À la découverte d’une Franc-Maçonnerie d’inspiration égyptienne qui renoue avec les vieux cultes à mystères.

La Franc-Maçonnerie est un ordre initiatique qui puise ses racines dans les rites anciens qui l’ont précédée. Être initié à des mystères supposément issus d’antiques traditions entraîne une implication personnelle de l’impétrant qui fait appel à sa réflexion, à son ressenti et à son désir de connaissance de soi, en vue de progresser spirituellement. C’est une démarche qui repose sur une forme d’indépendance d’esprit et de recherche qui se marie mal avec l’acceptation de dogmes imposés, d’où l’existence de tensions entre les religions et la Franc-Maçonnerie. Pour lire une interview d’un Franc-Maçon d’aujourd’hui qui se dévoile, voyez notre article sur Jacques Ravenne.

En 1717 la réunion de quatre loges au sein d’une Grande Loge d’Angleterre marque la naissance officielle de la Franc-Maçonnerie. Celle-ci est évidemment plus ancienne puisque pour se réunir ces loges devaient déjà exister. Nous avons des preuves de l’existence de loges au XVIIème siècle en Angleterre, et peut-être même au XVIème siècle en Ecosse. Les Maçons aiment se donner pour ancêtres les bâtisseurs de cathédrales mais cela est moins certain et pourrait être une manière de se donner de l’importance en se vieillissant.  En effet, en matière de rites, « vieux » rime avec « prestigieux ». Si certains rites maçonniques vont encore plus loin en faisant référence aux Templiers ou à la Kabbale, il n’est pas étonnant que dès le XVIIIème siècle des Maçons soient allé chercher leur inspiration dans l’antique et prestigieuse tradition initiatique de l’Egypte Ancienne. 

Tableau symbolique

Le culte de Mithra

Etymologiquement, Misraïm veut dire « Égypte » en hébreu. Quant à Memphis, c’est le nom de la capitale de l’Egypte durant l’Ancien Empire. Elle abritait le fameux temple du dieu Ptah, le Hout-ka-Ptah, qui par déformation des Grecs serait devenu Aegyptos et aurait donné le nom du pays, Egypte, alors que les habitants du pays appelaient celui-çi Kemet, c’est-à-dire « le pays de la terre noire », allusion au limon noir du Nil. Il y avait aussi à Memphis un temple de Mithra dont le culte se répandit également dans tout l’empire romain. C’est un culte à mystères, Mithra est né de la pierre (pétrogenèse) et sacrifie un taureau (tauroctonie), image toujours représentée dans son temple.

Intéressons-nous un peu à ce temple rectangulaire, le mithraeum. Les adeptes de ce culte mithraïque travaillaient assis face à face sur deux banquettes, le maître étant assis à une stalle surélevée et placée à l’Orient du temple, entouré d’un soleil et d’une lune. Deux frères porteurs de flammes se tenaient à l’Occident devant deux colonnes. Les temples de Mithra étaient à moitié enfouis pour rappeler une grotte, sans fenêtres, le sol couvert de carreaux noirs et blancs, la salle surmontée d’une voûte semi-circulaire étoilée. Tous ces éléments seront repris bien plus tard dans les temples maçonniques.

L’initiation au culte de Mithra débutait par l’enfermement de l’impétrant dans un caveau sombre et froid où il méditait face à un crâne et des ossements humains. Puis le néophyte était amené nu et les yeux bandés devant le Pater qui présidait la cérémonie entouré de ses dignitaires. Les poignets liés, il était promené à travers le temple dans un vacarme qui lui faisait craindre pour sa vie, était purifié par l’eau, puis, un genou en terre devant le Pater qui lui posait un glaive sur l’épaule, il prononçait des serments qui l’engageaient et recevait en échange l’instruction de signes secrets et poignées de main rituelles.

Isis, divinité égyptienne

Un autre très important culte à mystères est celui d’Isis et d’Osiris dans lequel le mystère de la Vie et de la Mort joue un rôle capital, tout comme en Franc-Maçonnerie. Certains n’hésitant pas à expliquer l’expression « Les Enfants de la Veuve » qui désigne les Francs-Maçons, comme relative à Isis, veuve d’Osiris. L’opéra maçonnique de Mozart en 1791, La Flûte Enchantée,  fait clairement allusion aux Mystères d’Isis.  

Lorsque le christianisme se développa dans l’empire romain et jusqu’en Egypte, les adeptes de ces anciens cultes à mystères furent d’abord interdits, puis pourchassés, leurs temples détruits ou transformés parfois en crypte pour les nouvelles églises. Certains s’enfuirent dans le sud-est de la Turquie où ils étaient connus sous le nom de Sabéens, mot d’origine copte signifiant le Peuple des Etoiles. Les invasions mongoles du XIIIème siècle les détruisirent dans ce dernier refuge. Hermétistes, ils considéraient les pyramides de Guizèh comme le tombeau d’Hermès Trismégiste et s’y rendaient en pèlerinage.

