In alto mare, in alta montagna, « en haute mer, en haute montagne », est une expression qui se rencontre en italien, comme en français. Elle renvoie à leur éloignement physique autant qu’aux risques physiques dont on doit user pour jouir de leur incroyable beauté.

Lambert Colson, chef de ce magnifique ensemble, a mis ses connaissances musicales au service de ces œuvres qui nous viennent d’un lointain passé, et son énorme talent est de faire revivre non seulement des compositeurs parfois méconnus, et des partitions presque oubliées, mais aussi, de reprendre des interprétations historiquement documentées, ramenant à nos oreilles d’incroyables envolées musicales et lyriques. 

C’est un exercice assez périlleux dans la mesure où notre oreille n’est plus nécessairement réceptive à une musique qui ne ressemble plus du tout à la nôtre. Néanmoins, Lambert Colson a étudié profondément en musicologue averti, les sources encore disponibles. Il s’est également entouré des meilleurs collaborateurs « historiquement informés ». InAlto cherche à faire ressortir le meilleur des répertoires de la Renaissance, tout en utilisant des instruments « historiques », mais en les transformant en moyens d’expression modernes.

©Cici Olsson

Il joue du cornet qui est l’un des instruments les plus importants du 16ème et du 17ème siècles. Il est en bois et est recouvert de cuir ou de parchemin; il était considéré comme l’instrument le plus à même d’imiter la voix humaine. 

Selon les mots de Lambert Colson « Les instruments à embouchure dans leur forme primitive étaient creusés dans des cornes animales et utilisés comme instruments de berger, instruments d’appel, de signal. Utilisés dans les cultures du monde entier, ils ont un son particulier qui est bien souvent associé à une forme de rituel, aux rites de passages et parfois même à la magie ».

InAlto a forgé sa musique tout au long de dix années passées à travailler ensemble, qui ont permis de sculpter une façon de jouer largement inspirée par le modèle vocal. En fait, les musiques vocale et instrumentale se répondent en d’harmonieux dialogues. 

L’enregistrement le plus récent de InAlto est celui que j’ai eu aussi la grande chance d’entendre en live, « Passages » fut une expérience spirituelle bouleversante.  

Le son solennel des ensembles de cuivre a longtemps été associé aux rites que les anthropologues qualifient de « liminaux », c’est-à-dire les rites de passages, ces seuils qui marquent la transition d’un état à un autre. Les instruments à vent sont utilisés depuis des millénaires, puisqu’on parle déjà du pouvoir magique des trompettes qui dirigèrent la puissance de Dieu contre les murs de Jéricho, dans la Bible.

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Au fil des siècles, les cors, trompettes, trombones  se perfectionnèrent au rythme de l’ingéniosité des facteurs, ce qui permit de créer toute une série de familles d’instruments naviguant sur la gamme du soprano au basse. Les trompettes occidentales telles que nous les connaissons sont originaires de Perse, et les exemplaires les plus anciens sont arrivés chez nous au moment des croisades.

Des noms latins classiques ont d’ailleurs été employés par les auteurs médiévaux pour nous parler de ces instruments venant du Moyen-Orient (busina, ou en langue vernaculaire « buisine »).

Les compositeurs allemands exploitèrent les associations de cuivres pendant des siècles. Les trombones exprimaient le chagrin, la mort, le deuil. Les trompettes et cornets sont réservées aux célébrations, à la majesté. Tous les rites sont accompagnés de musique : les rites funéraires, les naissances, les mariages, et ils remontent à la nuit des temps. On a retrouvé des trompettes dans la tombe de Toutankhamon.

Les ensembles de cuivres prendront par la suite de plus en plus de place dans l’histoire de la musique, en Italie, mais aussi en Allemagne. La musique allemande est profondément bouleversée par la réforme luthérienne et attachée aux pouvoirs de la rhétorique, de la justesse des mots et des moyens utilisés pour les véhiculer. 

Les cuivres deviennent ainsi l’ensemble de prédilection pour tout compositeur cherchant à évoquer l’enfer, la mort et le passage vers l’au-delà. Avec « Passages », InAlto poursuit ses merveilleuses créations, son ADN étant ce son produit par les cornets et les trombones.

