Quoi de plus gai, par ces sombres et pluvieuses journées d’automne, que de se remonter le moral en visitant l’Ossuaire de Sedlec, une église invraisemblable non loin de Prague, dont toute la décoration est faite des ossements de 30 000 humains morts ? Car oui, si vous lisez cet article vous avez un avantage sur les morts : vous êtes vivant, tandis qu’eux ne sont plus que des œuvres d’art. Alors, haut les cœurs ! Ou haut-le-cœur, c’est selon.

Voilà bien longtemps que je voulais visiter Sedlec et son fameux ossuaire, mondialement célèbre, surtout auprès de Goths et des amateurs du genre. Sur la route qui me ramenait de Hongrie vers Dresde, j’ai fait un petit détour par Kutná Hora, le village qui abrite ce haut lieu du macabre. C’est un lieu perdu dans la campagne de Bohème, à l’Est de Prague. Un terrible orage m’a obligé de m’arrêter en chemin et de m’abriter, on n’y voyait plus rien. Enfin je suis arrivé dans ce petit bourg, assez désert après les trombes qui étaient tombées. Mais près de la chapelle funéraire de Tous-les-Saints, dépendante du monastère cistercien, les rues se sont animées.

Partout des gens se dirigeant vers la même direction, beaucoup de jeunes habillés entièrement en noir, certains aux vêtements cloutés, d’autres aux cheveux bizarres, des familles aussi, mais quand même pas mal d’originaux. Pourtant nous étions en été, loin de l’Halloween. Tous convergeaient vers une église située au milieu d’un cimetière, un lieu de culte qui n’avait rien de particulier, vu de l’extérieur. Est-ce un élan mystique qui entraînait tout ce public particulier, par une après-midi maintenant ensoleillée, vers une chapelle catholique ? L’omniprésence des crânes humains dans la décoration alentour mettrait la puce à l’oreille même du néophyte : il y a quelque chose d’exagérément macabre en ce lieu.

Une des chapelles de la Chapelle de Tous les Saints © opnminded.com

Des pyramides de crânes !

En entrant dans la vaste chapelle on descend un large et profond escalier qui s’enfonce dans les entrailles du cimetière. C’est en bas que l’on reçoit la récompense du voyage. Des crânes par milliers, des ossements par dizaines de milliers. Tout n’est que fémurs, omoplates, clavicules, tibias, rotules et sacrum. Les 270 os de notre squelette sont tous présents dans l’immense chandelier qui pend du plafond au centre de l’édifice. Il y en aura pour tout le monde : demandez et vous recevrez. Mais à tout seigneur tout honneur : ce sont les crânes humains qui attirent tous les regards. Oserai-je dire : tous les suffrages, de ce public venu voter en masse pour soutenir notre patronne à tous : la Mort.

Certes, il règne dans ce Royaume souterrain, un silence de… mort. Les gens ne se parlent pas, ou alors ils chuchotent respectueusement. Si certains sont impressionnés, voire remontent assez vite à la surface, la plupart semblent heureux d’être là et n’ont pas envie de changer d’air. L’immense caveau les enchante, et ils déambulent d’une chapelle à l’autre, toutes construites avec des ossements humains. Du plafond pendent des luminaires gigantesques en os, partout des crânes font bonne figure aux visiteurs, on ne sait où donner de la tête.

Le corbeau des Schwarzenberg

Mais le chef-d’œuvre du lieu, ce sont les immenses armoiries de la famille des princes de Schwarzenberg, les propriétaires de cet endroit mythique, blason entièrement réalisé en os.

Les Schwarzenberg sont une des plus grandes familles de l’Empire Austro-Hongrois, remontant au XIIè siècle. Ils ont été élevés au titre de comte par l’empereur Rodolphe II du Saint-Empire en 1599, suite à leur bravoure à la Bataille de Selimbar. Pour rappeler ce fait d’armes, on retrouve dans leurs armoiries une tête coupée de Turc, avec un corbeau perché dessus qui lui crève un œil pour le manger. On est tout de suite dans l’ambiance.

