L’obsession du réalisateur anti-establishment pour l’un des événements les plus marquants de l’histoire des Etats-Unis a beau être connue, il est temps d’en connaître la raison. Plongeons-nous dans les mystères de JFK, le film d’Oliver Stone.

Oliver Stone est né en 1946 d’un père américain et d’une mère française rencontrée à Paris juste après la Seconde Guerre mondiale. Il fait ses études à Yale ou il croisera la route de George W. Bush, futur président. Il se porte volontaire pour aller combattre au Viêt Nam et est envoyé au front en 1967 où, après être monté en grade plusieurs fois, il intégrera la fameuse compagnie des Headhunters, immortalisée au cinéma par Francis Ford Coppola dans Apocalypse Now. Blessé à deux reprises, il est rapatrié en 1968 et décoré.

Oliver Stone en 1987 © Domaine public

Marqué à jamais par ce conflit sanglant, vivant avec de faibles revenus en tant que chauffeur de taxi à New York, il intègre la prestigieuse Tish Scholl of Art, où le célèbre Martin Scorsese le pousse à s’inspirer de son vécu pour avoir de bons scénarios. Stone commence à écrire à n’en plus pouvoir s’arrêter, accouchant de kilomètres de scripts inaboutis. Il reviendra sur ces années difficiles dans son autobiographie Á la recherche de la Lumière, partageant également son expérience douloureuse avec le réalisateur Michael Cimino, le tournage chaotique de son scénario Midnight Express, et ses déboires de drogues l’inspirant pour le célèbre Scarface de Brian de Palma.

C’est surtout son expérience de la guerre du Viêt Nam qui bout en lui. Une telle boucherie inutile ne peut être le fait que des politiques, pour Stone l’assassinat de Kennedy est l’élément déclencheur de tout ce bourbier. Bien que la guerre ait commencé dans les années 50 après la défaite française en Indochine, et « américanisée » sous la présidence de Dwight D. Eisenhower, l’arrivée au pouvoir du vice-président Lyndon B. Johnson après le 22 novembre 1963, et surtout les mandats de Richard M.Nixon, n’ont fait qu’empirer les choses.

Le traumatisme de la guerre du Viet Nam, illustré par le film Apocalyspe Now © American Zoetrope

Ayant livré une sacrée trilogie sur cette guerre traumatique avec Platoon, Né un 4 Juillet et Entre Ciel et Terre, il s’attaquera également aux présidents responsables de cette guerre, Kennedy et Nixon. Il reviendra avec un biopic sur George W. Bush dans les années 2000, voyant un parallèle évident entre la guerre du Viêt Nam et celle d’Irak.

Également documentariste, il s’intéresse beaucoup à l’ingérence des Etats-Unis dans le monde pendant la Guerre froide, notamment au Chili. Partant du postulat que la CIA et les services secrets sont capables d’éliminer les dirigeants qui ne suivent pas les intérêts politico-économiques des U.S.A en Afrique ou en Amérique Latine, pourquoi ne le feraient-ils pas avec leur propre commander in chief ?

Mettant en scène cette bascule qu’est l’assassinat de Kennedy, Stone livre en 1991 une des fictions les plus marquantes de sa filmographie.

Le président Kennedy, son épouse Jacqueline et le gouverneur du Texas John Connaly, quelques minutes avant l’assassinat © DR

En 1988, le procureur derrière l’enquête sur l’assassinat publie avec Zachary Clare On the trail of the Assassin. Stone reçoit un exemplaire du livre alors qu’il est à Cuba pour un festival. Très vite convaincu par l’ouvrage, il débourse 250 000 $ de sa poche pour avoir les droits d’adaptation. Le réalisateur combine également les données trouvées dans le livre Crossfire : The Plot that Killed Kennedy écrit par le journaliste indépendant Jim Marrs.

La Warner lui alloue un budget conséquent et ne se prive pas de produire un film « complotiste », ayant déjà dans son catalogue A Cause d’un Assassinat et Les Hommes du Président, tous deux réalisés par Alan J. Pakula.

