On savait que le grand poète Joachim du Bellay avait été enterré dans Notre-Dame, mais on ne savait pas où exactement. Les restes retrouvés dans la cathédrale sont plus que probablement les siens. Voici pourquoi.

Illustration: les scientifiques de Toulouse travaillent sur le mystérieux corps qui est très probablement celui de Joachim du Bellay © DENIS GLIKSMAN / INRAP

Quels sont ces feux infernaux qui crépitent sur vos tombeaux ?

Le 15 avril 2019, devant la Terre entière médusée, un feu démoniaque détruit la vénérable toiture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, faisant au passage de multiple dégâts. Pour retirer de ce drame un élément positif, les chercheurs de l’INRAP, l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives, qui fouillaient la cathédrale, ont trouvé deux cercueils anthropomorphes au début de 2022.

Statue de Joachim du Bellay à Liré © Wikipedia Commons

Le premier fut assez facilement identifié car il portait une épitaphe, il s’agit des restes d’un ancien chanoine de Notre-Dame, Antoine de La Porte (1627-1710). Mais aucune inscription ne permettait a priori d’identifier le second corps. Jusqu’à ce jour. Pourtant on pensait que le poète avait été enterré dans la Chapelle Saint Crépin, une des chapelles de Notre-Dame. Mais lorsqu’on y fit des travaux en 1758 on n’y trouva pas la tombe du poète. Dans le journal Le Monde du 17 septembre, le professeur Eric Crubézy du laboratoire d’anthropologie moléculaire envisage deux possibilités :  « Soit une sépulture transitoire devenue permanente, soit un transfert de son cercueil lors d’une autre inhumation, en 1569, après la publication de ses œuvres complètes. »

Comment sait-on que ce corps inconnu est bien celui du poète ?

La médecine légale s’active depuis cinq ans pour identifier les nombreuses personnes inhumées dans la cathédrale, dont bon nombre d’ecclésiastiques. Mais ce second corps présente des caractéristiques assez particulières qui ont été identifiées grâce au travail de l’institut médico-légal de Toulouse.

Un cercueil anthropomorphe dans la cathédrale Notre-Dame © DENIS GLIKSMAN / INRAP

Il s’avère que le corps présente une déformation de son os coxal, preuve que c’était un cavalier. Certes, la chose est courante à l’époque, mais Joachim du Bellay a fait plus que la plupart de ses contemporains: il est allé de Paris à Rome à cheval. Plus rare, on découvre que son crâne a été scié, et son sternum fracturé, ce qui est la trace d’un embaumement, ce qui est bien moins courent. Là où cela devient très particulier, ce sont les traces d’une tuberculose osseuse cervicale, entraînant une méningite chronique, maladie très rare et dont le pauvre du Bellay était affligé. Bien que des doutes subsistent, les présomptions sont nombreuses, sans que l’on puisse affirmer son identité avec certitude.

Qui était Joachim du Bellay ?

Joachim du Bellay est né en 1522 à Liré, un petit village de la Loire-Atlantique, en France. Issu d’une famille noble, il reçoit une éducation soignée, notamment à l’Université de Poitiers, où il se familiarise avec les œuvres des grands auteurs antiques. Ce parcours intellectuel va marquer profondément sa poésie et sa vision du monde.

Ruines du château de Liré où vécut Joachim du Bellay © Wikipedia Commons

En 1549, du Bellay se rend à Paris, un centre bouillonnant de culture et de pensée à l’époque de la Renaissance. C’est dans cette ville qu’il rejoint la Pléiade, un groupe de poètes qui ambitionne de redéfinir la langue française et d’élever la poésie à un niveau égal à celui des classiques grecs et latins. Les membres de la Pléiade, dont Ronsard est le plus célèbre, partagent une passion pour la beauté et la musicalité des mots. Cette collaboration influence profondément le travail de du Bellay, qui aspire à donner à la langue française une dignité littéraire.

La vie de Joachim du Bellay est également marquée par des voyages. En 1550, il part pour l’Italie, une expérience qui va lui permettre de découvrir les merveilles de l’art et de la culture italiennes. Cependant, ce séjour est aussi une source de mélancolie. La nostalgie de sa terre natale, la France, se fait ressentir et devient un thème central de son œuvre. En 1557, il publie son recueil le plus célèbre, Les Regrets, qui exprime avec intensité ce sentiment de perte et d’exil.

