Bien que le premier texte de littérature mondiale remonte au XXIIIe siècle avant notre ère et est attribué à une poétesse et scribe mésopotamienne, En-Hedu-Ana, ce n’est qu’en 2017 qu’un texte écrit par une femme a pour la première fois été inscrit au programme du baccalauréat littéraire en France. Et les femmes restent à ce jour encore largement exclues des programmes et des manuels scolaires dans toutes les disciplines.

Depuis des années, nous constatons que de nombreux mouvements (artistiques, contestataires, etc.) en faveur des libertés féminines voient le jour, où plutôt font enfin parler d’eux. Nous pouvons citer le « succès » de #MeToo et #BalanceTonPorc, l’ouverture de masters d’études de genre dans diverses universités, des séminaires ou colloques axées sur des auteurs ou des questions féministes. La situation sociale et idéologique de notre époque semble propice à la promotion de la culture féministe. Mais.

Avez-vous des souvenirs précis de votre scolarité ? Souvenez-vous du nom de plus de 3 femmes mentionnées dans vos cours et qui ont marqué votre esprit durant vos années en secondaire ? Les femmes sont les bonnets d’âne mis au fond de la classe. Elles sont, bien entendu, parfois citées, mais jamais – ou presque – étudiées en priorité.

George Sand dans une photographie datée de 1864 PHOTO 12 / ANN RONAN PICTURE LIBRARY

Lorsque l’on enseigne le romantisme, le premier nom qui nous traverse l’esprit est celui de Victor Hugo. Que pouvons-nous dire de George Sand et Mary Shelley ? La première est certes souvent abordée, et ce, peut-être parce qu’elle a choisi un pseudonyme masculin pour entrer dans l’histoire. Et ça a fonctionné. Connaissez-vous Elisabeth Vigée Le Brun ? Non ? Pourtant, elle a sa place dans les cours abordant le rococo/néo-classicisme. Il en est de même pour Marie Krysinska, figure de la poésie symboliste.

Manque de talent ? Manque de reconnaissance dû à leur sexe ? Manque de savoir ou d’audace de la part des enseignants du secondaire qui ne les incluent pas dans leur cours ou encore manque de textes produits par des femmes ? D’un côté, nous pouvons être assez d’accord avec l’idée générale qu’il y a des textes meilleurs que d’autres, mais cela ne dépend absolument pas du sexe de l’artiste.

Prenons l’exemple de Voltaire qui au XVIIe siècle a plagié Brutus, texte initialement écrit par Catherine Bernard et La mort de César écrit par Marie-Anne Barbier. Bien que les textes de Voltaire aient été jugés de moins bonnes qualités, ce sont eux qui sont aujourd’hui étudiés. Il n’y a [peut-être] pas de chef-d’œuvre « inconnus », mais des œuvres intéressantes à lire injustement méconnues.

Bien entendu, il ne faut pas enseigner les œuvres des auteures pour le simple fait qu’elle soit des femmes, il faut les enseigner parce qu’elles [les œuvres et les femmes] ont un réel intérêt didactique et pédagogique.

Le statut de la femme artiste : ligne phallocentrique du temps

La Préhistoire

Difficile de connaître la place de la femme durant cette période. En effet, nous disposons de peu de sources et peu de traces. Certain.e.s historien.ne.s du siècle précédent décrivaient la femme préhistorique comme faible et inférieure à l’homme chasseur. Les recherches contemporaines se mettent davantage d’accord sur une approche égalitaire du statut de l’homme et de la femme ; voire même un statut de déesse, le corps de la femme était vénéré (toutes les statues retrouvées, datant de cette époque, représentent des corps de femme nue). Les réalisations artistiques de la Préhistoire ont autant de chances d’être féminines que masculines. L’étude des mains dans l’art pariétal montre qu’une grande partie serait tout simplement féminine.

Selon l’étude de l’archéologue Dean Snow, dans pas moins de huit grottes (Gargas, El Castillo, Pech Merle… ) ce sont des femmes qui ont laissé des empreintes pariétales dans 75 % des cas (Étude par l’indice de Manning, selon lequel l’annulaire masculin est plus long que son index, tandis que ces deux doigts sont à peu près de la même longueur chez la femme).