Pour rappel, la Bataille de Selimbar a opposé les Hongrois du cardinal et prince de Transylvanie André Báthory, aux Roumains du prince Michel le Brave, prince de Valachie. On s’est bien massacré près de l’actuelle ville de Sibiu, en Roumanie. A l’époque l’empereur Rodolphe du Saint-Empire est allié aux Roumains contre les Hongrois, et le cardinal André Báthory est battu, il doit s’enfuir, et sera assassiné plus tard. Ah, la Transylvanie, ses paysages bucoliques, mais aussi ses vampires. Il y a dans cette histoire tout pour nous plaire.

Le corbeau des Schwarzenberg © Wikipedia

Mais revenons à l’incroyable chapelle de Sedlec. Le père abbé cistercien de l’endroit est parti en 1278 pour un pèlerinage en Terre Sainte, et il en a ramené un peu de terre du Golgotha. Il  la répand au-dessus des tombes du cimetière qui gagne alors la réputation d’être un lieu idéal pour se faire enterrer, en attendant la Résurrection des Morts. On se bouscule pour y prendre un repos éternel, et le lieu devient chic et désirable.

Bousculade au cimetière de Sedlec : Place aux Jeunes !

Mais en 1348 on ne rigole plus. La peste noire s’abat sur la Bohème, les gens tombent en masse, et plus de 30 000 personnes de la région sont enterrées à Sedlec. Puis, au début du siècle suivant, lors des croisades contre les hussites, le monastère est détruit, l’abbatiale brûlée, le cimetière en partie supprimé. Que faire des ossements ? On les entrepose alors dans la chapelle funéraire, où ils resteront pendant trois siècles. Les morts continuant à affluer, il fallait régulièrement déterrer les plus anciens pour faire place aux jeunes. Ce qui fait qu’aujourd’hui on estime qu’il y a là les restes d’environ 40 à 70 000 personnes.

Devenu un ossuaire, les premiers témoignages d’œuvres d’art réalisées à partir des os remontent au XVIIe siècle. Entre 1700 et 1709 la chapelle est reconstruite dans le style baroque et le sculpteur praguois Matthias Braun crée ces première œuvres inouïes en s’inspirant du Livre d’Ézéchiel de la Bible, qui parle de la Résurrection des Morts. Une nouvelle restauration en 1870 transforme l’ossuaire en un lieu unique au Monde, celui qui s’offre aux regards des visiteurs encore aujourd’hui. Elle est l’œuvre du sculpteur Franticek Rint. Travaillant seul dans le secret de cette chapelle souterraine, il a manifestement dû un peu déprimer pour en arriver à créer ce genre d’œuvres d’art… En tous cas il a signé son travail près de l’entrée, avec des os évidemment.

Véritable attraction internationale, l’Ossuaire de Sedlec est un des lieux les plus touristiques de Bohème-Moravie. À tel point que l’entrée est payante, et que les photos y sont interdites en raison des abus de certains visiteurs qui n’hésitaient pas à se saisir, qui d’un crâne, qui d’une paire de tibias, pour obtenir un bon cliché. L’imagination n’ayant pas de limite, en 2020 est même sorti un jeu de société, Skulls of Sedlec : vous êtes un jeune moine novice, et votre mission, si vous l’acceptez, sera de créer le plus bel arrangement d’os. Pour cela vous devrez aller creuser dans le cimetière pour trouver votre materia prima.

Trompettes de la Renommée, vous êtes bien mal embouchées © DR

V.I.T.R.I.O.L.

Ce sont les première lettres de Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem. En français : Visite l’Intérieur de la Terre, et en te Rectifiant, tu Trouveras la Pierre Cachée. Une invitation à l’introspection et au travail sur soi. Car à Sedlec aussi il nous faut descendre physiquement à l’intérieur de la Terre pour se retrouver face aux innombrables crânes.

On peut bien sûr visiter l’Ossuaire de Sedlec pour le frisson ou pour son caractère unique, mais aussi pour nous inciter à une réflexion sur notre vie, et sur notre mort certaine. C’est un immense Memento Mori, une œuvre monumentale qui nous rappelle que notre passage sur Terre est bref, et que nous ferions bien de nous occuper de ce qui est le plus important pour nous. Un rappel toujours bienvenu.

Cette histoire vous a donné envie d’un bon film de vampires ? Lisez notre article sur « Le Vourdalak ».

Court reportage en anglais :

Et découvrez ici un vieux documentaire de Jan Svankmajer, avec sous-titres en ANGL :