« La Maison », un inédit de Julien Gracq
Les Éditions José Corti publient La Maison, un court récit de Julien Gracq (1910-2007), écrivain majeur du XXe siècle. Le texte d’une vingtaine de pages se déroule probablement en 1941. Gracq qui a été prisonnier de guerre a repris ses activités de professeur d’histoire-géographie au lycée d’Angers. Toutes les semaines, l’écrivain-narrateur prend un car duquel il aperçoit à travers des feuillages une étrange maison.
L’instant devient une rencontre
Cette villa de plage « prétentieuse et médiocre » de style Belle Époque apparaît dans une friche « la plus abandonnée qu’on pût voir ». À l’occasion d’une panne de car, le narrateur décide de visiter cette maison. Sous la pluie, la promenade est désagréable. Le narrateur ne s’explique pas ces « forces » qui le poussent à s’éloigner de la route. Dans le fouillis des taillis, la bâtisse mal proportionnée aux « boiseries grossièrement sculptées » lui inspire noirceur et répulsion. D’humeur maussade, le narrateur ressent l’atmosphère lugubre, cette maison pourrait être celle d’un pendu. Il est étonné d’entendre deux coups de feu alors que la France est sous Occupation et que les armes sont interdites. En s’approchant, il constate l’état d’abandon de cette « construction de plaisance dérisoire ».
Après la traversée des bois et des ronces, il y a une première éclaircie. Un oiseau chante. L’instant devient une rencontre et l’impression de décrépitude s’atténue. D’une fenêtre de la façade palpite « un reflet faible et dansant ». En contournant la maison, le narrateur est surpris de découvrir « les restes d’un déjeuner sur l’herbe », un repas partagé à deux. La pluie fine a assombri ses pensées : « le rideau était retombé, la scène vide ». Mais il entend une voix. Le chant envoûtant parvient d’une des pièces de la maison. Troublé, il devine un corps, la chevelure d’une femme.
Condensé de ses œuvres
Julien Gracq s’est fait connaître du public en 1951 par un grand coup d’éclat, en refusant le Prix Goncourt pour Le Rivage des Syrtes. En 1948, il a publié un essai très remarqué sur André Breton dont il était un admirateur. Gracq n’a pourtant pas fait partie du mouvement surréaliste ni d’aucun autre mouvement littéraire. La Maison est un condensé de ses œuvres : richesse de la langue, dimension contemplative… L’écriture imagée est rythmée par les influences de la nature, un univers mystérieux.
Le livre des Éditions Corti propose également le plan et le fac-similé des deux états successifs du manuscrit. Le premier document est raturé, Gracq noircissait jusqu’à plusieurs lignes d’un même paragraphe. À la marge, il y a des annotations, des reprises de phrases. Le second texte plus limpide contient des mots soulignés qui apparaissent en italique dans la publication : brande, gâte (description du paysage bocager), aura, ombre portée…
Le manuscrit de La Maison sera présenté dans l’exposition qui sera consacrée à l’écrivain à la Bibliothèque nationale de France, à partir du 11 juillet 2023. Gracq a fait don à la BnF de tous ses manuscrits dont vingt-neuf cahiers de fragments tenus depuis 1954 – il a autorisé leurs publications vingt ans après sa mort, soit en 2027. Le texte de La Maison ne fait pas partie de cette série de cahiers. Il a été redécouvert par Bernhild Boie, l’exécutrice testamentaire de Gracq, et confié aux écrivains Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes qui dirigent les Éditions Corti.
La Maison de Julien Gracq, 77 pages, 15 € – Éditions Corti.