Classée en juillet 2024 par l’UNESCO au Patrimoine Mondial de l’Humanité, la Via Appia a connu une bien étrange histoire en l’année 1485. Une jeune fille morte depuis des siècles, parfaitement conservée. Qui était-elle ?

Illustration: Ombres sur la Voie Appienne, Rome © Attila2008

La Voie Appienne, dite Via Appia en latin, est une antique voir romaine de plus de 500 km de long, qui part de Rome et aboutit dans les Pouilles. Son initiateur en 312 avant JC est Appius Claudius Caecus, de la famille des Claude, elle porte dont le nom de son fondateur. Capoue était passée depuis sous le contrôle de Rome, et cette voie allait permettre d’affirmer ce contrôle par le commerce et l’envoie rapide de troupes en cas de besoin. Vers 191 avant JC elle fut prolongée jusqu’à Brindisi, à l’époque le plus important port de commerce avec la Grèce, d’où les légions romaines s’embarquaient vers l’Afrique et l’Asie Mineure.

Le tracé de la Via Appia © Wikipedia Commons

Comme le dit très justement Le Courrier International : « La construction de l’Appia a nécessité des travaux herculéens, le percement de reliefs, le creusement de canaux, l’édification de ponts, de viaducs et de digues mais aussi de relais de poste et d’auberges pour accueillir hommes et chevaux. En plus d’avoir résisté à plus de deux millénaires, la Via Appia témoigne de l’ingéniosité des bâtisseurs romains. Alors que les routes n’étaient encore que des chemins herbeux, boueux et rocailleux, ils ont inventé la voie moderne, assez large pour permettre à deux chariots de se croiser, flanquée de trottoirs en terre battue pour les piétons et d’un système de drainage pour évacuer les eaux de pluie. »

La Voie Appienne est aujourd’hui une merveilleuse promenade © DR

C’est sur cette voie que furent posées les premières bornes militaires, qui deviendront un des signes de la domination romaine dans toute l’Europe. Même l’apôtre Paul emprunta cette voie. Après la chute de Rome, la Voie Appienne tomba en désuétude, encore empruntée par les pèlerins et les chevaliers croisés en route vers la Terre Sainte. Sa restauration fut remise en chantier au XVIIIe siècle par le pape Pie VI sous le nom de Nouvelle Voie Appienne. Elle est encore empruntée de nos jours, même par des voitures sur certains tronçons. La Via Appia mérite son surnom de Regina Viarum, Reine des Routes. En juillet 2024 l’UNESCO a classé 24 tronçons de cette voie. C’est le 60e site italien classé par l’UNESCO.

La première borne militaire romaine de la Voie Appienne, l’original est au Capitole, une copie se trouve sur la voie © Wikipedia Commons

Tout ceci vous pouvez le lire sur la plupart des sites d’informations culturelles ou généralistes. Parlons maintenant de quelque chose de plus mystérieux, que le temps a failli ensevelir sous sa poussière, mais que les historiens n’ont pas oublié.

La mystérieuse jeune fille morte de la Via Appia

L’histoire a été rapportée par tous les chroniqueurs romains de l’époque, c’est-à-dire de l’an 1485, et on compte plus de 20 000 témoins oculaires. Les archives du Vatican en font foi également, car cela a perturbé l’Église à l’époque. Le lundi 18 avril 1485, des ouvriers qui cherchent à s’accaparer du marbre de construction dans des vestiges romains qui se trouvent le long de la Voie Appienne. Un grand classique de toutes les époques, hélas, une pratique qui a détruit tant de monuments au cours des âges. Les voleurs tombent dans un trou, au travers de ce qui semble être la voûte d’un antique tombeau. Dedans ils trouvent un sarcophage, chose habituelle dans la région car on enterrait beaucoup le long de cette route. Quelle aubaine, peut-être y aurait-il un trésor à l’intérieur… Ils l’ouvrent et : stupeur ! Le corps parfaitement conservé d’une jeune fille, nue, repose dans le sarcophage.

