Le Vieil Homme et la Mer est un roman court né de la plume d’Ernest Hemmingway durant la fin du vingtième Siècle. Retour sur son contenu et son adaptation à l’écran par Alexandre Petrov.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette histoire, le Vieil Homme et la Mer est un court roman écrit par Ernest Hemmingway en 1951-52 à Cuba, paru en 1952 et adapté à l’écran en 2017 par l’acteur Alexandre Petrov sous forme de court-métrage animé.

L’histoire prend place à Cuba même ; où un vieux pêcheur, Santiago, occupe ses journées à discuter avec son petit-fils et constater que sa vigueur de jadis est désormais révolue. Quand bien même, le vieil homme persiste à partir pêcher au large, et se retrouve un beau matin tracté par un gigantesque marlin au large du Gulf Stream. L’histoire dépeint le combat mené par le vieil homme durant plusieurs jours, au cours desquels il affrontera non pas le poisson, mais l’océan ; sa météo, ses habitants, ses caprices…et son propre âge.

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Pourquoi consacrer un article à cette histoire ? Pour plusieurs raisons. Premièrement, le soin avec lequel Hemmingway, dans le récit original, nous retransmet la force de la mer mérite largement d’être connu. La puissance indomptable des flots, les assauts incessants des vagues et du vent, l’univers impitoyable des profondeurs face auxquelles Santiago refuse de céder ne sont pas simplement dépeints, mais bel et bien narrés.

Décrits et vécus, presque comme si le lecteur s’y trouvait lui-même, aux côtés de ce pauvre petit vieux dont la modestie n’a d’égale que la volonté. La personnalité de ce dernier, ou sa psyché devrait-on dire, sont l’autre facette majeure de ce roman. De ce pauvre diable, nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est ce qu’il vit et la ressource qu’il déploie dans le simple geste d’une main fermée sur une ligne.

Sa vie n’est décrite que dans ses grandes lignes, et tout ce que l’on sait de lui se résume presque entièrement à ce que son combat au large des côtes nous laisse comprendre. C’est même ce qui donne son cachet à la lecture de ce récit. Hemmingway nous projette quasi-directement dans l’action, avec un personnage-narrateur fourbu, mais serein, résolu à affronter ce que l’océan lui réserve en dépit du danger que représentent les courants du large pour un vieil homme, si expérimenté soit-il…

Caractère, c’est bien le mot pour parler de ce vieillard qui refuse de tout lâcher. L’adaptation animée par Petrov le retranscrit parfaitement, mais moins par la qualité du doublage, pourtant excellent, que par la technique employée pour réaliser les animations en 2D.


Celles-ci s’apparentent, peut-être involontairement, aux graphismes impressionnistes, du même genre que ceux de Pissarro, Monet ou Cézanne.

Le courant, paru en France au 19e Siècle, se réalisait dans sa capacité à donner vie et force aux sujets représentés, le plus souvent au couteau de peintre. Cette qualité est particulièrement mise à profit dans les scènes les plus poignantes, tels les souvenirs de Santiago, chargés d’animaux observés durant sa jeunesse sur les côtes africaines, ou de son présent, confronté en permanence aux bleus et aux verts des vagues. Le procédé donne au court-métrage une profondeur et une délicatesse que seul un rêve ou un conte, au sens d’une histoire contée, pourrait susciter. En cet aspect, l’un des meilleurs passages est la fameuse scène du bras-de-fer se déroulant dans un autre souvenir du personnage principal. Le duel en question aurait, selon le récit du marin, duré toute une après-midi et toute une nuit. Dans l’adaptation, l’écoulement du temps se réduit à une chandelle vacillant entre deux visages unis par une poignée de main. La scène n’est plus alors un simple plan central, mais une authentique peinture, que l’on serait tenté de conserver en arrêt sur image si il n’y avait un narrateur pour poursuivre le récit.

Une autre des qualités du récit doit être ici mentionnée : il est simple. Le résumer est facile : On rencontre Santiago, il part à la pêche, se fait entraîner au large, lutte avec la mer et revient. Toute la subtilité réside dans l’immersion, la force du duel mené et et le poids des ans qui ressurgit dans chaque parole (et chaque geste) du pêcheur. C’est même encore plus marquant dans la version animée où, à la façon de réalisateurs modernes comme Genndy Tartarovsky ou Tatiana Kiseleva, les réalisateurs laissent une confortable portion de temps aux sons de la mer, aux plans sur le décor ou aux expressions faciales si souvent vouées à l’effort.

Enfin, ultime aspect méritant d’être connu ; Le récit, et tout spécialement son adaptation, sont d’une étonnante modernité selon les standards de l’époque. Développons ; un personnage usé, voire fragile, et un brin cynique balancé dans un univers qui a bercé sa vie et désormais le rejette. Un personnage en opposition avec les modèles véhiculés pendant si longtemps par la Littérature avec un grand « L », et pensés pour influencer les mœurs dans le « bon sens ».

Les protagonistes, par exemple, des romans de Jules Vernes (1828-1905) sont presque toujours des gens à succès, dont l’auteur nous vante les qualités et nous démontre l’aptitude a rebondir à coup sûr dans les pires situations. Quelques siècles avant, c’était Chrétien de Troyes (1130-1190) qui instaurait la tradition des romans de  chevalerie, avec des personnages idéaux véhiculant des valeurs tout aussi idéales.

D’autres exemples se sont présentés, comme ceux de la Princesse de Clèves (Mme de La Fayette) ou de Kataw dans la Condition Humaine (André Malraux), que la modernité tend a vouloir dépasser.

Dans le cas présent, Santiago se place gentiment dans la catégorie des personnages dont la profondeur se révèle dans les failles, les défauts et les écueuils rencontrés, et dont la culture contemporaine abonde, notamment au cinéma ou dans les comics-books.

Une histoire réaliste, sobre et puissante, un personnage modeste, dépassé, mais toujours battant, et une immersion totale, sur le papier comme à l’écran. Voici les qualités de ce récit et de son adaptation animée. Voici les qualités qui me poussent à vous recommander la lecture et l’adaptation cinématographique de cette œuvre.