« La Nuit du 12 » de Dominik Moll : anti thriller ?
Après « Seules les bêtes » et « Harry, un ami qui vous veut du bien » qui ont marqué les esprits, à quoi s’attendre avec l’interprétation cinématographique du livre de Pauline Guéna ? Le schéma narratif et le suspens qui en découlaient dans les précédents opus sont secondaires dans « La Nuit du 12 » de Dominik Moll. Un meurtre non élucidé en est le point de départ.
Au commencement était un crime
Il roule les yeux braqués sur nous, il roule en boucle rageusement sur la piste du vélodrome de Grenoble, tandis que se fait entendre la B.O avec son cœur de voix féminines. Le cycliste dansant sur son vélo serait le coryphée propre aux tragédies gréco-romaines. Le ton est donné, il s’agit du drame et le regard face caméra, c’est celui de Yohan interprété presqu’avec grâce par Bastien Bouillon.
Grâce et rage ? Deux termes antithétiques. Candeur, impassibilité, maîtrise, neutralité extériorisées…Rage, colère, impuissance intériorisées. Autant de termes qui caractérisent Yohan, responsable de la PJ de Grenoble, à laquelle on fait appel pour retrouver le meurtrier de Clara, brûlée vive en pleine nuit. Elle quittait sa meilleure amie, Nanie, elle venait de lui laisser un message vidéo pour lui témoigner son amitié avec la fougue et le sourire de sa jeunesse.
Un chat miaule dans la nuit du quartier endormi de la Maurienne. Un chat, figure qui reviendra souvent dans ce film signé par Dominik Moll, chat indépendant, indifférent.
Mais on sait déjà, ça nous a été écrit blanc sur noir avant même que Yohan nous balance sa colère, (comme si nous tous, spectateurs, étions les coupables), qu’un meurtre inspiré d’un fait réel resterait non élucidé.
De l’obscurité de la Maurienne, un homme cagoulé surgit, asperge Clara d’essence, la flamme d’un briquet jaillit. Le corps incandescent court lentement dans la nuit. Dominik Moll fait usage du ralenti et rappelle son cœur féminin : le drame à son paroxysme. Le cadavre calciné de Clara sera retrouvé le lendemain.
Ébauche d’enquête inaboutie
Il y a Yohan et Marceau, campé par Bouli Lanners, qui le seconde dans l’enquête. Un Marceau qui voulait devenir professeur de français, un Marceau subjugué par la nature, un Marceau sensible en proie à la détresse du divorce demandé par son épouse, un Marceau qui regarde, au cours du film, une scène de meurtre en noir et blanc. Plan sur les pieds du tueur qui appuie sur la gâchette, visage et buste de la femme qui reçoit la balle, pieds qui dévalent rapidement l’escalier : rien dans cette mise en abîme sur l’identité du tueur.
Un Marceau qui surtout sait aussi faire la différence entre « une fille facile et une fille pas compliquée ». Parce que oui, là réside toute la nuance de l’éternelle question féministe, élan de la vague #Metoo.
On apprend en effet, que Clara avec gourmandise, curiosité ou sentimentalisme s’est aventurée dans les bras de plusieurs suspects. Tous sont interrogés au fil de l’enquête et la plupart d’entre eux manifestent la même indifférence, à l’instar de la figure du chat évoqué plus haut. Clara est la copine de seconde zone ; pour l’un la sex-friend, pour les autres la maîtresse et pour l’un d’entre eux (un type marginal auquel Clara rendait visite, à l’insu même de Nanie) la beauté incarnée, innocente venait se réfugier dans le bungalow négligé.
Nanie qui justement en larmes interroge Yohan à son tour. Qui est le coupable, celui qui a tué Clara ou Clara elle-même ?
Yohan, dans cet interrogatoire mené auprès de la jeune femme, est pris dans le piège de la masculinité, d’une police dirigée par des hommes cherchant les hommes coupables. Est-ce d’ailleurs un homme à l’origine du meurtre ? La question est vite évacuée : il s’agit forcément d’un féminicide. On ne se pose plus la question. L’homme coupable est recherché par des hommes comme si la violence était une affaire purement masculine. C’est la dernière recrue et unique femme au sein de la PJ, interprétée par Mouna Soualem, qui le constatera.
Il y a une autre femme dans l’enquête. Cette femme, c’est la juge, sa voix légèrement chevrotante qu’on lui connaît bien est celle d’Anouk Grinberg : force et détermination. Elle mettra tout en œuvre pour élucider le féminicide abandonné faute de moyens par la PJ de Grenoble. Oui, parce que dans le film de Dominik Moll, il est question de faire un calamiteux constat : les moyens dérisoires dont les policiers bénéficient.
Au terme de l’enquête, par un astucieux procédé, ne sera déclaré aucun verdict, aucune loi, mais seulement des chiffres à déplorer : entre le 1er juillet et le 15 aout 2022, on a déjà décompté 18 victimes de féminicides en France.