La Sonnambula, une réussite totale pour la nouvelle mise en scène de Jaco Van Dormael sur la scène liégeoise.

Opéra semiseria, « la Sonnambula » a été composé en très peu de temps par Vincenzo Bellini, et il a été créé à Milan en 1831. Il s’agit d’une des œuvres majeures du jeune compositeur. Bellini est l’un des trois représentants du « Bel canto » (le beau chant) en Italie, au début du 19ème siècle, et la « Sonnambula » est l’une de ses œuvres majeures. C’est grâce à Maria Callas que cette œuvre a retrouvé une seconde jeunesse et est maintenant représentée sur les scènes les plus prestigieuses du monde.

Bellini s’engage ici dans une musique d’une grande pureté et d’une apparente simplicité. La complexité de l’œuvre s’exprime dans un grand nombre de variations mélodiques. Bien que très jeune, le compositeur catanais est pourtant déjà au sommet de son art. 

M. MONZO – J. PRATT – R. BARBERA © J. Berger-ORW-Liège

On appelle « opéra semiseria », un opéra dont la trame sentimentale, parfois tragique connaît un dénouement heureux. Quant au « Bel canto », il s’agit de techniques de chant , qui se fondent sur la recherche du timbre le plus pur, mais demande également des qualités variées aux interprètes, qui se doivent d’avoir une virtuosité vocale indéniable, car ils se doivent d’exprimer beaucoup d’émotions dans leur chant, utilisant nuances, vocalises et ornements. Les interprètes du « bel canto » ont une tessiture très large, et une maîtrise totale de la partition. Ce style lyrique qui nous vient d’Italie vers la fin du 17ème siècle, sera à son apogée au début du 19ème siècle grâce aux trois compositeurs Rossini, Donizetti et Bellini de 1805 à 1840.

Une œuvre résolument romantique

J. PRATT © J. Berger-ORW-Liège

Bellini a été considéré par ses contemporains comme le grand maître du lyrisme passionné, de l’extase et de la mélancolie, poussés à leur paroxysme.  Les thématiques abordées ici sont éminemment romantiques. On retrouve dans tous les domaines artistiques les sujets traités par ce courant artistique (nature, sentiments humains compliqués, l’inconscient humain …). Dans la « Sonnambula », la richesse des mélodies de Bellini ne sont jamais noyées par une orchestration légère, aérienne, qui reste dans l’oreille et atteint le plus profond du cœur.

L’histoire de la « Sonnambula » est simple. Amina, jeune orpheline, élevée par Teresa, dans le moulin du village, se prépare à fêter ses noces, avec un jeune rentier, du nom d’Elvino. Survient Rodolfo, voyageur inconnu, qui décide de rester au village. Il ne peut s’empêcher de courtiser Amina, ce qui provoquera une dispute entre celle-ci et son fiancé Elvino, un peu jaloux.

Les villageois rentrent chez eux à la nuit tombée, car on craint la présence d’une dame blanche, qui effraie tout le monde. 

J. PRATT – J. BAILLY © J. Berger-ORW-Liège

Pendant la nuit, Rodolfo courtise Lisa, l’aubergiste, qui est aussi une jeune femme délaissée par Elvino. Elle en veut d’ailleurs à Amina de lui avoir ravi son amour. Aussi, lorsque celle-ci, victime d’une crise de somnambulisme entre dans la chambre de Rodolfo sans s’en rendre compte, Lisa s’empresse de prévenir les villageois et Elvino. Quant au comte Rodolfo, qui entend qu’Amina parle à Elvino dans son sommeil, il décide de quitter la chambre afin de la laisser reposer.

Lisa ramenant les habitants du village ainsi qu’Elvino, fait constater la « trahison » d’Amina, espérant récupérer celui-ci. Dans un premier temps, son stratagème semble fonctionner. Elvino, désespéré, rompt ses fiançailles et se tourne de dépit vers Lisa. Mais les villageois veulent en savoir plus et questionnent le comte, qui certifie de l’innocence et de la pureté d’Amina.

Rodolfo explique à Elvino qu’Amina est somnambule, se déplace et parle en dormant. De plus, Teresa (maman adoptive d’Amina) a trouvé dans la chambre de Rodolfo, un foulard perdu par Lisa. Elvino constate donc qu’il est trahi par elle aussi.

La scène finale montre une Amina au comble du désespoir mais aussi de l’amour, victime d’une nouvelle crise de somnambulisme et se promenant sur un toit. Entendant sa poignante détresse, Elvino comprend alors à quel point il a été injuste et les deux jeunes gens se réunissent à nouveau. 

