Le WIELS nous présente la Libanaise Huguette Caland et le Belge Kasper Bosmans qui racontent leurs origines à travers quelques-unes de leurs œuvres plastiques mais dans des styles très différents. Exercice de narration muséale ou langage plastique propre à l’artiste ?

Les expositions monographiques sont souvent utilisées par les musées pour raconter le parcours de l’artiste exposé, mais lorsque l’artiste crée des œuvres dans lesquelles il raconte ses origines, est-ce le même résultat ? Le Wiels se lance dans un exercice de style de narration muséale différent pour chacun des deux artistes.

Chacun occupant un étage de l’ancienne brasserie, Huguette Caland (1931-2019) et Kasper Bosmans (1990-) exposent leurs peintures et petites sculptures de manière équitablement spatiale.

Depuis le Liban…

©Alexandra Bertels

Pour Huguette Caland, dont l’exposition s’intitule Tête-à-Tête, nous pouvons suivre de manière évolutive ses œuvres depuis les années 1970 dans la première salle; comment l’artiste peint ses tableaux avec des couleurs qui font écho aux couleurs du pop art de Nikki de Saint Phalle, ainsi que ses dessins en ligne sinueuse qui rappelle le graphisme d’un Joan Miro.

Son traitement du corps féminin, de la sexualité et de l’érotisme est souligné par l’accrochage de ses tableaux et indique sa détermination d’abolir l’image traditionnelle de la femme. Ce que confirme la phase suivante exposée dans les salles contiguës, Bribes de corps, « qui représente des formes abstraites voluptueuses et colorées invoquant le corps sans jamais le révéler » selon le dépliant de l’exposition.

Jusqu’au Moyen-Orient

Dans un style bigarré et proche de la tapisserie orientale, Huguette Caland frôle l’abstraction tout en laissant apparaître quelques éléments figuratifs, telle une tour de château, des fleurs ou une robe, qui sont les fameuses bribes. Des aplats de couleurs comme des tissus cousus de manière juxtaposée sont traversés d’une ligne calligraphique remplissante et interreliée, qui rappelle les dessins des années 1970s.

Le WIELS parle dans le dépliant de l’exposition « de l’esthétique byzantine et des tissages de Palestine qui imprègnent la culture libanaise ». Cette évocation du passé culturel d’Huguette Caland, pour la partie plus mature de son œuvre, contraste avec les évidentes influences occidentales de la première salle, plus discrètes dans le texte du WIELS.

©Wiels

La ligne écrit sa vie

Ainsi, le discours muséal tisse une référence d’origine à l’art d’Huguette Caland. Mais ce discours a posteriori de l’histoire de l’art, qui situe l’artiste dans le paysage artistique, est également accompagné d’un écho plus personnel.

En effet, les œuvres accrochées ne sont pas anodines, mais reliées à la vie intime de la peintre.  Les toiles accrochées sont intitulées Bodrum (avec la tour de château) comme le nom du bateau dans lequel l’artiste naviguait, Kantari (avec la robe) du nom de la ville libanaise où elle vécut son enfance ou Appleton (avec les fleurs) de la ville des Etats-Unis où elle s’installa ensuite.

Il y a donc une double couture dans l’écriture de l’histoire de l’art d’Huguette Caland : par le Wiels d’une part, avec le texte pédagogique de l’institution, et d’autre part, plus discrète dans le titre des œuvres par l’artiste elle-même dans son affirmation féministe.

C’est à partir de cette deuxième écriture que commence l’exposition consacrée à Kasper Bosmans qui tisse lui-même le lien avec son background culturel.

Du Moyen Âge…

Pour cette exposition Kasper Bosmans aura créé des nouvelles œuvres et présentera des anciennes de 2014 sous le nom de Husbandry, qui « explorent les intersections entre la nature et la culture » selon le Wiels. Bosmans regarderait les phénomènes de culturation ou de domination de la nature par l’homme de manière critique.

La première salle de son exposition nous accueille avec Bird Nose Count de 2020, un panneau mural émaillé qui reprend tous les œufs présents dans les peintures du maitre flamand Melchior d’Hondecoeter (1636-1695), dans son ambition d’illustrer le succès économique des Pays-Bas de l’époque. Nous pouvons constater, une volonté de filiation de la part de Bosmans, outre la référence à l’aspect commercial de la peinture sur émail.

