Depuis quelques années, de plus en plus de personnes s’intéressent aux grandes affaires criminelles. Qu’elles soient résolues, ou qu’il s’agissent de cold cases, celles-ci s’imposent de plus en plus dans la littérature, les séries télévisées, et même les documentaires à haut taux d’audience.

Les faits divers disent beaucoup au sujet de la société dans laquelle ils se sont produits. Les journalistes et les écrivains les plus fameux les ont utilisés comme sources d’inspiration. Ils permettent de dépeindre une société ou encore de faire le portrait de personnages hors du commun. Jean Giono ne s’y était pas trompé en suivant le procès de Gaston Dominici.

Il y a quelques mois, le magazine Society a « cartonné » en publiant une grande enquête sur l’affaire « Xavier Dupont de Ligonnès », qui a été tirée à plus de 400.000 exemplaires. C’est en partenariat avec ce magazine que la maison d’édition de livres de Poche 10-18 lance sa nouvelle collection sur les true crimes.

Le but de cette nouvelle collection est de faire un tour des USA du crime. Une affaire criminelle résolue ou pas, et emblématique sera choisie dans chacun des États, et des journalistes de Society referont l’enquête, qu’ils relateront à la façon d’un polar, en utilisant toutes les ficelles pour rendre le récit aussi captivant que possible.

Pour débuter cette cartographie du crime, les éditions 10-18 ont choisi l’État de New-York et l’enquête a été confiée à Anaïs Renevier. Journaliste depuis 2011, elle a commencé sa carrière comme correspondante à Beyrouth pour plusieurs médias internationaux. Elle a ensuite travaillé à la rédaction de TV5 Monde, pendant plusieurs années. Elle a également parcouru les Etats-Unis régulièrement, en tant que grand reporter. Elle a rejoint le magazine Society depuis 2020.

Elle est donc partie à la rencontre d’Alice Crimmins. Elle a parcouru le quartier du Queens, théâtre de ce fait divers, elle s’est plongée dans les archives de l’État, et a ensuite pris la route pour retrouver la principale protagoniste de ce fait divers.

L’histoire

Nous sommes en 1965, c’est l’été, un été caniculaire. Au réveil, Alice Crimmins se rend compte que ses deux enfants ne sont plus dans leur chambre. La fenêtre est ouverte et un landau dont on n’identifie pas le propriétaire est rangé le long de celle-ci. Après avoir contacté le père des enfants, de qui elle vit séparée, elle appelle la police. Mais Eddie Jr (5 ans) et sa petite sœur Missy (4 ans) restent introuvables.

La disparition des enfants se passe à une période particulière, puisque Alice Crimmins s’est séparée de son mari, Eddy senior, et ils se livrent une bataille acharnée pour savoir qui aura la garde des enfants. D’ailleurs, l’audience pour déterminer qui aura les enfants est prévue six jours après le kidnapping.

Hélas, quelques jours plus tard, on retrouvera les corps mutilés et en état de décomposition, des deux enfants, dans deux endroits différents.

Le détective Gerard Piering qui se présente au domicile d’Alice Crimmins juste après le rapt prend celle-ci en grippe immédiatement. Alice Crimmins est trop belle, elle ne pleure pas assez, il y a trop de cadavres de bouteilles d’alcool, et la jeune femme loin d’être hystérique, lui demande même du feu pour allumer sa cigarette. 

Piering est l’archétype du policier macho, d’origine irlandaise et catholique. Il est engoncé dans ses principes moraux. Alice est trop libre, elle boit, elle travaille comme barmaid, elle aime le sexe, d’ailleurs elle collectionne les amants. Comment pourrait-elle être une bonne mère ? De là à en déduire qu’elle est la meurtrière, il n’y a qu’un pas, que l’inspecteur n’hésite pas une seconde à franchir.

Au milieu des années soixante, New York atteint des sommets en matière de délinquance, et de violence, la ville baigne dans une ambiance délétère, et la paranoïa règne dans les quartiers résidentiels mornes où la vie s’écoule monotone. Même le Queens, qui était un quartier paisible jusque-là, n’est pas épargné, un peu plus d’un an auparavant, on y a retrouvé une jeune femme sauvagement violée et assassinée. (L’affaire de Kitty Genovese)

Au fil des mois, tant les policiers que le procureur du Queens s’attachent à faire d’Alice Crimmins, une meurtrière. Cette jeune femme trop belle, trop sexy, menace leur vision de la femme. Brusquement, ils craignent que leurs propres épouses ne soient plus les créatures soumises qu’ils veulent pour compagnes.