Les films Z de Costa Gavras et Rashomon d’Akira Kurosawa auront énormément d’influence sur la production du film. Découvrant que le budget de 20 millions de dollars attribué par la Warner ne sera pas suffisant, cette dernière lui offre l’aide du célèbre producteur de l’époque Arnon Milchan (qui, ironie du sort, s’avèrera plus tard être un espion à la solde du gouvernement d’Israël et un trafiquant d’armes notoire) qui collaborera avec le réalisateur sur ses deux films suivants.

Kevin Costner enquête dans JFK © Warner Bros

Le casting du film annoncé, de nombreux acteurs aux convictions politiques fortes insistent auprès d’Oliver Stone pour avoir un rôle dans le film, quitte à réduire drastiquement leur cachet. Stone désire en tête d’affiche pour son thriller politique, soit Harrison Ford, soit Mel Gibson, tous les deux au sommetde leurs carrières. C’est l’agent de Kevin Costner, Michael Ovitz, qui insistera pour imposer son protégé. Réticent au début, Oliver Stone acceptera de le diriger après l’énorme succès critique et public de Dance avec les Loups qui rassurera la Warner. Chacun des comédiens se plongera dans des recherches poussées sur l’assassinat du président  à la demande du réalisateur, au point que Gary Oldman qui interprète le tueur présumé Lee Harvey Oswald, réussira à rencontrer la veuve du meurtrier et reste -encore aujourd’hui- convaincu de la culpabilité d’Oswald.

La photo authentique prise une seconde avant que Jack Ruby n’assassine le suspect Lee Harvey Oswald, le 24 novembre 1963 © Domaine public

Outre un casting trois-étoiles dans lequel même les seconds rôles sont incroyables (Tommy Lee Jones, Donald Shutterland, Sissi Spacek, Wayne Knight, Kevin Bacon, John Candy, Jack Lemmon, Joe Pesci, Michael Rooker, Jay O.Sanders), ce qui se démarque ce sont surtout trois éléments. La photographie en douche de lumière de Robert Richardson, qu’il utilisera dans Casino de Martin Scorsese et Kill Bill de Quentin Tarantino ; le directeur de la photographie sera d’ailleurs un collaborateur récurent des réalisateurs nommés ci-dessus. La musique au relent patriotique et les envolée symphoniques du mythique John Williams, qui avait déjà travaillé avec Oliver Stone pour Né un 4 Juillet, et remettra le couvert pour Nixon, trois ans plus tard.

L’enquête du procureur Garrison dans JFK © Warner Bros

Et pour finir l’incroyable montage effectué par Joe Hutshing et Pietro Scallia, récompensés -à juste titre- par un Oscar. Il faut dire que les deux monteurs ont eu un mal fou à jongler avec images d’archives, reconstitutions historique, et prises de vues réelles  avec différents formats de pellicules. Stone les encouragera à se démarquer des méthodes classiques de montage et de s’inspirer de la publicité et du jazz. Le travail de Hutshing et Scallia semble être une continuité du travail d’Alan Heim sur Que le Spectacle Commence et les montages de clip de la génération MTV. JFK aura d’ailleurs énormément d’influence sur Oppenheimer de Christopher Nolan. Cette multitude d’images fait écho à la profusion de théories différentes sur l’assassinat en question.

Jodi Farber dans le rôle de Jackie Kennedy © Warner Bros

A ce sujet, Oliver Stone, pourtant habitué aux controverses et aux problèmes dus à sa manie de taper dans la fourmilière et son anti-establishment assumé (qu’il partage avec le documentariste Michael Moore), devra cependant faire face à la pire tempête médiatique de toute sa carrière. Alors que le projet n’est qu’en cours de production, le prestigieux Washington Post(pourtant à l’origine du scandale du Watergate) réussi pendant le tournage à mettre la main sur un des premiers jets du scénario et accuse directement Oliver Stone d’être un menteur. Le Chicago Tribute lui emboîte le pas et considère le film comme une insulte à l’intelligence humaine alors que le projet n’est même pas sorti en salle.