L’Antiquité

Les femmes n’avaient pas le droit de vote, elles n’avaient aucune légitimité, elles n’étaient pas comptées parmi les citoyens et appartenaient toujours à un homme (père ou époux). Dans l’un de ses textes, au Ve siècle, Tite-Live fait mention d’une école pour filles, mais leur éducation n’allait pas au-delà des 12 ans (âge légal pour se marier à l’époque). Les femmes produisent certes des objets artistiques et elles sont associées à des disciplines dites classiques comme la peinture et la sculpture. Cependant, à l’instar de leur confrère masculin, elles créent dans l’anonymat. Certaines sont mentionnées dans des œuvres écrites par des hommes comme celles de Pline l’Ancien, mais ce n’est que l’exception qui confirme la règle.

Le Moyen Âge

Portrait de Christine de Pisan (ou Pizan) écrivant – Miniature, XVème siècle.

Grande période de l’histoire qui génère beaucoup de changements bons comme mauvais. À cette époque, la femme est une religieuse, une mère, une épouse ou une veuve. Le rôle des femmes est toujours défini par les hommes et leur statut varie beaucoup selon leur place dans la société. Certaines ont la possibilité d’exceller comme brodeuses, tapissières ou encore fileuses de soie. Ce sont des pratiques qu’elles exercent dans des corporations ; où leur travail n’est pas signé.

Une dizaine de noms de femmes artistes et religieuses ayant enluminé des manuscrits sont cependant connus aujourd’hui : Ende, Guda, Anastaise, Diemode ou encore Claricia. Vers le XIIIe siècle, les femmes peuvent prendre part à la vie spirituelle et intellectuelle en devenant auditrices ou lectrices. Elles ont également la possibilité de travailler dans le commerce, l’agriculture et en médecine. Perte de ces droits à la fin du Moyen Âge suite à de nombreuses accusations de sorcellerie.

Quelques noms importants nous sont parvenus :

Marie de France, considérée comme la première femme de lettres en Occident dont la postérité est sans appel.  Elle écrit des lais en langue vulgaire.

Christine de Pisan est la première femme à vivre de sa plume. Ses écrits sont considérés comme faisant partie des œuvres fondatrices de la littérature féministe (source pour tous ceux qui soutiennent que les femmes méritent le même droit à l’éducation que les hommes).

Au XIIIe siècle, des poétesses comme Marguerite d’Oingt, Mechthild von Magdeburg et Marguerite Porete se font aussi connaître via leurs discours mythiques.

Les Temps modernes

Grâce à la Renaissance et à l’humanisme, nous pourrions penser que le statut de la femme s’améliore… Avec la redécouverte du droit romain, le pouvoir des femmes s’amenuise cependant et c’est le Code Napoléon qui, par la consécration du droit du Pater Familias, réduit petit à petit les libertés féminines ; bien qu’elles n’étaient déjà pas très nombreuses. L’instruction est particulière, les femmes doivent apprendre la lecture et le catéchisme avant tout car ces matières leur permettront d’éduquer leurs enfants. Cependant, des femmes telles que Mary Ward ont créé des fondations dans le but d’instruire des filles autrement qu’en étant cloîtrées. Si la femme ne prend toujours pas part à la vie politique, c’est parce qu’elle pourrait provoquer la dégradation de leur foyer. Néanmoins, elles sont de plus en plus présentes dans différents domaines (intellectuels, publiques, économiques).

D’autres femmes artistes ont proposé des programmes pour améliorer l’encadrement de l’instruction des jeunes filles telles que Madame de Scudéry et son cercle littéraire siège de la préciosité ainsi que Madame de Maintenon. Les femmes écrivent souvent aussi pour dénoncer des situations sociales et politiques, le plus souvent anonymement comme Marie Dentière. Mentionnons également la peintre Artemisia Gentileschi qui a pu se faire un nom, et ce, dès son vivant après avoir été formée par son père.

L’Époque contemporaine

Au début du XIXe siècle, les femmes n’ont aucun droit politique ou civique. Néanmoins, nous pouvons constater l’apparition progressive des féministes. Vers 1880, les universités de Bruxelles, de Gand, de Liège ouvrent leurs portes aux filles, mais le nombre d’étudiantes reste peu élevé. En effet, les jeunes filles n’ont pas spécialement suivi l’enseignement secondaire supérieur et que même en sortant de l’Université, elles n’ont pas le choix de professions intéressantes. En 1890, la loi autorise l’accès des femmes aux professions de médecin et de pharmacien.