Ils sont tous obsédés par la soi-disant culpabilité d’Alice. Aucune preuve matérielle ne vient conforter leurs impressions ? Qu’importe ! Tout sera bon pour asseoir leurs convictions : micros au domicile de la jeune femme, elle sera suivie, épiée, des policiers collecteront de faux témoignages voire en fabriqueront, dénonciations calomnieuses que jamais aucune preuve ne viendra corroborer. Le procureur passera même un accord avec un ex-amant d’Alice Crimmins, poursuivi pour escroquerie. Les charges contre lui seront abandonnées à la condition qu’il témoigne contre la jeune femme. L’instruction se fait uniquement à charge. Et Alice Crimmins devient la femme la plus haïe des Etats-Unis.

D’autant que si son ex-mari a réussi le test du détecteur de mensonge, Alice, elle, arrache les fils de l’appareil quelques minutes après le début de l’interrogatoire. Elle avait demandé d’être seulement en présence des inspecteurs, mais elle s’est aperçue que de nombreux autres témoins se trouvaient de l’autre côté de la cloison.

Pourtant, on aurait pu explorer d’autres pistes. Eddy senior a installé du matériel d’écoute dans son ancien domicile, et il écoute sa femme, enregistre quand elle reçoit des amants, il la suit de jour comme de nuit, n’acceptant pas le divorce.

Mais c’est à peine s’il est inquiété.

Après deux ans d’enquête, rien de tangible ne relie Alice au meurtre de sa fille Missy.

En 1968, le premier procès d’Alice Crimmins aura tout d’un lynchage médiatique, son interrogatoire à la barre est un festival de questions plus inconvenantes les unes que les autres. La vie sexuelle de la jeune femme est étalée dans la presse par des avocats qui se complaisent dans le sordide. 

L’ex-amant d’Alice Crimmins fera des déclarations fort peu convaincantes, d’autant qu’elles varient suivant le moment où il les fait. Au terme de ce procès, Alice Crimmins sera reconnue coupable du meurtre de sa fille.

Le procès est invalidé pour vice de procédure, et un deuxième procès est programmé. 

En trois ans, bien des choses ont changé … Les mouvements féministes ne sont plus confidentiels, et les femmes s’émancipent, remettent en question les valeurs du patriarcat tout-puissant.

Cela ne suffira pourtant pas à innocenter Alice Crimmins. La défense est prête, avec arguments et contre-arguments. Mais pourtant, elle ne parviendra pas à convaincre le jury. L’accusation a décidé d’attaquer la mère sous un autre angle, toujours avec l’aide de son ex-amant Joseph Rorech, qu’ils manipulent comme ils veulent. Les enfants auraient été tués par des hommes de main de la mafia, à la demande d’Anthony Grace, son amant. Qu’importe si le soi-disant homme de main est extrait de sa cellule et nie connaître Alice Crimmins. Et pourquoi Anthony Grace aurait-il voulu se débarrasser des enfants d’Alice, lui-même étant marié de son côté, il ne songeait pas à refaire sa vie avec Alice. 

Bien que la défense d’Alice ait démonté les accusations point par point, bien que l’accusation soit incapable d’énoncer le moindre mobile, le fantôme de la mafia a plané sur le procès, et Alice est une nouvelle fois condamnée. (Il faut croire qu’on a convaincu tout le monde sauf le jury, dira un des avocats d’Alice.).

Mais le verdict ne rencontre plus une adhésion massive… D’autres pistes ont été découvertes, mais jamais explorées jusqu’au bout. 

En 1977, Alice Crimmins bénéficie d’une liberté conditionnelle, et elle fera tout pour disparaître des radars …

Une chose est sûre, les services de police et du procureur de New York ne sortent pas grandis de cette affaire, au point qu’un nouveau mot de vocabulaire a été créé « crimminser », qui veut dire balayer sous le tapis les erreurs du procureur ou de la police en faisant condamner un innocent.

Mary Higgins Clark s’est inspirée de ce fait-divers pour son premier best-seller La maison du guet.

Il y a bien d’autres choses à découvrir sur ce cas, beaucoup de questions à se poser … La plongée dans le New York des années 65-75 se fait comme dans un film de Scorsese ! Ce n’est certes pas de la « grande littérature » (pas de grandes figures de style) mais c’est du très bon reportage, qui se lit comme un polar sur fond de portrait de société.  

N’hésitez pas à vous plonger dans ce premier tome de la collection « True Crime » des éditions 10-18.


L’Affaire Alice Crimmins, par Anaïs Renevier, Editions 10-18, 208 p.

Pour découvrir les dessous de l’enquête : Podcast Histoires criminelles d’Amérique, un podcast 10/18 – Society, disponibles sur toutes les plateformes de podcasts.