pas dans l’arène musicale milanaise. Les débuts de sa vie professionnelle sont compliqués et surtout assombris par la perte de son épouse et de ses deux enfants.  Il se relève et travaille. La gloire, il la rencontre en 1842 grâce à Nabucco. Elle ne le quittera plus. 

F. BENITEZ © J Berger_ORW-Liège

Verdi compose, compose, compose, au point de se comparer à un galérien.  Par la suite, il retourne dans les terres de son enfance où il achète un domaine et où il s’installe avec sa nouvelle épouse, Guiseppina Strepponi. Sa carrière s’internationalise, et il partage son temps entre composition et voyages, jusqu’à sa mort en 1901. Si Verdi n’a jamais fait véritablement de politique, il y touchera quand même, et surtout, il est devenu le symbole du rassemblement de la nation italienne, ce qu’on appelle le Risorgimento.

« Falstaff » est le dernier opéra de Verdi. Il revient sur un genre auquel il n’est guère habitué. Il s’est essayé à la comédie une seule fois, avec « Un giorno di regno, detto anche il finito Stanislao », créé en 1840. Cette œuvre s’est avérée être un échec relatif.

A la fin de sa vie, le compositeur est devenu une légende vivante, il n’a plus rien à prouver donc, mais … il peut encore surprendre !

G. PELLIGRA – F. BENITEZ © J Berger_ORW-Liège

« Après avoir massacré sans relâche tant de héros et d’héroïnes, j’ai enfin le droit de rire un peu »

Verdi se met donc en quête d’une nouvelle source, pour une nouvelle œuvre. Et pendant ce temps, son librettiste Arrigo Boito, se lance dans l’écriture d’un livret centré sur un personnage haut en couleur qui « squatte » trois pièces du grand Shakespeare. Falstaff est déjà apparu dans les parties I et II d’Henry IV, ainsi que dans « The Merry Wives of Windsor » ou « Les Joyeuses commères de Windsor ». Boito s’inspire aussi de « Il Pecorone » de Giovanni Fiorentino, et du « Decameron » de Boccace. En recevant le livret, Verdi est aux anges. « Nul n’aurait pu faire mieux que vous », écrit-il au poète. Même si son âge et sa santé semblent tempérer son enthousiasme, Verdi se met à la tâche.  « Falstaff » sera créé le 8 février 1893 à la Scala de Milan, et clôturera la brillante carrière de Verdi en apothéose.

C. LOPEZ-MORENO – P. SPAGNOLI © J Berger_ORW-Liège

Testament musical

Pour son adieu au théâtre, Verdi a composé une œuvre équilibrée, on y trouve toutes les qualités présentes dans les œuvres de Verdi, mais ici, les voix sont considérées comme de vrais instruments de musique. Souvent le chanteur n’a aucun soutien, la musique suit le texte, non dans son rythme, mais dans son sens. Elle rit avec lui, accentue les drames, les tensions, titille les zygomatiques, irradie de tendresse envers les deux amoureux et ensorcelle lors de la scène de féérie du dernier acte. Enfin, l’opéra se termine en une fugue magistrale, exercice académique faussement simple, où chaque personnage expose sa certitude d’être celui qui « rira bien qui rira le dernier ».

P. SPAGNOLI – C. LOPEZ MORENO © J Berger_ORW-Liège

L’histoire de Falstaff

Sir John Falstaff, chevalier jouisseur et enrobé, amateur de bonne chair, de bons vins et de femmes se retrouve bien dépité car son manque d’argent ne lui permet plus de mener le train de vie auquel il aspire. Pour retrouver une aisance pécuniaire, il décide de séduire deux femmes fortunées et leur écrit la même lettre, ne changeant que le nom au début. L’initiative n’est pas heureuse, les deux femmes Mrs Alice Ford et Mrs Meg Page étant amies. Elles découvrent le pot-aux-roses très rapidement, et décident de se venger. Elles élaborent un plan pour ridiculiser Falstaff.

D’un autre côté, le mari d’Alice est consumé de jalousie car il est persuadé que sa femme le trompe. Avec les deux acolytes de Falstaff, virés un peu avant et un jeune noble, Fenton, ils décident de prendre Alice en flagrant délit de tromperie avec Falstaff.

S’ensuivent une série de quiproquos plus drôles les uns que les autres qui aboutiront à la fin du premier acte par la chute du pauvre Falstaff au fond d’un cours d’eau.

