La romantique « Rusalka » d’Antonín Dvořák
Représenté pour la première sur la scène liégeoise, « Rusalka », l’opéra majeur de Dvořák a envahi la salle bénéficiant une mise en scène sublime, et d’une impressionnante distribution.
Rusalka, jeune nymphe des eaux, vit au creux des abîmes en compagnie de ses sœurs et de son père, l’Ondin. Mais ce fluide univers ne lui convient plus car souvent, la nuit, elle observe un beau prince qui vient se baigner, et dont elle tombe amoureuse. Elle se confie alors à son père, qui, bien que très inquiet pour elle, lui suggère de demander l’aide de la sorcière Ježibaba. Celle-ci accepte de la transformer en humaine, mais elle devra la payer de sa voix. Rusalka sera donc muette dorénavant. Et si son amour pour le prince est trahi, elle et lui seront maudits à jamais. Rusalka, sous sa forme humaine retrouve son prince, et celui-ci, charmé en tombe amoureux et la ramène au château, avec l’intention de l’épouser.
L’incapacité de la nymphe à communiquer lui porte néanmoins un préjudice considérable. Elle ne peut empêcher les rumeurs à son sujet, et le prince, lassé de son silence, finit par la tromper avec une princesse étrangère. L’Ondin intervient et ramène sa fille dans les profondeurs du lac. Mais Rusalka est maudite, rejetée par ses sœurs, elle l’est aussi par le monde des humains. Et bien que Ježibaba lui révèle qu’elle peut mettre fin au sortilège en prenant la vie du prince, elle refuse d’en arriver à une telle extrémité.
En surface, le prince est en proie à une terrible mélancolie. Alors que son garde-chasse et son neveu tentent de savoir pourquoi leur Prince est dans un si triste état, ce dernier apprend par l’Ondin le marché de la sorcière. Il décide alors d’aller retrouver Rusalka qui lui révèle qu’elle ne peut lui offrir qu’un baiser qui le tuerait. Le Prince, fou d’amour, préfère l’embrasser et mourir en paix. Malheureusement, la sorcière Ježibaba a menti. Le sacrifice du Prince est vain, et Rusalka reste maudite, elle se laisse couler au fond du lac, résignée à une existence solitaire qui ne ressemble ni à la vie ni à la mort.
Le compositeur
Antonín Dvořák est né en 1841 à Nelahozeves (royaume de Bohême) à une trentaine de kilomètres de Prague, un territoire qui appartenait à l’époque à l’Empire Austro-Hongrois. Très tôt, ses parents se sont rendu compte des dons musicaux très prometteurs de leur fils. Il fera des études à l’école d’orgue de Prague. A peine diplômé, il intègre rapidement l’orchestre du Théâtre provisoire de Prague. Ce théâtre est destiné à devenir le « Théâtre National de Prague », qui jouera un rôle culturel majeur pour la nation tchèque. Dvořák y rencontre Smetana, personnalité phare de sa vie. Très rapidement, sa renommée grandit, et elle va atteindre Brahms qui l’aide à publier les « chants Moraves ». C’est le tournant « slave » de son travail.
Le compositeur connaît rapidement les honneurs d’une carrière internationale. Célèbre dans tout le monde musical, il est nommé de 1892 à 1895 directeur du Conservatoire national de New York. Il y tient une classe de composition. Sa première œuvre composée aux États-Unis est la 9e symphonie, dite « La symphonie Du Nouveau Monde ». Son succès est foudroyant et ne s’est jamais démenti depuis la première audition
De retour en Bohême, il compose divers poèmes symphoniques inspirés par des légendes tchèques, et parmi lesquels, on trouve l’Ondin, personnage intégré également à son opéra « Rusalka ». Dvořák renouvelle le genre en inventant un procédé de narration musicale fondé sur la prosodie de la langue parlée. Ce procédé dit des « intonations » sera repris par Leoš Janáček.
Il consacre la fin de sa vie à la composition d’opéras, dont bien sûr, le célèbre « Rusalka », représenté actuellement sur la scène de l’Opéra Royal de Wallonie.
L’origine de l’œuvre
« Rusalka » est un opéra en trois actes, créé en 1901. Le livret a été écrit par Jaroslav Kvapil. Les sources en sont variées. Il s’inspire des légendes slaves ou tchèques, autour des nymphes habitant les lacs (les rusalki), l’histoire médiévale de Mélusine, « Ondine » de Friedrich La Motte-Fouqué, « la petite sirène » de Hans-Christian Andersen, ou encore « La cloche engloutie » de Gerhard Hauptmann, ces derniers écrits au 19ème siècle. Le livret de Kvapil s’inscrit parfaitement dans le courant romantique de l’époque, où l’on exalte les sentiments, et où l’on s’intéresse de plus en plus à la psychologie des personnages (l’Empire Austro-Hongrois est la terre de Freud, rappelons-le), et où l’on fait la part belle au fantastique et au mystère.
