Quel est l’ouvrage le plus traduit au monde après la Bible et le Coran ? Poser la question c’est y répondre : Le Petit Prince évidemment, œuvre poétique et philosophique, petit livre court mais dont la profondeur est inversement proportionnelle à la longueur. Traduit dans 505 langues et dialectes (!), cette histoire à destination des enfants est en fait beaucoup plus subtile qu’il n’y paraît. Rendre simple ce qui est complexe est la marque du génie. Le Petit Prince et son père sont de passage à Bruxelles.

Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve.

Le Petit Prince, Saint-Exupéry.

Le Petit Prince voyage de planète en astéroïde et il rencontre d’étranges personnes. C’est sur la planète Bruxelles qu’il se trouve actuellement jusqu’au 6 novembre 2022, et les Bruxellois, habitants souvent philosophes d’une région parfois surréaliste, ne devraient pas manquer de lui rendre une petite visite de courtoisie. 

L’exposition, qui a lieu au Heysel, débute par la très belle histoire de ce conte pour enfants, très poétiquement mise en scène par les jolies sculptures d’Arnaud Nazare-Aga illustrant ses pérégrinations interplanétaires, sous une lumière bleue onirique. On croit connaître l’histoire mais il est bon de s’y replonger pour se rappeler la merveilleuse inventivité de l’auteur.

Ce qui est véritablement nouveau, c’est la longue partie de l’exposition consacrée à Antoine de Saint-Exupéry, riche de nombreux objets ayant appartenu à l’auteur, et de documents passionnants mettant en lumière la personnalité de celui-ci.

Le comte Antoine de Saint-Exupéry est né en 1900 à Lyon, ville connue pour son amour de l’ésotérisme, dans une famille d’ancienne noblesse reçues deux fois aux Honneurs de la Cour. Les armoiries des Saint-Exupéry portent un lion rouge, symbole de courage, et une épée d’argent. On pourrait en déduire qu’il était destiné à la carrière des armes, et c’est en effet à la guerre qu’il trouvera la mort à 44 ans. Mais l’épée n’est pas qu’un instrument guerrier, elle peut aussi symboliquement servir à déchirer le voile des apparences pour accéder au sens profond de la vie, et il semble que c’est de cette épée-là que l’auteur s’est surtout servie.

Les voyages du Petit Prince, sa mort et sa renaissance sont autant de phases d’un parcours initiatique auquel l’auteur nous invite.

Rêvant de voler dès son plus jeune âge, le petit Antoine se construit un aéroplane improvisé sur son vélo et prétend s’envoler dessus. Les témoignages filmés de ses sœurs diffusés à l’exposition sont très émouvants. À douze ans, il connaîtra son baptême de l’air sur un aérodrome de campagne non loin du château familial. Sa vocation est confirmée et il fera son service militaire à 21 ans comme mécanicien au second régiment d’aviation de Strasbourg, prenant des cours de pilotage à ses frais. De ses camarades il reçoit le surnom « Pique la Lune » en raison de son nez en trompette et de sa distraction proverbiale. Il sera toute sa vie un pilote courageux mais pas très doué techniquement. À 23 ans il cassera du bois pour la première fois, mais pas la dernière.

Engagé par l’Aéropostale en 1926 il sera en poste l’année suivante au Maroc où il découvrira le désert et la solitude, futures sources d’inspiration. En 1929 il développe l’Aéropostale en Amérique du Sud en compagnie des légendes de l’aviation que sont Mermoz et Guillaumet. En 1931 il épouse une jolie Salvadorienne, Consuelo Suncin Sandoval de Gomez. Il vole de par le monde, du Vietnam à Moscou, du Canada à l’Egypte.  

Parallèlement il mène une carrière d’écrivain à succès avec, parmi ses nombreuses œuvres : L’Aviateur (1926), Courrier Sud (1929), Vol de Nuit (1931), Terre des Hommes (1939), Pilote de Guerre (1942), Lettre à un Otage (1943) et son chef d’œuvre Le Petit Prince, écrit en exil à New York en 1943 et publié en français seulement après la guerre en 1946.

Il est capitaine de l’Armée de l’Air quand débute la guerre de 1940. Après s’être illustré dans les premiers combats, son escadrille doit évacuer la France pour l’Algérie, puis Saint-Exupéry se retire à New York où il tente d’entraîner les Etats-Unis dans le conflit. Cette période d’inactivité lui pèse mais c’est dans ces moments de désespoir qu’il écrit Le Petit Prince. En 1943 il est autorisé à rejoindre son escadrille en Algérie pour poursuivre la guerre, malgré son âge considéré comme avancé pour un pilote.

Parti en mission de reconnaissance le 31 juillet 1944 depuis la Corse, Saint-Exupéry aurait été abattu par un chasseur allemand au large de Marseille, à l’âge de 44 ans. En avait-il eu la prescience lorsqu’il raconte dans Le Petit Prince qu’après ces activités, le petit garçon va contempler un coucher de soleil ? Son astéroïde est si petit qu’il lui suffit de déplacer sa chaise de quelques mètres pour cela : une fois, il a vu le Soleil se coucher 44 fois à la suite. Et le Petit Prince rajoute : « Quand on est tellement triste, on aime les couchers de soleil. ». 

On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.

Le Petit Prince, Saint-Exupéry.

C’est en pleine gloire que le soleil de Saint-Exupéry est allé s’abîmer dans les eaux de la Méditerranée. De lui on ne retrouvera rien, ni le corps, ni l’avion. Mort pour la France. Plusieurs témoignages sont remontés au fil des ans, d’anciens pilotes de la Luftwaffe ou d’habitants du bord de mer, chacun racontant une histoire plausible mais difficile à vérifier. Le mystère reste entier. Par exemple Horst Rippert, qui dit avoir abattu un avion du type de celui de Saint-Exupéry ce jour-là et qui admirait l’écrivain, a déclaré : « Si j’avais su qui était assis dans l’avion, je n’aurais pas tiré. Pas sur cet homme. ».

En 1998 deux pêcheurs marseillais remontent par hasard dans leurs filets une gourmette au nom d’Antoine de Saint-Exupéry. Forts de cette localisation, en l’an 2000 des plongeurs retrouvent plusieurs morceaux de l’avion de l’écrivain au fond de l’eau,  son appareil est identifié de manière formelle. De très belles images sous-marines sont visibles à l’exposition de Bruxelles, des morceaux de l’épave sont exposés, ainsi que l’authentique gourmette. Mais aucune trace du corps.

Saint-Exupéry est-il toujours vivant, au soleil sur une île lointaine et cachée, en compagnie d’Elvis Presley, de Michael Jackson et de la princesse Diana ? Pour moi il serait plutôt sur une lointaine et toute petite planète dont il est le seul habitant, et où il écrit de belles histoires qui continuent à nous inspirer dans nos songes. Il y reçoit souvent la visite de son ami, le Petit Prince.

« Antoine de Saint Exupéry. Le Petit Prince parmi les Hommes ». Exposition à découvrir jusqu’au 6 novembre au Heysel à Bruxelles.