Ensemble – P. SPAGNOLI © J Berger_ORW-Liège

Pas encore assez échaudé par sa mésaventure, Sir John replonge dans un autre piège tendu par Misstress Quickly, à l’instigation des deux jeunes femmes, ainsi que de Nannetta, la fille d’Alice. Nannetta est amoureuse d’un jeune gentilhomme, Fenton, mais son père veut lui faire épouser le Dr Caius, qui au début de l’opéra a été dépouillé par Falstaff et ses deux valets Pistola et Bardolfo.  Tous les comparses ont prévu de faire une belle frayeur à Falstaff en lui faisant croire qu’il est entouré de créatures magiques de la forêt.  Alice profite de la situation pour à la fois faire payer à Ford sa jalousie, et permettre à sa fille d’épouser son amoureux, le beau Fenton. Au terme d’un joyeux charivari où chacun brutalise Falstaff et où on se réconcilie en unissant la reine des fées voilée (qui a été échangée par Bardolfo par Alice) et de Dr Caius. Alice en profite alors pour demander à Ford de bénir un autre couple qui s’avère être en réalité Nannetta et Fenton. Bons joueurs, Ford accepte le mariage et Falstaff prend avec panache le mauvais tour dont il a été la victime.

S. PIAZZOLA – A. MAREV – G. PELLIGRA – P. BOLLEIRE – P. DERHET © J Berger_ORW-Liège

Mise en scène symbolique et enjouée

L’équipe de mise en scène se compose de Jacopo Spirei (mise en scène), Nikolaus Webern (décors), Silvia Aymonino (costumes) et Fiammetta Baldiserri (lumières). L’intrigue de Falstaff se décline ici dans un décor années 50, les maisons sont de guingois, exprimant à quel point le monde et les certitudes des personnages peuvent se trouver mis à mal. La légèreté et l’humour sont présents partout, se confrontant à un Falstaff irritant, grotesque, naïf, jouisseur, prétentieux, et pourtant avec des fulgurances d’honnêteté, de fraîcheur, de dérision et d’humour. L’on comprend pourquoi il est le personnage principal de l’œuvre. Ce rôle est dignement mis à l’honneur par la voix de baryton de Pietro Spagnoli. Il donne à son personnage toute la complexité, la puissance et les fêlures nécessaires au rôle. Sa technique est impeccable et ses intonations se reflètent dans un jeu irrésistible. La puissance de sa voix est irréprochable. Il est un « Falstaff » détonnant » et des plus convaincant, dont la voix porte loin les mésaventures du pauvre John.

AM CHIURI – A. MAREV – P. BOLLEIRE – P. DERHET – MA BOUCHARD-LESIEUR – C. LOPEZ MORENO – P. SPAGNOLI – F. BENITEZ – G. PELLIGRA – S. PIAZZOLA © J Berger_ORW-Liège

Les « commères de Windsor » ont offert de nombreux ensemble absolument parfait et très agréables. La communion des différentes voix est un régal pour l’oreille. Carolina Lopez Moreno est une Alice Ford pétillante, séduisante, vive, une femme forte, et cela s’exprime tout au long de ses airs au phrasé élégant aux aigus savamment maîtrisés. Anna-Maria Chiuri, que les liégeois ont déjà pu applaudir dans le rôle de la princesse de Bouillon (Adriana Lecouvreur), a joué les messagères espiègles avec un talent fou, et une interprétation toujours brillante. Sa voix chaude et lumineuse convenait parfaitement au rôle.

Quant à Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, elle donne de Meg Paige une interprétation tout en velours et en maîtrise, elle parvient à faire transparaître complicité et joie dans son interprétation, et c’est un délice. Nannetta et Fenton sont « le » couple amoureux de l’histoire. Francesca Benitez passe du rire à la tristesse, et son interprétation est des plus convaincante, elle joue d’aigus clairs et d’une belle densité nostalgique quand il le faut. Quant à Fenton, c’est le ténor Guilio Pelligra qui lui donne sa voix. Nous avions eu le plaisir de l’entendre dans Tamino, il donne ici un autre aspect de son talent.

P. SPAGNOLI © J Berger_ORW-Liège (3)

Jeune punk amoureux, sa voix claire, ensoleillée offre des aigus aisés emplis à la fois de velouté et d’une jolie puissance. Saisissant contraste avec un look tout à fait décalé parmi cette société bourgeoise BCBG.  Autre baryton de la distribution, Simone Piazzola chante un Ford sombre et revanchard, aux accents profonds maîtrisés.  Patrick Bolleire et Pierre Derhet ont arrimé leurs voix de basse et ténor à la perfection. Drôles, amusants, avec une belle présence scénique, leur prestation a été parfaite.  Et enfin, le jeune Alexander Marev, n’a pas déçu dans le rôle d’un docteur Caïus pincé, outré, et refait. Sa voix possède toutes les promesses d’un ténor exceptionnel. Un chanteur à ne pas perdre de l’oreille assurément.

L’orchestre a été conduit par le Maestro Bisanti, toujours expert dans la compréhension des partitions de Verdi. Vif, énergique, brillant, il obtient comme toujours une prestation enthousiasmante de l’orchestre de l’ORW.

« Falstaff » sera représenté du 28 février au 9 mars à l’ORW

Une représentation supplémentaire sera donnée le samedi 16 mars au palais des Beaux-Arts de Charleroi

La représentation du 9 mars sera retransmise en direct sur Musiq3 à partir de 20h00


Retrouvez sur Culturius l’interview exclusive du ténor Guilio Pelligra