Joachim du Bellay, Gentilhomme angevin © Wikipedia Commons

Du Bellay revient en France en 1558, mais sa santé décline rapidement. Il est souvent malade, et ses souffrances physiques se reflètent dans ses écrits. Malgré cela, il continue à écrire et à participer à la vie littéraire de son époque. En 1560, il publie Les Antiquités de Rome, un recueil où il évoque la grandeur passée de Rome et sa propre condition d’exilé. Joachim du Bellay meurt en 1560 à l’âge de 38 ans, laissant derrière lui une œuvre poétique riche et variée qui continuera d’inspirer les générations suivantes.

Œuvres principales de Joachim du Bellay

Joachim du Bellay est l’un des poètes les plus influents de la Renaissance française. Ses œuvres se distinguent par une profonde musicalité, une richesse d’images et un engagement pour la langue française. Deux de ses principaux recueils, Les Regrets et Les Antiquités de Rome, illustrent parfaitement son talent et sa sensibilité.

Statue de Joachim du Bellay à Ancenis © Wikipedia Commons

« Les Regrets »

Publiés en 1557, Les Regrets est sans doute l’œuvre la plus emblématique de du Bellay. Ce recueil, composé de 191 sonnets, aborde la thématique de l’exil et de la nostalgie. Les sonnets sont une réflexion poignante sur la séparation d’avec sa terre natale. Par exemple, dans le sonnet 2, il écrit :

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et de raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »

Cette citation met en avant le désir de du Bellay de retrouver son foyer, tout en évoquant la grandeur des héros antiques. Le poète se compare à Ulysse, symbole d’un voyage initiatique, mais son retour est teinté de mélancolie, car il sait que son exil a changé sa perception du monde et de lui-même.

Portrait de Joachim du Bellay par Jean Cousin le Jeune © Wikipedia Commons

La mélancolie qui traverse Les Regrets est omniprésente. Dans le sonnet 8, il exprime son chagrin de manière particulièrement poignante :

« Quand je pense à mes amis, je suis triste et je pleure,
Que je suis loin de mes biens, que je suis loin de ma terre ! »

Ici, la tristesse du poète face à la distance qui le sépare de ses amis et de son pays est palpable. Chaque sonnet est une fenêtre ouverte sur ses émotions, mêlant beauté des mots et profondeur des sentiments.

« Les Antiquités de Rome »

Dans Les Antiquités de Rome, publié en 1558, du Bellay se penche sur la grandeur déchue de la ville éternelle. À travers ce recueil, il exprime non seulement son admiration pour les vestiges romains, mais aussi sa mélancolie face à la fragilité du temps. Dans le sonnet 1, il écrit :

« Rome, tes ruines, au gré des vents errantes,
Sont des témoins muets de ta grandeur passée.
Je contemple ces pierres, un cœur plein de pensées,
Et je pleure sur ton sort, ô cité triomphante. »

Dans ces vers, du Bellay établit un parallèle entre sa propre condition d’exilé et le destin de Rome. La beauté de la langue française se marie ici avec la réflexion sur la déchéance, mettant en lumière la fragilité de la gloire humaine.

Musée de Liré © Wikipedia Commons

Une autre citation emblématique se trouve dans le sonnet 10 :

« Je suis né dans le pays des ancêtres,
Et l’honneur de mes aïeux doit m’être cher. »

Ici, le poète évoque son attachement à ses racines, soulignant l’importance de l’identité culturelle. Du Bellay, par cette déclaration, montre que son exil n’est pas seulement géographique, mais aussi existentiel.

Plaque commémorative dans l’Impasse Chartière à Paris © Wikipedia Commons

Le poète de la Condition Humaine

Joachim du Bellay demeure une figure emblématique de la poésie française, non seulement pour sa maîtrise de la langue, mais aussi pour la profondeur de ses réflexions sur l’exil, la nostalgie et l’identité. Ses œuvres, comme Les Regrets et Les Antiquités de Rome, sont des témoignages poignants de la condition humaine. Elles continuent d’inspirer les lecteurs par leur musicalité et leur richesse émotionnelle. Dans un monde en constante évolution, la voix de du Bellay résonne encore, nous rappelant l’importance de notre héritage culturel et de notre quête d’identité.


Cette année 2024 c’est le 500ème anniversaire de Pierre de Ronsard, l’ami de Joachim du Bellay