Les derniers instants de l’opéra sont divins, avec un des cavatines les plus belles du répertoire lyrique (Ah ! Non credea mirarti). Amina se sent au bord de la folie et sur le point de mourir, avant de retrouver l’amour d’Elvino. D’ailleurs, « Ah, non credea mirarti » est considéré comme étant l’un des airs les plus sublimes pour sopranos et fût interprété par les plus grandes prima donna à travers les époques.

Une mise en scène aérienne

Ensemble © J. Berger-ORW-Liège

L’équipe de mise en scène, avec aux commandes, un Jaco Van Doermal très inspiré, offre un spectacle incroyable d’efficacité.

Pendant que les chanteurs déroulent leurs airs à l’avant-scène, des danseurs et acrobates sont leurs alter ego muets, mouvants, gracieux. Ils expriment toute la gamme de sentiments avec un immense talent. Le ballet se démultiplie sur des toiles de fond aux teintes un peu passées, comme la matérialisation d’un rêve. Le sommeil, les rêves, le somnambulisme, l’amour, la trahison, les sentiments exacerbés, la passion, le désespoir, et tout cela dans le cadre idyllique d’un village de montagne.

Giacinto Caponio a une absolue maîtrise des images vidéos, qui apportent une dimension éthérée à l’intrigue, renforcée encore par de savants jeux de lumière de Nicolas Olivier. Le décor résolument contemporain et minimaliste remplit pourtant son rôle grâce à l’utilisation de photos  et films surannés. On est avec les personnages, dans ce paysage montagneux. La chorégraphie de Michèle Anne De Mey (figure de proue du renouveau de la danse contemporaine) nous emmène dans un florilège de sentiments et d’événements que l’on comprend sans peine. C’est beau, émouvant, touchant. Le spectateur s’envole à l’instar des danseurs qui virevoltent. Les chanteurs et danseurs en miroir multiplient les sentiments des personnages, explorant les moindres nuances de l’intrigue.

Danse © J. Berger-ORW-Liège

On a tout au long de l’opéra, une impression d’un monde mouvant, dont on ne peut définir les limites. Les caméras dans les cintres renversent la gravité, transformant les danseurs couchés sur le sol en silhouettes flottantes dans les décors, multipliant les phases chorégraphiques, dans un monde en constante transformation. « La mise en scène, mariée à la chorégraphie de Michèle Anne De Mey, explore plus les sensations que la narration : l’apesanteur, l’absence de verticalité, le flottement ». 

Le rôle-titre est tenu par la soprano colorature australienne Jessica Pratt. Considérée comme l’une des plus grandes interprètes du bel canto sur les scènes actuellement, elle a été bouleversante. Sa voix magnifique s’est promenée des notes graves aux suraigus acrobatiques, elle s’est appropriée le rôle d’Amina depuis longtemps et le public liégeois ne s’y est pas trompé. Elle a mis tant d’émotion dans ses airs que de nombreux cils se sont mouillés dans la salle. On a tout ressenti, son amour, sa détresse, son incompréhension, sa joie. Imparable.

J. BAILLY – R. BARBERA © J. Berger-ORW-Liège

Le ténor René Barbera (Elvino), et la basse Marko Mimica (Rodolfo), autres interprètes belcantistes reconnus, ont ébloui tout autant. Le timbre brillant, lumineux et les ornements de René Barbera, et la voix de basse profonde, vibrante de Marko Mimico se sont montrés à la hauteur de Jessica Pratt, tout comme Marina Monzó (Lisa), la liégeoise Julie Bailly (Teresa) et Ugo Rabec (Alessio, prétendant dédaigné par Lisa) qui ont complété une distribution grandiose.

La représentation doit beaucoup également aux danseurs (Violette Wanty, Aurélien Oudot, Nino Wassmer, Rita Alves, Martina Calvo Coggiola, Johanne Saunier, Anke Fiévez, Josse Roger et Michaël Hottier), qui ont servi l’intrigue avec énormément de talent. Imparable.

Les chœurs de l’ORW ainsi que l’orchestre, étoffés par des élèves du conservatoire royal de Liège et des membres du chœur de la fédération Wallonie-Bruxelles se sont montrés tout à fait à la hauteur de cette représentation ambitieuse.

C’est sans aucune retenue qu’il vous faut profiter de l’enchantement de ce récit naviguant entre réalité et fantasmagorie.

Infos pratiques

Les représentations ont lieu à l’Opéra royal de Wallonie les 20, 24,26 et 28 janvier à 20H.

Représentation en matinée le dimanche 22 à 15H.

La représentation sera retransmise en direct le 28 janvier sur Musiq3, La Trois, et medici.tv.

Les tarifs préférentiels sont d’application pour les moins de 26 ans et pour les 26-32 ans.

Les réservations sont par ici .