Images hypersexualisées, récupération de données, plagiat… Capables de générer des dessins à partir d’une simple description ou d’images existantes, les programmes d’intelligence artificielle utilisés par un nouveau type de plateformes web et d’applications pour smartphones posent des questions de copyright et d’éthique.

Mai 1997, le superordinateur DeepBlue, développé par la société IBM, remporte un match d’échecs historique contre Gary Kasparov, le champion du monde en titre.

Première de l’Histoire, cette victoire attire l’attention du monde entier sur le potentiel de l’intelligence artificielle et soulève des inquiétudes quant à sa capacité à supplanter l’Homme dans ses différentes activités.

Si l’IA s’est aujourd’hui largement insérée dans nos vies quotidiennes. Pensez chat-box, recommandations personnalisées sur Netflix, guidage GPS en temps réel, etc. Le domaine des arts est longtemps resté la chasse gardée de l’humanité. Comment un ordinateur pourrait-il écrire un roman ? Composer une symphonie ? Peindre une toile de maître ? Si on en croit les nombreux articles rapportant les exploits créatifs de programmes IA, ces questions sont désormais obsolètes.

Facebook Prisma AI @Prisma Labs

Et depuis l’ouverture récente au public de plateformes telles que Midjourney, Lexica, Stable Diffusion ou Dall-E, n’importe qui peut maintenant utiliser le pouvoir de l’IA pour générer une image digitale, dans le style de son choix à l’aide d’une simple description texte. Sur les réseaux sociaux, ce sont les applications pour smartphone telles que Lensa AI et Dawn qui ont particulièrement eu le vent en poupe ces derniers mois. Fonctionnant elles aussi à l’intelligence artificielle, ces applications permettent à leurs utilisateurs de générer des portraits artistiques et/ou fantaisistes d’eux-mêmes à partir de quelques selfies.

Bien que l’art généré par IA existe depuis 2015, il a récemment atteint un niveau de perfection, de facilité d’accès et de diffusion encore inégalé jusqu’à présent. Cette utilisation massive va toutefois aussi mettre en lumière un certain nombre de controverses.

Machines VS Artistes

En première ligne face à la révolution créative promise par l’IA, les artistes, graphistes, peintres et photographes accueillent cette nouvelle technique capable de générer de l’art à volonté avec méfiance. Avant même d’évoquer la menace d’un grand remplacement, il faut reconnaître que les dessins générés par IA ne peuvent l’être que grâce au travail des artistes traditionnels. Certaines marques de mode se passent déjà de modèles et génèrent leurs campagnes éditoriales grâce à l’IA !

En effet, les IA génératives fonctionnent en scannant d’immenses banques d’images. Utilisant la technique du machine learning. Elles analysent et récupèrent les données en fonction de celles entrées par l’utilisateur et recomposent le tout pour créer un dessin original. C’est comme cela qu’il est possible de créer un portrait de vous dans le style de Van Gogh, ou le dessin d’un astronaute dans le style d’une estampe japonaise.

Certains artistes contemporains trouvent cependant des similarités très fortes avec leurs propres styles, c’est le cas de la cartooniste Sarah Andersen. Ils dénoncent notamment la manière dont des milliards de productions artistiques sont récupérées sur le web sans l’accord de leurs créateurs afin de constituer les banques d’images sur lesquelles les IA s’entraînent. L’art généré par l’IA pose ainsi des questions de droits d’auteur et de plagiat sur lesquels la justice commence à peine à se pencher.

Pour quelques euros et une poignée de données personnelles

Du côté des utilisateurs, si un essai gratuit permet de générer ses premiers portraits, sur les applications Lensa AI et Dawn, il faut rapidement sortir son portefeuille pour continuer à utiliser ces dernières à pleine capacité. Un système d’abonnement mensuel lucratif est mis en place par ces plateformes qui génère déjà des millions de dollars !

L’abonnement n’est toutefois pas le seul prix à payer puisque, en soumettant des photos d’eux-mêmes à ces applications, les utilisateurs donnent accès, parfois sans le savoir, à leurs données personnelles. Les conditions d’utilisation de Lensa AI mentionnent par exemple que des données faciales de l’utilisateur peuvent être conservées pour l’entraînement de leur algorithme. Cette problématique de la gestion des données utilisateurs est un sujet déjà central en ce qui concerne le web. Dans un paysage internet où il est toujours plus difficile de maîtriser pleinement son image, ces questions de confidentialité devront vite trouver des réponses.  

Des images parfois problématiques

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Difficile d’innover quand on se base seulement et entièrement sur ce qui a été fait avant soi ! C’est là un troisième problème rencontré par l’art IA qui, en scannant tout ce qui a été créé à travers les siècles, reproduit dans ses images des stéréotypes dangereux. Utilisateur(rice)s de Lensa AI ont ainsi été surpris de recevoir des portraits d’eux-mêmes à la peau plus claire qu’en réalité. Ou encore avec une poitrine exagérée, une taille cintrée et dans une position suggestive. Très accessibles et permettant à leurs utilisateurs de soumettre les descriptions et photos de leur choix, les plateformes d’IA génératives sont aussi des outils qui peuvent être facilement détournés pour des usages contestables, voire criminels. Comme la création de deep fakes ou de contenus pornographiques, violents et pédopornographies, incluant parfois des personnes réelles sans leur consentement.

Si les plateformes et applications commencent à mettre en place des filtres pour éviter la production de ce genre de contenus, internet reste un endroit difficile à gouverner et les législations nationales peinent à rester à jour sur les nouvelles technologies et leurs potentiels usages criminels.

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Outil de création puissant et quasi-instantané, les IA génératives ont certainement leur place dans un monde contemporain régi par un flux constant d’informations et de divertissement. Dans une archive vidéo qui a ressurgi sur Internet le mois dernier, le grand-maître de l’animation japonaise Hayao Miyazaki réagissait déjà au dessin par intelligence artificielle en parlant de la technique comme d’une « insulte à la vie elle-même » et la preuve que « nous devons approcher la fin des temps ».

Sans tomber dans un tel pessimisme, il est clair que les débats autour de l’art créé par IA mettent en lumière des problèmes sérieux en ce qui concerne non seulement la technique, mais aussi notre société de surconsommation et ses rapports à l’art et aux individus.

Nous avons passé les dernières décennies à surconsommer, avons-nous vraiment besoin de sur-créer ?