La Nouvelle Voie Appienne au XIXe siècle. Photo de James Anderson (1813-1877) © Wikipedia Commons

Bartolomeo Fonte, un humaniste florentin de la Renaissance, le décrit à l’époque ainsi : « Un corps étalé en morceaux, recouvert d’une substance haute de deux doigts, grasse et parfumée. Une fois la croûte odorante enlevée, un visage d’une pâleur si limpide apparaissait qu’on aurait dit que la jeune fille avait été enterrée le jour même. Ses longs cheveux noirs adhéraient encore à son crâne, étaient séparés et noués comme il sied à une jeune fille, et rassemblés dans un filet de soie et d’or. Des oreilles minuscules, un front bas, des sourcils noirs, et enfin des yeux de forme singulière sous les paupières desquels on pouvait encore voir la cornée. Même les narines étaient intactes et si douces qu’elles vibraient au contact du doigt.

La belle inconnue, conservée intacte depuis des siècles comme une vampiresse, dessin du 19 avril 1485 © DR

Ses lèvres étaient rouges, entrouvertes, ses dents petites et blanches, sa langue écarlate même près du palais. Les joues, le menton, la nuque et le cou semblaient palpiter. Les bras descendaient intacts des épaules, de sorte que, si vous le vouliez, vous pouviez les bouger. Les ongles adhéraient encore aux beaux et longs doigts des mains tendues. En revanche, la poitrine, le ventre et les genoux étaient comprimés d’un côté et, après l’enlèvement de la croûte aromatique, ils se décomposaient. Le dos, les hanches et le derrière, en revanche, avaient conservé leurs contours et leurs formes merveilleuses, de même que les cuisses et les jambes qui, dans la taille, avaient certainement présenté des qualités encore plus grandes que le visage. »

Etait-elle la fille de Cicéron ? Le buste de Cicéron au Musée du Capitole © Wikipedia Commons

Le lendemain, 19 avril, l’historien Gaspare Pontani témoigne : « Le mardi, ledit corps a été transporté à la maison des Conservateurs (Palazzo dei Conservatori in Campidoglio), et tant de gens sont venus le voir qu’il semblait y avoir un pardon (indulgence plénière), et il a été mis dans une boîte en bois et exposé à découvert ; c’était un corps jeune, il paraissait avoir 15 ans, il ne lui manquait aucun membre, il avait des cheveux noirs comme s’il était mort peu de temps auparavant, il avait un mélange dont on disait qu’il avait conservé ses dents blanches, sa langue, ses cils ; on ne sait pas si c’était un homme ou une femme, beaucoup pensent qu’il est mort en l’an 700. »

Innocent VIII, un nom de pape bien mal choisi © Wikipedia Commons

20 000 personnes défilent en une journée pour voir le cadavre, c’est de la folie ! Certains pensent qu’il s’agirait de la fille de Cicéron, Tulliola, mais aucune inscription sur le sarcophage ne le confirme, et le monument funéraire qui était sur la route a été depuis longtemps détruit. La beauté de la jeune fille fascine les foules.

Le Muro Torto, partie du Mur d’Aurélien où l’on se débarrassait des morts encombrants © Wikipedia Commons

Le pape Innocent VIII s’alarme de la publicité faite autour de la jeune vampiresse. Il est connu pour son népotisme, sa corruption et pour avoir organisé le mariage de ses propres enfants illégitimes au Vatican. Il augment les pouvoirs de l’inquisition et pourchasse les Juifs. Heureusement il sera remplacé après sa mort par un autre pape: Alexandre Borgia ! O Tempora, O Mores… Ce n’est pas de quelqu’un comme Innocent VIII qu’il faut attendre une réaction normale. Craignant qu’un véritable culte se développe autour du cadavre nu de la jeune païenne, il fait enlever de nuit son cadavre par ses sbires. Il ordonne soit de le jeter dans le Tibre, soit de l’enterrer dans le cimetière réservé aux prostituées, aux voleurs, vagabonds et suicidés, aux pieds du Muro Torto. On ne sait pas. En dehors des nombreux témoignages, il ne subsiste d’elle qu’un croquis pris de la morte sur le vif, le 19 avril 1485. C’est celui que nous avons reproduit dans notre article.


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