Dans le très avenant espace qu’est la Galerie Lee-Bauwens, une belle surprise qui révèle un  talent subtil et une vaste intériorité nous attend. La plasticienne belge Carole Solvay (1954),  l’invitée de l’exposition « Le temps d’un instant », impeccablement présentée, nous invite à  la rejoindre dans son univers qui tient du jardin secret, discret et chatoyant.  

À l’entrée de la galerie, elle a conçu la mise en espace, une grande installation aérienne et  frémissante, « Cloud », une de ces images féériques qui nous font rêver. Suprême simplicité,  suprême élégance aussi dans cet envol, dans cette musique visuelle entre ciel et terre. Vu de  près, elle est composée de fragments de plumes d’oiseau suspendus à des hauteurs diverses,  des morceaux de rachis, partie rigide de la plume. Il en émane des forces vives, dans une  abstraction quasi surnaturelle.  

Carole Solvay – Cloud – Photo de ©Sebastian Schutyser

À l’étage, dans l’espace central de la galerie, la démarche continue de surprendre. Les jeux de  formes et de mouvement dans les trois dimensions et des œuvres à l’envergure variée  installent une poésie de l’espace parfois réduite à trois fois rien dans un travail silencieux, un  minimalisme discret mais puissant où l’on sent la matière respirer et prendre la lumière.  Chaque pièce est un organisme vivant, animé par un souffle.

Les pouvoirs créatifs de l’ artiste sont immenses, et ce bagage lui donne de l’audace dans le chemin choisi. Les techniques traditionnelles de tissage ont été sa première force motrice. Puis, après avoir longtemps cherché son médium, la plume d’oiseau, matière organique, complexe et vivante, s’est révélée par hasard comme une évidence et constitue dès lors la personnalité esthétique de Carole Solvay. Chrysalide et berceau de son imaginaire, elle vibre de cette parfaite communion entre l’artiste et le médium choisi. Imprégnée par sa fascination pour la légèreté d’être, celle inhérente à la plume, Carole puise aussi son inspiration dans sa passion pour la nature et les oiseaux qu’elle cultive depuis l’enfance. «À ma manière, je me représente les choses de la nature. Elles allient à la fois ce que j’aime quand je travaille : la notion de temps, l’ouvrage remis tous les jours sur le métier, le mouvement, l’aérien, et mon imaginaire de la brume, pluie, vapeur, en dialogue direct avec les murs ou avec le sol ».

À partir d’une matière peu conventionnelle et aérienne, elle aboutit parfois à des œuvres qui nous  renvoient aux profondeurs marines. « J’ai transformé ce qui évolue dans l’air en ce qui vit au fond des mers : corail, méduses, coquillages. Le temps que me prenait l’un de ces coraux se rapprochait de façon infinitésimale du temps que prend le corail pour se former et grandir au fond des mers ». 

Carole choisit méticuleusement les parties à utiliser : fragments de plumages, barbes, rachis,  calames, assemblés avec des fibres, fins fils de fer institués support, du papier, du voile de  polyester, de la soie ou bien de petits morceaux de feuille de plastique. Les plumes sont  glanées ou bien offertes par des voisins ou amis. Elle ouvrage avec dextérité des pièces où  l’on pressent le fil de sa pensée, car elle commence par une idée et progressivement accueille  ce qui advient, confie-t-elle. L’essentiel est bien cette recherche systématique d’où ressort une certaine sophistication, une construction à partir de fragments reliés, arrangés, greffés,  cousus ou recomposés.

Enchaînées, faites de vides et de pleins, les formes varient mais sont  toujours porteuses des notions de concentration, de patience et d’application. Avec des  tonalités beiges ou sable dominantes, parfois gris sombre, car l’artiste ne teinte jamais ses  plumes et préfère la pigmentation naturelle. La couleur est peu présente et le doux safran de  certaines pièces provient de la huppe de cacatoès.

Carole Solvay – Plumes – photo de ©Sebastian Schutyser

Carole Solvay a exploré la calligraphie et le dessin en trois dimensions. Diverses techniques se  mêlent donc et l’expérimentation de supports variés aboutit à des œuvres poétiques,  frémissantes et délicates, à des installations aériennes ou bien des lignes écriture, dessins sculptures qui relient l’espace réel et l’espace fictif du dessin dont elle redéfinit en quelque  sorte le territoire. Le fil métallique, très présent, devient trait et installation dessinée. Les  œuvres prennent parfois leur envol, quittent les murs et habitent l’espace dans des créations  tridimensionnelles. « Je faisais de petites pièces en assemblant des fragments de plumes  différentes que j’appelais gris-gris. Avec l’expérience et l’assurance, mon travail a pris de  l’ampleur. J’ai commencé à quitter les murs et habiter l’espace”. 

Elle conçoit son travail comme une méditation régulière et quotidienne où la gestualité de la  main prime, dans une quête permanente de la notion de légèreté. Jardin secret ou retrait du  monde pour mieux l’appréhender, le processus créatif est avant tout un dialogue intime  retraçant des liaisons sourdes et des tensions subtiles. «J’ai un grand besoin de calme et de  solitude, et mon travail est très lié à mon évolution intérieure. Il se construit lentement, et  cette notion d’espace dans le temps est particulièrement importante pour moi ». 

Dans bon nombre de cultures, la plume est un symbole mystique ou ésotérique. Chez les  chamanes amérindiens, elle a un sens sacré et représente un cadeau que l’oiseau offre, une  partie de lui, de son énergie et de sa vibration. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici, de vibration  et d’impulsion créatrice.  


Le temps d’un instant – Carole Solvay du 11.09 au 29.10.2022