Kevin Costner enquête dans le JFK d’Oliver Stone © Warner Bros

C’est alors que Jack Valenti, ancien conseiller de Lyndon B. Johnson (vice-président de Kennedy, puis président après l’ assassinat, et qui fut ensuite président de la sacro-sainte Motion Picture Association of America (organe qui classe le niveau de censure des film américains), n’hésitera pas à comparer le réalisateur à Leni Riefenstahl, la directrice du cinéma de propagande nazi. Et un ancien de la commission Warren clamera que le long-métrage aurait beaucoup plu au Führer en personne. Le Washington Post enfonce définitivement le clou en traitant Oliver Stone de sociopathe intellectuel. George Bush père, ancien allié de Richard, Nixon, directeur de la C.I.A en 1976 et président des Etats-Unis lors de la sortie du film, rajoutera même son commentaire personnel, moquant le réalisateur en faisant un parallèle avec les théories entourant la mort d’Elvis Presley.

Le chef d’œuvre d’Oliver Stone, JFK © Warner Bros

Auditionné lors d’une commission d’enquête, le réalisateur publiera une version du scénario remplie de ses notes personnelles justifiant chacun de ses choix artistique. Est-ce qu’Oliver Stone adhère à la théorie de Jim Garrison ? Bien sûr que non ! Le choix de le montrer dans un caméo dans lequel le procureur interprète Earl Warren, son ennemi juré, est on ne peut plus clair. Après avoir rencontré le personnage en 1988, il semble évident pour Oliver Stone que Jim Garrison a, entre autres, suivit de fausses pistes et fait preuve d’une forme de naïveté concernant certains témoignages. Bien que la version jouée par Kevin Costner soit beaucoup plus élogieuse, Stone affirme s’être inspiré du personnage principale du Z de Costa Gavras.

Costner suit donc la tradition des héros seuls face aux manipulations du pouvoir, chère aux années 80. Mais alors, pourquoi épouser la version de Garrison et en faire un film de près de 4 heures s’il n’y croit pas ? Surtout si l’on sort avec plus de questions que de réponses. Une phrase issue de sa biographie révèle assez bien la psychologie du réalisateur : Pour combattre un mythe, il vous faut en créer un autre : un contre-mythe. Sa vision étant suffisamment poussée pour démonter la théorie de la commission Warren.

Kevin Costner enquête dans JFK © Warner Bros

Le constat d’Oliver Stone est simple : « Je ne vous demande pas de me croire MOI, mais de ne surtout pas les croire EUX ! ».

On aurait pu attendre patiemment la déclassification des dossiers en 2018, mais Oliver Stone furieux, découvrira que Donald Trump n’a sorti qu’une infime partie du dossier et décidera quand même de faire un documentaire sur la maigre partie révélée. Le documentaire, sorti assez discrètement à cause du Covid, semble matérialiser la théorie du complot en fait. L’assassinat de Kennedy figurant à juste titre dans la charte des théories du complot établie par des spécialiste du complotisme, elle se situe dans la partie bancale, celle où les questions sont légitimes et où les zones d’ombres sont plus que louches.

Revenant sur ce film phare dans un récent numéro du magazine Empire, Stone affirme qu’il est tellement allé au Daily Plaza (lieu du drame) qu’il en a la nausée, mais il ne lâche pas l’affaire, sont film est là pour la jeune génération. Il sait parfaitement que, comme l’affaire de Jack l’Éventreur, nous ne saurons jamais le mot de la fin. Sa morale est la suivante : « remuez la merde, ouvrez vos gueules, étudiez le passé, questionnez l’avenir et faites surtout preuve d’esprit critique… particulièrement à l’heure des réseaux sociaux. »

Kevin Costner dans le rôle du procureur Garrison, JFK d’Oliver Stone, FR :


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