Avec son nouveau film-fleuve Babylon (plus de trois heures), le cinéaste franco-américain Damien Chazelle défraie la chronique et divise la critique et le public.

Une exploration grandiose, frénétique et parfois sordide, d’Hollywood en pleine transition du cinéma muet au parlant, qui nous embarque dans une sorte de rodéo de sensations fortes qui s’entrechoquent. Mais sans oublier des moments de réflexion qui sont en prise directe avec les réalités d’aujourd’hui.

Pour l’auteur de ces lignes, le choc initial est auditif. Un air de jazz instrumental frénétique, joyeux, véritablement addictif et à ambiance quasi tribale : ce sensationnel Welcome de Justin Hurwitz, le compositeur attitré de toutes les BO de l’ami de longue date de Chazelle. Et j’apprends que ce titre hors norme en 2022 figure sur la BO de Babylon

.

.

Début 2023, on annonce la sortie simultanée en Belgique et en France, le 18 janvier, de ce blockbuster de 78 000 000 de dollars…qui a très malheureusement fait un flop aux États-Unis. Un échec commercial injuste malgré -notamment – la présence de deux stars : l’Australienne Margot Robbie et Brad Pitt. Qui furent déjà réunies dans une autre évocation de délires ultérieurs d’Hollywood, en 1969 : Once Upon A Time In Hollywood, de Tarantino.

Robbie (Nellie LaRoy) est une jeune aspirante star déjà convaincue d’en être une. Sa détermination de char d’assaut lui donne toutes les audaces, très loin du politiquement correct d’aujourd’hui.

Pitt (Jack Conrad) est une star un peu vieillissante, désabusée, amateur de femmes et d’alcool (dans cet ordre ou dans l’autre, on ne sait trop-ni même lui peut-être).

Diego Calva s’impose dans le rôle central de Mamy Torres, le jeune homme à tout faire rêvant de gloire sur l’écran. Le film présente des séquences situées à diverses années de l’échelle du temps mais l’essentiel est dévolu à l’an crucial 1927.

Celui du passage du muet au parlant, qui s’avère un bouleversement que Chazelle, grand cinéphile, veut nous montrer. Le début du film -le transport très dangereux par camion d’un éléphant vers un plateau de cinéma en plein air -est d’un mauvais goût «hénaurme». Trop selon certains puisque la malheureuse bestiole défèque sur le visage de l’aspirant acteur mexicain, qui est encore un factotum anonyme des tournages, rêvant de gloire. Comme tant et tant d’autres, jusqu’à aujourd’hui… 

©Paramount Pictures

D’autres scènes sont graveleuses mais la longue party initiale, dans le château d’un magnat en plein désert, est galvanisante au possible ! Le propos de Chazelle est clair et net : le cinéma du temps du muet se cherchait encore. N’était pas encore devenu une industrie rapidement formatée et corsetée par des codes moraux de plus en plus rigides : le fameux code Hays.

On parle beaucoup de wokisme et de censure aujourd’hui : celle-là a rapidement fait des ravages. Des scandales ont menacé et parfois brisé des carrières.

Derrière l’image glamour des stars des années vingt, beaucoup de débauche, de stupre -comme disent les puritains ennemis du sexe non conventionnel et rangé -et de drogues. Celles-ci circulent en masse sur les plateaux et dans les parties. Jusqu’en 1922 -croyez-le ou non -la cocaïne dite «poudre de joie» (surtout pour ceux qu’elle enrichit) est même légale.

Donc si Las Vegas et ses casinos d’origine très douteuse est une autre cité «babylonesque» avec son truculent surnom : The City of gin, din and sin, Los Angeles n’est pas en reste !

Roche Tarpéienne et Capitole

©Paramount Pictures

On connaît le proverbe de cette roche Tarpéienne proche du Capitole et qui symbolise la déchéance souvent attenante à la gloire…

Le Capitole fut la roche Tarpéienne d’un certain Trump et je ne suis pas si hors sujet que cela. En pointant une remarque à mon avis effarante du critique de la publication américaine pourtant prestigieuse Variety. Qui ne craint pas le ridicule en faisant référence au mantra de l’ex-président plus que déchu : Make America Great Again. Avec ce procès d’intention aberrant via cette citation qui vise à rabaisser Chazelle en quasi trumpien : Make Hollywood Great Again.

Les thèmes sociétaux afférents au cinéma sont suggérés sans lourdeur et ce n’est pas le sujet du film. Mais il est question du jazzman noir Sidney Palmer (Jovan Adepo) prié de se noircir le visage, trop clair. Ou via la situation du Mexicain Manny Torres, du statut inférieur de ces hommes aux States. Un personnage réel est recréé : le grand producteur Irving Thalberg (Max Minghella) qui a tout de même coproduit pour la MGM, avec le réalisateur King Vidor, le premier grand film avec une distribution noire : Hallelujah !.

