4 juin 2024
« Le Grand Chantage », chef d’œuvre oublié du film noir à redécouvrir d’urgence
« Le Grand Chantage » fait partie de ces œuvres qui n’ont pas du tout fonctionné à leurs sorties et qui ont acquis leur notoriété par la suite. Un film noir de grand talent.
En effet, lors de son arrivée en salle en 1957, le long métrage n’a pas trouvé son public et ce n’est que des années plus tard qu’il aura la renommée qu’il mérite, le film étant par exemple très apprécié par Martin Scorsese. Il est également le film préféré de Vince Gilligan, le créateur de la série « Breaking bad ». Le long métrage était sans doute trop en avance sur son temps et sa férocité a peut-être dérangé les spectateurs de l’époque.
Tony Curtis et Burt Lancaster, des monstres sacrés ou de sacrés monstres ? © Hill-Hecht-Lancaster Productions / United Artists
Il s’agit clairement de l’un des plus grands films noirs de l’histoire du cinéma à mes yeux, le mot « noir » convient d’ailleurs très bien pour le qualifier, car il nous entraîne dans un univers extrêmement sombre et sinistre dans lequel l’homme est prêt à commettre le pire pour le pouvoir.
Quand la soif de gloire et de succès noircit l’âme humaine
On va suivre Sidney Falco, interprété par Tony Curtis, un attaché de presse sans scrupule qui a été chargé par le journaliste très puissant J.J Hunsecker de salir la réputation d’un chanteur de jazz en faisant publier des articles compromettants sur lui.
En effet, la sœur de J.J est en couple avec le musicien et le journaliste ne peut pas le supporter car il estime que sa sœur est trop bien pour lui. Sidney va donc se servir de tous les chantages et manigances les plus malfaisants pour arriver au bout de sa mission.
Le duo Falco/Hunsecker © Hill-Hecht-Lancaster Productions / United Artists
Vous l’aurez compris, le protagoniste est un véritable anti-héros. Sidney Falco est un homme sans aucune morale, prêt à tout pour monter les marches du succès, totalement cynique, qui sait qu’il fait le mal et qui s’en délecte. Il est manipulateur et aussi venimeux qu’un serpent.
Le rôle est interprété à la perfection par un Tony Curtis tout simplement sensationnel et à contre emploi, en effet l’acteur était plutôt habitué à jouer des rôles de héros. Sidney est au service de J.J Hunsecker, un homme qu’il hait mais qu’il envie en même temps, car il représente tout ce qu’il souhaite devenir.
Des personnages impitoyables et machiavéliques
J.J est tout aussi malveillant que son attaché de presse. Il est un journaliste fou d’orgueil, dont la célébrité lui est montée à la tête. Il croit être tout-puissant, tellement puissant qu’il estime pouvoir contrôler la vie de sa sœur et qui ne supporte pas qu’un homme qu’il ne juge pas assez bien puisse l’aimer. Le rôle est également interprété avec brio par Burt Lancaster. Le comédien est très impressionnant dans ce rôle qui est également à contre emploi.
Tony Curtis et Burt Lancaster, prêts à toutes les compromissions par ambition © Hill-Hecht-Lancaster Productions / United Artists
Le duo Falco/Hunsecker est très intéressant, ils entretiennent une relation très malsaine. Falco déteste Hunsecker, mais il est en même temps dominé par lui et prêt à servir toutes ses demandes. Leur machiavélisme nous est montré de façon très explicite par le film, on les voit élaborer sans aucune gêne des plans vicieux pour piéger et tromper leurs cibles.
C’est à la fois effrayant et fascinant d’observer comment ces techniques de manipulations sont imaginées et utilisées. Cette réplique que lance Hunsecker à Falco est très évocatrice. « Si tu étais un cookie, je n’aimerai pas te mordre, tu es rempli d’arsenic » Les dialogues de l’œuvre sont tout simplement magistraux. Les joutes verbales que s’envoient les personnages sont terriblement marquantes et bien écrites.
Un violent retour à la réalité
(Attention : ce paragraphe divulgâche la fin du film)
L’épilogue de l’histoire punira les deux personnages de façon très percutante. En effet, la sœur de Hunsecker va découvrir la supercherie, elle va ensuite confronter son frère et lui dire qu’elle préférerait mourir plutôt que de vivre avec lui. Elle ne le hait pas, elle a juste pitié de lui. Elle s’en va ensuite retrouver son amoureux.
Susan Harrison interprête la sœur, une femme forte © Hill-Hecht-Lancaster Productions / United Artists
Son frère se rend compte à quel point il a été lamentable. Hunsecker nous a été présenté tout le long du film comme un personnage imposant et tout-puissant. Il était souvent filmé en contre-plongée pour renforcer cet aspect, mais à ce moment-là, les choses changent, sa sœur prend enfin le dessus sur lui, elle est une femme forte qui prend son indépendance. On comprend alors quel individu pitoyable, machiste et faible, il est en réalité.
Il est un homme seul, triste, qui veut garder sa sœur auprès de lui, car c’est tout ce qu’il possède, il ne veut pas voir un autre s’en approcher. Ce pouvoir qu’il croit posséder grâce à son statut n’est en réalité qu’une façon de se cacher à lui-même à quel point sa vie est vide. Quant à Falco, il est abandonné de tous et fini au plus bas, il n’était qu’un minable qui exécutait les ordres de minables au-dessus de lui dans l’espoir de devenir comme eux.
L’affiche originale de 1957 © Hill-Hecht-Lancaster Productions
Un film noir et une plongée brutale dans l’univers sombre du show-business
« Le Grand Chantage » est une critique féroce des dérives du journalisme, en particulier du journalisme mondain. Hunsecker est d’ailleurs inspiré d’un véritable journaliste, Walter Winchell, qu’on peut presque considérer comme l’inventeur du gossip et qui était redouté de tous à cause de son influence et des rumeurs qu’il propageait.
Ce film noir nous met en garde : l’envie de devenir puissant peut amener à devenir profondément cynique et sans scrupule. La soif de pouvoir fait ressortir ce qu’il y a de pire chez l’homme. Il s’agit d’une œuvre grandiose et brillante, que je vous recommande absolument de voir, il s’agit d’un long métrage remarquable dont on ne parle pas assez et qui est à découvrir d’urgence.
Bande-annonce en ANGL :