En 1892, la Ligue belge du droit des femmes est créée. C’est la première association féministe belge. Durant le XXe siècle, beaucoup de productions faites par des femmes voient le jour, mais ces dernières ne sont pas forcément reconnues et doivent exercer un autre métier pour joindre les deux bouts. Les femmes ne sont que très peu reprises dans certains ouvrages regroupant les artistes de l’époque. Entre les deux guerres, retour de la femme au foyer puis nouvelles opportunités professionnelles. Droit à la même éducation que les hommes, mais elles sont toujours considérées comme inférieures. En effet, elles n’ont pas les mêmes opportunités professionnelles que les hommes. En 1920, l’Université de Louvain ouvre ses portes aux femmes, néanmoins les filles trop diplômées risquent de ne pas trouver de mari.

Elles acquièrent finalement le droit de vote en 1949. Un tournant marquant dans l’histoire de l’art se situe dans les années 60-70, moment historique où le champ artistique s’entrelace avec le mouvement de libération de la femme et s’en inspire. En 1980, il y a la création par le Ministère de l’Éducation Nationale d’une Commission pour l’égalisation des chances des filles et des garçons. 

Pour aller plus loin

La ligne du temps précédemment exposée est loin d’être suffisante et concluante. S’il fallait être pointilleux et n’omettre aucun détail, un doctorat sur le sujet en viendrait peut-être à bout. Les femmes artistes sont bien présentes dans l’histoire, si vous souhaitez aller plus loin dans la réflexion, je vous invite à lire l’article Femmes artistes, les grandes oubliées de l’histoire écrit par le mouvement féministe et solidaire Soralia.

Allez jeter un œil sur le Tumblr Invisibilisées créé par le collectif féministe Georgette Sand et qui regroupe de petites biographies de femmes qui n’ont pas eu la prospérité escomptée. Des sources, il y en a une pléthore. Mais pour terminer, abordons le livre publié par l’ONG le Salon des Dames, qui est LE manuel scolaire qui permet aux femmes d’être bien présentes dans les cours de français : « La mission est toute simple : donner une vision non plus masculine du monde mais MIXTE. Une société où les femmes existent non pas à travers le regard masculin mais pour elles-mêmes. » Céline Bizière, fondatrice de ce mouvement.

Valeur traditionnelle vs valeur moderne

L’éducation doit être le reflet de la culture passée et présente, et la culture moderne est profondément féminine. L’enseignement du français ne peut pas faire abstraction de ce « nouvel » intérêt ou plutôt cet intérêt longtemps étouffé de la femme artiste. La culture de l’école est à mi-chemin entre connaissance de la vie et connaissance des arts et des lettres. Comme le dit Hannah Arendt, il ne faut néanmoins pas se borner à s’enfermer dans une idéologie moderniste sinon l’on est en contradiction avec les valeurs de l’école. Chaque professeur doit pouvoir faire un va-et-vient entre culture passée et culture moderne, on ne peut faire abstraction du passé si on veut comprendre le présent.

Selon Pierre Bourdieu, l’école à tendance à valoriser la culture des « héritiers » et à reproduire les inégalités au détriment des classes défavorisées, on peut être partiellement d’accord avec ses propos. Le cours de français donne peu de place à la culture populaire et met un point d’honneur à encenser les artistes passés. Ce propos est à nuancer, car les jeunes professeurs incorporent de plus en plus le rap, l’art urbain notamment avec Banksy et la paralittérature, mais la place des femmes dans les corpus est encore bien maigre.

Il ne faut pas seulement ouvrir le cours de français aux auteures belges ou françaises, mais bien aux femmes et hommes du monde. Le cours de français est, au-delà d’un cours de langue, un cours qui permet une ouverture sur le monde, sa culture, etc. Avez-vous déjà étudié un texte congolais ou encore marocain sans que l’auteur soit naturalisé français ou vive depuis des années en Europe ? Nos classes sont de plus en plus multiculturelles, il est important de montrer à chaque élève que la culture française n’est pas la seule, tout comme les productions masculines ne sont pas les seules. 

On nous prétend que l’art est universel, mais il ne l’est pas. Il est construit sur le canon de l’artiste mâle. Je n’ai jamais cru que l’art féministe devrait être uniquement pour les femmes. Après tout, n’avons-nous pas passé des siècles à regarder le travail des hommes ?

Judy Chicago