Inspirations

De grandes stars de ces temps fascinants du muet ont été des modèles pour de nombreux protagonistes. Margot Robbie s’est inspirée de Joan Crawford mais surtout de Clara Bow, que l’on surnommait la It Girl. On note que It Girl est un terme courant dans la mode en 2023.

Pour Pitt (Jack Conrad), c’est surtout John Gilbert. Star du muet, son étoile a pâli brusquement lorsque le parlant a révélé sa voix jugée ridicule par certains… !

L’échotière redoutable Elinor St John (Jean Smart) (inspirée par une chroniqueuse d’alors : Adela Rogers St. Johns) tient une conversation terrible face à Conrad , tout à coup comme dépouillé de son aura de star. Elle lui dit que, le parlant -les talkies -commençant…son temps à lui est terminé !

Jouissif (attention Spoiler)

©Paramount Pictures

On a un peu laissé Nellie LaRoy de côté -l’exceptionnelle Margot Robbie, la vraie star du film…outre le cinéma lui-même. Comme on la connaît, elle ne va pas se laisser faire !

On a tous vu ces photos promotionnelles de l’aspirante star -dans le film !-sexy en diable et couchée sur des mains masculines levées. Dans la première party du film, qui fait pardonner l’introduction un peu trop trash de l’éléphant se soulageant sur Manny Torres.

LaRoy entend à travers une porte fermée des huiles du nouveau cinéma parlant de l’assassiner en la condamnant pour sa vulgarité, son absence de talent, sa voix de crécelle etc. Après avoir compris ce que ces messieurs-dames pensent d’elle, elle pénètre dans cette salle où se tient une réception où son avenir doit être discuté.

LaRoy met un souk pas possible, elle boit de l’alcool au goulot et invective toute l’assemblée à la sulfateuse. Plus tard, elle se voit confrontée dans le désert à un serpent à sonnettes que des hommes présents n’osent pas affronter.

Ce qu’elle fait à mains nues en les traitant de couards et de dégonflés, et réussit à s’en tirer bien vivante après des moments de pure frayeur… ! Nellie, trop accro aux drogues et au jeu, se voit plombée d’une dette de jeu, s’enfuit avec Mammy Torres.

Qui est ulcéré des délires de la dame et des conséquences désastreuses que cela entraîne…Mais -on s’en doute -il l’aime à en mourir et il s’enfuit avec elle.

Les dernières images de Nellie sont tristes voire dégagent une poésie désespérée. Elle s’enfonce à pied sur une route, la nuit, et disparaît…Bien entendu elle meurt assassinée mais on ne le voit pas.

©Paramount Pictures

Le film se termine en 1952, dans un Hollywood beaucoup plus sage et policé…En apparence bien entendu.

Dans un cinéma, Torres, marié et père de famille, va voir…Singin’ In The Rain, le classique de Stanley Donen évoquant ce même âge d’or et de plomb du cinéma.

Le vil plomb étant la terrible chute de stars du muet et de professionnels qui ne purent se reconvertir…Il pleure. Puis le film se termine avec un curieux hommage speedé et totalement décousu de Chazelle au cinéma du siècle passé, depuis les premiers temps jusqu’à James Cameron.

Ce qui prouve que Chazelle est un cinéphile tout-terrain…

Il envoie comme des projectiles au spectateur un peu médusé des extraits -notamment- de Le Voyage Dans La Lune, Rosemary’s Baby, mais beaucoup plus près de nous des Jurassic Park, Terminator 2 ou Avatar !

Cette fin qui semble nous extraire du film pour nous entraîner pour quelques minutes dans un concentré compact de cinéphilie -celle de Chazelle -a été critiquée. Elle a été ajoutée par la suite, a expliqué le cinéaste. La fin montrant Torres en larmes face à ses souvenirs ravivés par la vision de Singin’ In The Rain paraissait trop sage, un peu décevante…

Eh bien, c’est au public de juger.

On note encore le personnage de Lady Fay Zhu (Li Jun Li). Il est inspiré de l’actrice populaire sino-américaine Anna May Wong qui -comme le personnage de Babylon -s’exila en Europe pour y tourner des rôles moins stéréotypés qu’aux États-Unis .

Mais c’est la sensationnelle Margot Robbie qui se taille la part de la lionne dans cette mémorable saga, qui correspond à une certaine conception du cinéma. Avec notamment des scènes grandioses de tournage de film dans le film, dans le désert avec des milliers de figurants…

Celui qui fait rêver, celui qui est plus grand que nous, celui qui est larger than life !