À 19 ans, Halle Bailey, jeune actrice, chanteuse et compositrice, a décroché le rôle principal, celui d’Ariel, pour le prochain film live-action Disney La Petite Sirène. C’était sans compter la nuée de commentaires négatifs aux relents racistes qui ont suivi l’annonce officielle de sa sélection. Alors oui, Halle Bailey a des jambes (pardon ?) alors qu’elle est censée jouer une sirène, mais ce qui fait réellement débat, c’est la couleur de sa peau. 

©Denver Balbaboco

« Les Caucasiens ont le monopole de la mer ! »

Quelle entrée en matière…pourtant, c’est bien là un argument que partagent certains internautes, grands défenseurs de l’idée selon laquelle les sirènes sont et doivent rester blanches. Certains peuvent en rire, d’autres les ignorer, mais de tels commentaires ne devraient en aucun cas être passés sous silence. Le choix d’une actrice afro-américaine pour incarner le rôle de la célèbre Petite Sirène, n’est en rien une mauvaise idée !

La « woke » sirène selon certains

En 1989, le film d’animation La Petite Sirène sortait sur grand écran. Tous les enfants ont découvert une jeune fille blanche à la queue de poisson, extrêmement mince, belle et aux cheveux d’un roux rougeâtre que même les coiffeurs les plus aguerris auraient du mal à reproduire sur vous. Ariel est née, la sirène parfaite ! Si belle et si irréelle. Dès cet instant, toutes les femmes-poissons doivent lui ressembler.

De ce fait, jeter son dévolu sur une actrice noire pour le prochain film en live-action ne coïnciderait pas. Disney est accusé de « blackwashing » par de nombreux fans, entendez par là qu’un.e acteur.rice afro-américain.e est retenu.e pour jouer un personnage qui a été toujours représenté comme blanc.he/caucasien.ne.

Coup de communication de la part de Disney ? Peut-être, sauf si on essaie d’être un peu plus optimiste. En effet, notamment depuis 2015, suite à la dénonciation du manque de diversité lors de la cérémonie des Oscars (#OscarSowhite), la visibilité des acteur.rice.s afro-américain.e.s ne cesse de croître dans les films et séries. À l’inverse, le « whitewashing » et le racebending ne déchainent aucun questionnement majeur. Personne n’a été surpris de voir un acteur caucasien jouer le rôle d’un Perse dans « Prince of Persia ». Ou encore, dans les livres « Hunger Games », l’héroïne est décrite comme ayant la peau mate alors que dans les films, c’est la très blanche Jennifer Lawrence qui est à l’affiche. À partir de la fin des années 1820, aux Etats-Unis, le minstrel show est créé et met en scène des acteurs blancs grimés en noir de façon ridicule. 

©The New York Times

D’autres détracteurs vous diraient que le dessin animé a été inspiré du conte de Hans Christian Andersen paru en 1837. L’auteur est de nationalité danoise, le raccourci serait donc d’affirmer que, sans contre-indication, ses héroïnes doivent l’être aussi. Lorsque l’on pense de manière trop stéréotypée à une Danoise, on imagine une femme au prénom guttural portant un casque viking visé sur une longue chevelure blonde. Ce n’est pas exactement comme cela non plus que nous la présente Disney. 

« Oui, mais, renchériraient d’autres, il faut que le film concorde le plus avec l’œuvre originale .» Dans ce cas-là, sachez que dans l’histoire originale la Petite Sirène se suicide et, dans une autre mesure, la Belle au bois dormant se fait violer. Et indépendamment des histoires et des contes, retournons aux récits de l’Antiquité et des mythes scandinaves. La sirène est un monstre, le fruit d’une relation entre un ange déchu et une humaine. Cette dernière attirait les marins grâce à une voix enchanteresse afin qu’ils se tuent en mer.

« Hâte de voir Tom Holland jouer Kirikou »

Imaginez maintenant Mulan jouée par une actrice indienne. Impensable ? Dans certains films, le choix de l’acteur doit correspondre à la description de la version originale. Pourquoi ? Parce qu’ici, l’ethnie est importante, car elle fait partie du récit. Mulan doit être chinoise parce qu’on aborde justement sa lutte pour sauver la Chine. Exemplification du terme racebending dans le cas où l’ethnie serait modifiée.

Dans La Petite Sirène, la localisation – si ce n’est la mer – n’a pas d’importance. Peu importe l’origine ethnique, rien ne changera le sens de l’histoire. Petit détail néanmoins, si vous visionnez prochainement le dessin animé de Disney, vous écouterez la chanson de Sébastien, le crabe, intitulée « Sous l’océan », le rythme est inspiré du style musical calypso originaire… des Caraïbes. 

« Le but de Disney, c’est de massacrer toute la mythologie européenne ? »

Halle Bailey

« L’Europe étant une construction de l’esprit humain à partir d’une réalité géographique, il y a eu depuis que les hommes y réfléchissent, une immense varité d’Europe. », écrit Jean Monnet Préface » in J-B. Duroselle, L’idée d’Europe dans l’histoire, 1965)

La dénomination Europe est à prendre avec des pincettes, car elle n’a pas toujours signifié la même chose. Le nom de notre continent Europe est originaire de la mythologie grecque, notamment du mythe « le viol d’Europe ». Parce qu’elle est belle et jeune, le dieu Zeus tombe sous le charme de la princesse Europe, le titre du mythe laisse deviner la suite du récit.

Tous les mythes européens devraient-ils, de ce fait, aborder un viol ? Non évidemment. Comment qualifier un mythe européen ? Depuis l’Antiquité, la conceptualisation de l’Europe a eu des contours mouvants. D’abord considéré comme un espace strictement géographique, ce n’est qu’après le Seconde Guerre mondiale que l’Union européenne est vue comme un véritable espace de paix et de stabilité.

Nous n’allons pas faire ou refaire l’histoire de l’Europe, mais parler strictement de « mythologie européenne » n’est pas judicieux, car, comme dit précédemment, cette histoire est pleine de rebondissements et le sera encore dans le futur. L’Angleterre, par exemple, fait partie de l’Europe mais plus de l’Union européenne. Doit-on de ce fait retirer tous les récits du répertoire européen ? Non plus.

Lecteur.trices, la culture est plurielle et le talent ne se mesure pas en nuances de couleurs. Une sirène jouée par une actrice afro-américaine n’est pas scandaleux. Le chemin de l’intégrité est cependant encore long et comme le prônait Rosa Parks :

Si nous baissons les bras, nous sommes complaisants envers les mauvais traitements, ce qui les rend encore plus oppressifs.

Rosa Parks