© Wiels 2020

Dans la même salle, face à l’entrée un mural géant est rempli de plusieurs étendards qui rappellent les bannières du Moyen Âge. Berserk de 2022 s’impose avec son bestiaire de peaux d’animaux de taille démesurée, où le hérisson représente Bosmans de par ses caractéristiques d’amasseur et collectionneur. Ce qui fait référence à une œuvre adjacente, Stones de 2016 où des pierres avalées par des poules sont exposées, de la même manière que le travail de Bosmans incorpore des éléments externes dans son œuvre.

Le mural incorpore des petits tableaux en forme d’étendards accrochés sur un mur en trompe-l’œil et surmonté par 3 chevaux aux couleurs régionales.

Un bestiaire

Cette caractéristique se retrouve dans la salle suivante, avec les représentations de chiens retournés sur lesquels les mamelons des chiens sont remplacés par des œufs, des sucres ou des prunes.

La troisième salle présente Home is dear, home is best de 2022, un tableau de sable sous forme de toile d’araignée emprisonnant des pierres précieuses. C’est clairement une référence à Lommel, ville connue pour ses tableaux de sable mais aussi ville où Bosmans a vu le jour. Le thème de l’accumulation et collection de trophées par l’araignée rejoint celle des salles précédentes.

tapis de sable de Kasper Bosmans pour ‘Husbandry’, WIELS, Brussels, 2022 © Hugard & Vanoverschelde

Et une production locale

Il en va de même dans la salle suivante qui présente, Vuil ventje (2022), la construction d’une tour et avec Boy Butter, des panneaux accrochés aux murs avec des blocs de bronzes moulés à l’effigie des paquets de beurre pour simuler les palettes de beurre. Car le produit local serait, comme le dit le WIELS, une référence à l’entreprise familiale Bosmans de contrebande, à la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas, ainsi que l’écoulement en douce sous les vêtements. Quoi qu’il en soit, on retrouve aussi cette réflexion sur l’accumulation de consommables.

Kasper Bosmans, Boy Butter, 2021 © Gunnar Meier

La salle du fond consiste en la présentation d’une longue banderole rouge entrecoupée par des plaques gravées de l’image du ciseau et des plaques en verre transparent gravées d’un profil de loup. Il s’agit d’une référence aux corridors créés pour les loups aux Pays-Bas et en Belgique pour permettre leur repopulation dans nos contrées tandis que les ciseaux incarnent les obstacles à leur parcours.

Précieusement collectés

Le circuit de l’exposition de Kasper Bosmans se termine par une salle où trônent deux cabines de branchements téléphoniques détournées pour servir de vitrines de fleurs pressées telles les collections d’un herbier, Switchboard (WIELS in préparation for Wolfgang Tillmans) de 2021. L’œuvre s’inspire d’un standard téléphonique décoré de la même manière au musée des télécommunications à Rotterdam visité par Bosmans.

Tandis que sur le sol de cette salle, des sculptures en pierre imitant les socles d’œuvres, Pressed Flowers de 2021, emprisonnent aussi des fleurs pressées entre deux pierres superposées. Une ode à la féminité emprisonnée par la pierre et à son devenir fossilisé dans la pierre ?

© Wiels

Les œuvres de Bosmans étant plus récentes que celles de Caland, le discours d’histoire de l’art ne peut se permettre de parcourir toutes les phases de l’artiste belge, mais ce dernier raconte ses origines à travers son style.  De ce fait, il se place lui-même dans l’histoire de l’art sans l’aide du discours muséal.

Avec Husbandry qui signifie la domestication de la nature par la culture, Bosmans revient au plus près de l’art local, voire moyenâgeux de la frontière belgo-hollandaise, dans un désir de retour aux sources qui s’oppose à l’ouverture au monde contemporain de Caland.

Le fort désir d’attachement à la culture locale de la part de l’artiste belge contraste avec la subtile autobiographie de l’écriture qui traverse les œuvres de la Libanaise et les Bribes de corps qui rappellent les tapisseries du Moyen-Orient. Les deux artistes parlent de la même thématique mais de manière opposée dans leur traitement.

Deux expositions à découvrir jusqu’au 14 août 2022 pour Kasper Bosmans et jusqu’au 12 juin pour Huguette Caland.