Le cinéaste danois Jonas Poher Rasmussen amène Flee à l’écran, un documentaire d’animation co-produit par le Danemark, la Norvège et la Suède. Il reçoit une pluie de récompenses à l’international : 87 prix, dont un Cristal au Festival d’Annecy, un prix du Jury au Festival du film de Sundance ou encore un prix du Jury et du Public au Festival Anima à Bruxelles. Sans oublier 138 nominations dont une aux Golden Globes et une triple aux Oscars.

 Ce documentaire raconte l’histoire d’un ami proche du réalisateur, l’afghan Amin Nawabi (un nom d’emprunt). Il témoigne de la guerre en Afghanistan et du communisme, de son exil en Russie avec sa famille lors de son adolescence, d’épisodes traumatisants impliquant des passeurs, des policiers russes ou encore des gardes-frontières européens avant son arrivée en Europe. Il nous parle de son homosexualité, de sa famille mais aussi d’humanité. C’est un récit sur l’immigration et sur des envies légitimes de liberté. 

©Final Cut for Real

Un témoignage difficile sur son parcours migratoire

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Lors de son enfance et de son adolescence, Amin a vécu, ou plutôt a survécu à l’exil. Il a longtemps enfoui son histoire en lui. Avec ce documentaire, il ose enfin raconter comment il a été amené à mentir depuis sa plus tendre enfance, même à sa famille, pour se protéger et survivre dans un monde qui l’a longtemps terrorisé. Il témoigne de la guerre en Afghanistan, de la déshumanisation subie par les migrants, de sa clandestinité en Russie, de son arrivée en Europe mais aussi de l’importance d’avoir une famille soudée malgré les séparations parfois rendues obligatoires.

Son histoire n’est malheureusement pas unique, loin de là. À la fois politique et intime, elle permet de libérer la parole sur les conditions d’immigrations et les nombreuses épreuves traversées par ces hommes, ces femmes et ces enfants.

Le film n’est pas exempt de moments d’espoirs, sans lesquels Amin n’aurait sans doute pas pu continuer. Il est aujourd’hui heureux en ménage, assume son homosexualité et réalise une belle carrière universitaire. Le film ne tombe cependant pas dans le piège du « success story ». Il nous rappelle juste la chance que l’on a de vivre libre et en sécurité, et sensibilise sur les violences vécues lors d’un exil forcé.

Représenter l’irreprésentable

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Comme je l’ai déjà évoqué, il s’agit d’un récit difficile. Jonas Poher Rasmussen fait face à l’épineuse question de la manière dont un cinéaste peut traiter des horreurs et les montrer. Ce serait insoutenable et moralement discutable de les voir et cela ne servirait pas le témoignage. Tout comme pour le documentaire Valse avec Bachir, il a choisi l’animation pour porter à l’écran le témoignage d’Amin. 

Le style des dessins est varié. Il dépend des émotions d’Amin et de l’exactitude de ses propos. Certains souvenirs remontent à plusieurs années. D’autres sont enfouis en lui depuis trop longtemps pour être intacts. Amin le dit lui-même, c’est parfois flou. Ou au contraire, il peut se souvenir de détails très précis lors de moments charnières. L’animation suit et respecte son témoignage.

Des images d’archives viennent parfois interrompre l’animation à des moments clés, comme lors de la chute de Kaboul en 1989. On y voit des rues désertées, des militaires ou des civils morts à même le sol, des véhicules en feu et des populations en fuite. Ces images sont là pour nous rappeler que ce récit est bien réel. 

©Final Cut for Real

Un détail me dérange tout de même : le rôle de la musique. Du violon vient ajouter une couche de dramatique, là où à mon sens il faut laisser parler les images et sa bande-son originale. La musique est un risque, elle dénature l’authenticité du récit pour privilégier les émotions ressenties par les spectateurs. Je dois reconnaître que pour la majorité du film, la bande-son soutient parfaitement les propos du témoignage. Une autre parenthèse est le témoignage en lui-même. Certains passages semblent surjoués, sans doute pour amener un brin d’humour ou de détente au récit déjà très pesant. C’est encore une fois réfléchi pour ne pas sombrer dans le pessimisme et ne pas proposer un récit trop lourd aux spectateurs, ce que je peux tout à fait comprendre. 

Aujourd’hui, ce documentaire fait écho à la guerre en Ukraine ou à toute autre population forcée d’émigrer pour survivre.

 Flee est disponible gratuitement sur Arte jusqu’au 28 juillet.