Sa musique sonne, résonne, et raconte. Pour les auditeurs, il ne s’agit rien de moins qu’un miracle acoustique et émotionnel. Ces successions de passages ont paradoxalement suspendu le temps, unissant le public dans une même communion de ressentis.

 InAlto cherche à tirer le meilleur des répertoires abordés en travaillant au plus près des sources et avec des musiciens maitres de l’interprétation «historiquement informée ».

Le concert/Cd de « Passages », c’est une compilation d’œuvres très maîtrisées et extrêmement émouvantes, de l’époque baroque. Lambert Colson a choisi des pièces plus magnifiques les unes que les autres. Loin de l’idée que l’on peut se faire d’instruments à cuivre et vent, la musique est douce, profonde. Toute la gamme des sentiments est explorée, les notes des instruments se mêlant de façon incomparable aux voix lyriques des différentes tessitures. Alice Foccroule et Griet de Geyter éclatent de talent, magnifiquement entourées par Bart Uvyn (contreténor), les ténors Vojtech Semerad et Tomas Lajtkep et la basse de Geoffroy Buffière.

Heinrich Schütz (1585-1672), par exemple, fut le compositeur allemand le plus vénéré de son époque. D’abord jeune choriste à la chapelle de Kassel, pour le Landgrave Moritz de Hesse, il fut envoyé auprès de Giovanni Gabrielli, maître baroque de l’école de Venise, qui forma également Praetorius. Schütz put également étudier les œuvres de Monteverdi et s’en inspirer pour ses propres compositions. « Fili mi Absalon » est une pure merveille, de même que « O meine Seele warum bist du betrübet ». Ces deux œuvres mélancoliques sont vraiment représentatives de la mélancolie de ce compositeur, qui peut aussi éclairer les joies du mariage avec « Freue dich des Weibes deiner Jugend ».

Autre pièce magistrale, la composition de Johann Philipp Krieger (1649-1725) « Ich bin eine Blume zu Saron », tellement romantique avant l’heure.

Bien sûr, la période baroque est « la » période où la musique sacrée est prépondérante. On peut admirer de belles compositions de Beethoven et J.S Bach, que l’on ne doit plus présenter. À côté de ces compositeurs dont les œuvres sont arrivées jusqu’à nous de façon plus systématique, on peut découvrir des œuvres de Johann Georg Ahle (1651-1706), du mélancolique Samuel Scheidt (1587-1654), de Dietrich Buxtehude (1637-1707) qui fut l’un des formateurs de J.-S Bach, de Roland de Lassus (compositeur venant des anciens Pays-Bas du Sud, admiré à son époque, et que Ronsard qualifia de « divin Orlande », de « prince de la Musique » ou plus tard d’ « Orphée belge ».

Il serait trop long de vous parler de tous les compositeurs dont les œuvres figurent sur l’album « Passages », d’autant que InAlto est loin d’en être à son premier enregistrement. J’ai pris un plaisir infini à découvrir leurs autres enregistrements comme : « Ich will schweigen » consacre à Johann Hermann Schein paru chez Ramee en 2015, qui a rencontré un beau succès avec la nomination de la soprano Alice Foccroulle pour les octaves du meilleur enregistrement classique.

Un second enregistrement « Heinrich Schütz and his legacy » consacré à l’héritage d’Heinrich Schutz est paru en novembre 2016 pour le label indépendant Passacaille et qui a immédiatement été salué comme l’album de « l’éclosion ». Il a été récom- pensé par le Diapason d’Or de l’année 2017, un Choc de Classica, 5 étoiles sur 5 pour Rondo Magazin et remarqué par les quotidiens du « Monde » et « Libération »

« Un cornetto a Roma » est sorti en 2017 toujours chez chez Passasacaille, s’est vu crédité de 5 diapasons. « Teatro spirituale » sorti au printemps 2019 chez Ricercar a obtenu 5 étoiles Classica et un Diapason d’or. Et en 2020, « Cavalieri Imperiali »pour Ricercar, portrait de deux virtuoses du cornet Luigi Zenobi et Giovanni Sansoni. Et bien sûr, en 2022, toujours chez « Ricecar », le merveilleux album « Passages », qui se révèle un album de toute beauté, avec des œuvres profondes, bouleversantes à écouter sans modération.

InAlto sera présent ce jeudi 8 décembre au Bozar de Bruxelles.

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