Le directeur du Théâtre National de Prague, Albert Subert, mettra en relation Kvapil et son idole Dvořák. Séduit par ce livret, le compositeur se met tout de suite au travail, et achèvera la partition en 7 mois. Il travaille la plupart du temps à Vysoka, à proximité d’un lac qui stimule son inspiration et qui depuis a été renommé « Le Lac Rusalka ».
Tout de suite, l’opéra connaît un énorme succès en Europe centrale et orientale, et connaîtra également une traduction anglaise. Mais il faut attendre 1982 pour que l’œuvre soit enfin créé en France.
« Rusalka » est une œuvre puissante, terriblement expressive. Dvořák retranscrit à merveille l’atmosphère effrayante et fantastique du folklore de sa jeunesse, confirmant totalement l’âme slave omniprésente dans sa musique.
Les thèmes abordés dans l’œuvre sont nombreux. On y parle d’amour véritable, cet amour que ressent Rusalka pour son Prince, qui la pousse à transgresser les lois, à se lancer dans une aventure terrible mais exaltante. Qu’est-ce qui fait la nature humaine, qu’est-ce que l’âme ? L’opposition entre la nature et la civilisation, la profondeur, la superficialité, la violence du monde envers les femmes, le rejet, l’ostracisme.
Chacun pourra se laisser porter par la musique et les textes, les ressentir selon son vécu et ses aspirations. « Rusalka » est d’une incroyable richesse, sa symbolique est omniprésente, renforcée encore ici, dans la production liégeoise par une mise en scène étourdissante.
L’équipe de mise en scène : une synergie parfaite
Rarement une mise en scène a été d’une unicité si parfaite. Rodula Gaitanou a saisi parfaitement l’essence même de « Rusalka ». L’histoire se déroule dans un décor féérique, d’un esthétisme total. Les costumes et les décors de Cordelia Chisholm rendent à merveille la fluidité du monde des eaux, où des nymphes diaphanes s’ébattent, le carcan du monde humain, sa superficialité. Un impressionnant escalier en fer forgé s’enroule en colimaçon, reliant les différents mondes où évolue « Rusalka » et son père. Au deuxième acte, le château du Prince est impressionnant, rigide, élégant, mais vide. Entre les projections des images vidéo de Dick Straker et les savants jeux de lumière de Simon Corder, l’intrigue se déroule des flots soyeux, à la forêt magique, pour s’achever dans le tragique d’un monde sans vie, sans couleur, sans saveur, sans espoir …. Il est vraiment difficile de traduire en mots une telle réussite visuelle et esthétique.
Et du côté des partitions
Corinne Winters a été grandiose dans cette prise de rôle. Elle a donné une musicalité idéale au livret en tchèque, c’est une langue qu’elle maîtrise, et cela se ressent. Elle a offert un magnifique « Chant à la lune », littéralement bouleversant. Il convient aussi de saluer ses qualités dramatiques, car n’oublions pas qu’une grande partie du rôle de « Rusalka » est muet, ce qui n’est quand même pas évident à jouer dans un opéra. Anton Risitskiy, en prince inconstant promène de beaux aigus, et des notes graves des plus veloutées. La basse Evgeny Stavinsky a donné au rôle de l’Ondin la profondeur et le tragique voulus, une interprétation magnifique. La sorcière Ježibaba est interprétée par la mezzo-soprano géorgienne Nino Surguladze, son timbre velouté, inquiétant convient parfaitement à ce rôle, auquel elle a donné juste ce qu’il fallait d’ambiguité.
Soulignons également la très belle performance des trois nymphes, Lucie Kaňková (qui s’est montrée aussi talentueuse que dans sa performance de la reine de la nuit, qu’elle vient d’interpréter dans « La flûte enchantée »), Kateřina Hebelková, et Sofia Janelidze, qui ont offert, un bel ensemble de timbres superbes. Mentionnons aussi, le rôle pantalon de Hongni Wu, qui a joué un garçon de cuisine, un rien peureux, mais très médisant, tout à fait plaisant à regarder, tant son jeu était approprié, mais également à écouter, avec son timbre élégant et son phrasé expressif. Alexander Marev confirme également son statut de jeune ténor des plus prometteurs, que nous nous réjouirons d’entendre bientôt dans Falstaff.
La voix de Jiří Rajniš (oncle du garçon de cuisine) était claire, aux accents profond, avec beaucoup de relief et d’expression. Quant à Jana Kurucova, son timbre velouté mais affirmé et flamboyant convenait parfaitement bien à son rôle de « méchante », qui voulait éloigner le prince de Rusalka, pour mieux le rejeter ensuite. Elle a parfaitement rendu la perversité du personnage.
Le Maestro Giampaolo Bisanti nous a habitués à des performances magnifiques en tant que conducteur d’œuvres belcantistes. Il s’est montré magistral dans sa compréhension d’une œuvre romantique, rendant la mélancolie, la profondeur, et le côté torturé de l’âme slave, dont Dvořák est l’un des plus éclatants représentants.
L’opéra « Rusalka » sera à l’affiche du 25 janvier au 4 février 2024
Il sera retransmis en direct sur Musiq3 le 27 janvier à 20h00
Pour les billets c’est ici sur le site de l’Opéra de Liège.
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