Ismaïl Kadaré, le plus grand écrivain d’Albanie, un combattant de la Liberté du temps des jours sombres de la dictature communiste. Celui qui était surnommé le Victor Hugo albanais, et un des grands auteurs contemporains, est mort à 88 ans.

Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années

Ismaïl Kadaré avait la Liberté chevillée au corps et le courage de la défendre. Poète et romancier, né en 1936 en Albanie, il s’est très tôt lancé dans la littérature, commençant à écrire à dix-sept ans. Ayant dû suivre le cursus obligatoire de lavage de cerveau communiste, il est parti après pour Moscou afin de savoir ce qui était politiquement correct d’écrire. Là-bas, sa déformation enseignée à l’Institut Gorki n’a pas réussie, au contraire. Se rendant compte de l’indigence d’une pensée calibrée en fonction d’impératifs politiques, il a appris à désobéir dans le temple même de l’obéissance.

Ismaïl Kadaré à Paris, 1992 © John Foley/opale.photo

Son premier roman, Le Général de l’Armée Morte, paru en 1963, est un coup de maître. C’est l’histoire d’un général italien envoyé en Albanie vingt ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour rapatrier les corps de soldats italiens morts pendant le conflit. Il y rencontre un général allemand venu accomplir une mission similaire. Les deux s’interrogent sur la futilité de la guerre et le sens de la vie. Une manière détournée de déjà critiquer le totalitarisme, ce qui sera le combat fondamental de l’œuvre de Kadaré.

« Les nuages nagent comme des enveloppes géantes, Comme des lettres, que s’enverraient les saisons ». Poème d’Automne.

Ismaïl Kadaré n’a pas reçu le Prix Nobel de Littérature, pourtant il le méritait © DR

Dès le roman suivant, Le Monstre, paru en 1965, les choses sont claires. Kadaré est un infâme critique du communiste. C’est le début de ses nombreux ennuis avec le régime albanais, persécutions qui emmèneront l’auteur dans une camp de rééducation par le travail à la chinoise dans les montagnes du pays. Et bien sûr ses œuvres seront interdites de publication. Qu’à cela ne tienne, la France accueille favorablement les traductions de l’auteur albanais, et le succès international apporte une aura de plus en plus brillante à son travail, parallèlement à sa plongée dans les ténèbres de la persécution dans son propre pays. En 1981 le plénum du Parti Communiste Albanais le déclare officiellement « Ennemi du Peuple ».

« La vraie littérature a son propre calendrier, sa propre liberté qui n’a rien à voir avec la liberté extérieure. » Ismaïl Kadaré dans une interview à Libération, 25 octobre 1999.

Ismaïl Kadaré fait une lecture d’un de ses livres à Zürich, 2002 © Wikipedia Commons

Il est mort le poète

Dès la chute du Mur de Berlin l’écrivain parvient à quitter son pays pour se réfugier en France où il obtient le statut de réfugié politique. Quand les choses s’aplaniront avec le temps il reviendra vivre en Albanie, se partageant entre son pays et l’étranger où les prix qui lui sont attribués pleuvent, reconnaissant son rôle dans le lutte contre la dictature. Il a réussi à mener son combat et à survivre en Albanie, là où un Staline en URSS l’aurait fait fusiller depuis longtemps. Cela n’enlève rien au courage qu’il aura fallu à tous ceux qui allaient à contre courent de la pensée dogmatique ambiante et qui ont su résister à l’oppression rouge. C’est dans son pays, à Tirana, qu’Ismaïl Kadaré est mort ce 1er juillet 2024, où le gouvernement a décrété deux jours de deuil national. Il laisse une œuvre monumentale, véritable ode à la Liberté.

Bernard Pivot reçoit Ismaïl Kadaré en 1988 à son émission Apostrophes :


Bernard Pivot nous a aussi quittés récemment, retrouvez-le ici.