Joseph Balsamo, dit « Cagliostro »

La Campagne d’Egypte de Napoléon en 1798 permit de redécouvrir les merveilles de ce pays et lança la mode de l’égyptomanie à laquelle la Franc-Maçonnerie n’échappa pas. 

Toutefois, certains Maçons précurseurs n’avaient pas attendu Bonaparte pour faire revivre les rites égyptiens. Parmi eux, le célèbre Joseph Balsamo, dit « comte de Cagliostro ».

Étrange vie que celle de ce Sicilien né à Palerme en 1743 et mort dans les prisons du pape en 1795. Issu d’une famille qui fut probablement juive, il rentre néanmoins au séminaire catholique d’où il sort moine sous l’habit des Frères de la Miséricorde parmi lesquels il devient infirmier, puis médecin. Mais chassé de sa communauté pour quelques indélicatesses financières, il se retrouve sur les routes de l’Orient, fuyant sa patrie où il est recherché.

Il visite de nombreux pays, dont l’Egypte, la Perse et l’Arabie, et il acquiert de nouvelles connaissances alchimiques et médicinales qui lui seront bien utiles pour développer une médecine bien à lui à caractère miraculeux… plus proche de l’escroquerie que de l’Académie.

Le temps étant passé et s’étant fait oublié, il revient en Italie en 1768 où il épouse à Rome Seraphina, sa future complice. Ensemble ils vont écumer l’Europe de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, de Venise à Londres, ville dans laquelle il sera initié à la Franc-Maçonnerie en 1777 dans une loge francophone. Il part ensuite pour Bruxelles. 

Se présentant partout comme mage et thaumaturge, il connaît un grand succès dans les milieux aristocratiques et maçonniques. Vendant à grand prix ses élixirs, son Eau de Jouvence, son Sérum de Jeunesse Éternelle et autres pilules magiques, il se dit héritier du célèbre comte de Saint-Germain. Son succès mondain se brise lorsqu’il est impliqué dans L’Affaire du Collier de la Reine, il est arrêté et expulsé de France. Pour son malheur il décide de retourner en Italie où il est arrêté par la Sainte-Inquisition pour le crime d’être un pratiquant de la Franc-Maçonnerie, interdite par le pape. On ne rigole pas avec les bulles anti-maçonniques du pape : Cagliostro est condamné à mort ! Sa peine commuée en prison à perpétuité, il est enfermé dans d’horribles, sombres et humides cachots où il mourra suite à ses mauvaises conditions de détention.

Une grande richesse de rites

Pendant son séjour parisien, Cagliostro avait importé en France les rites égyptiens de la Franc-Maçonnerie qui y connurent un grand succès et pour lesquels il a joué un rôle très important dans leur diffusion. Il existait déjà à la fin de XVIIIème siècle de nombreux rites d’inspiration « égyptienne », par exemple : Les Architectes Africains, le Rite Primitif des Philadelphes, le Rite des Parfaits Initiés d’Egypte, l’Ordre Sacré des Sophisiens, ou encore Les Amis du Désert.

À l’origine il y a deux rites, le Rite de Memphis et le Rite de Misraïm. C’est toutefois plus tard qu’ils se sont plus largement développés au sein de la Franc-Maçonnerie, notamment au XIXème siècle sous l’influence de Garibaldi en Italie et au XXème siècle sous celle de Robert Ambelain en France. 

Il serait trop fastidieux d’entrer dans les détails de ces différents rites mais ils ont souvent des lignes de force communes qui les traversent : importance des mythes et symboles, des anciens mystères, relation de l’homme au sacré, voire une forme d’occultisme. 

Citons pour leur évocation poétique le nom de certains des grades égyptiens : Subtil Elu de la Vérité (38ème degré), Chevalier de l’Arc-en-Ciel (41ème), Prince du Zodiaque (44ème), Chevalier des Sept Etoiles (47ème), Sublime Gardien des Trois Feux (60ème), Patriarche des Planisphères (70ème), ou encore Patriarche de la Cité Mystique (89ème).

Encore pratiqués aujourd’hui dans de nombreuses obédiences de par le Monde, ils restent néanmoins très minoritaires au sein de la Franc-Maçonnerie. C’est dire l’intérêt de cette exposition qui lève un voile (d’Isis ?) sur ces rites peu connus. Vous y verrez de nombreux documents, objets rituels et même la reconstitution d’un temple de rite égyptien.

Devant l’attrait suscité, l’exposition est prolongée jusqu’au 18 septembre 2022.

Exposition Initiations Egyptiennes au Musée de la Franc-Maçonnerie, 16 Rue Cadet, 75009 Paris, jusqu’au 18 septembre 2022.