À travers des créations de plus d’une quarantaine d’artistes britanniques, originaires des Caraïbes, la Tate Britain de Londres nous ouvre ses portes en présentant l’histoire de l’Art britannico-caribéen des années 50 à nos jours. L’exposition nous livre la façon dont la diaspora des Caraïbes a su créer une culture britannico-caribéenne propre et  développer de nouvelles formes d’expression artistiques.

Le Windrush comme point de départ

Financial Times © Popperfoto/Getty Images.

L’exposition débute avec l’événement qui aura profondément marqué le paysage politique, social et culturel de la Grande-Bretagne, au point de repenser l’identité culturelle du pays tout entier: la vague de migration caribéenne au Royaume-Uni qui commence en 1948.

Le Windrush, célèbre navire de l’Empire britannique, accoste à Londres dans l’Essex, le 22 juin 1948 au port de Tilbury. À son bord, pour la première fois, 492 passagers en provenance des Caraïbes (Antilles anglaises ou West Indies en anglais), dont des enfants et anciens combattants.

Ce sera le début d’une massive vague migratoire d’environ 500 000 personnes originaires des Bahamas, de la Jamaïque, de la Barbade, de Trinité-et-Tobago, de La Guyane et de bien d’autres colonies britanniques…

Des œuvres qui font résonner l’Histoire

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Empire britannique en quête de main d’œuvre, ‘’invite’’ tout sujet du Commonwealth et de ses colonies à contribuer à la reconstruction de la Nation. Pour une modique somme de 28 livres sterling le billet, des familles entières viendront par bateau vivre et s’installer sur le sol de la mère-patrie. Elles obtiendront la nationalité britannique, conférée par le ‘’British Nationality Act’’.

C’est dans ce contexte que débute ce voyage dans le temps et dans l’espace où nous plongent les créations de différents artistes tout au long de l’exposition.

©Vanley Burke, “Young Men on a Seesaw in Handsworth Park” (1984)
Courtesy Vanley Burke Archives

Georges Lamming, venu de la Barbade en 1950 publiera 3 ans plus tard, un premier roman autobiographique sur le sujet : In the Castle of my Skin qui recevra notamment le prix littéraire britannique du Somerset Maugham Award. Il écrit également The Emigrants, publié en 1953 dont Denis Williams, peintre originaire de la Guyane, créera la couverture.

Nous est également présenté le roman The Lonely Londoners, de Samuel Selvon, originaire de la Trinité-et-Tobago. Roman parlant de cette expérience des migrants et de la génération Windrush, ou les enfants issus de ce flux migratoire, se retrouvant par la suite sans aucune trace de leur nationalité britannique, donc sans identité. Ils seront  poussés par le Home Office à quitter le territoire après des dizaines d’années de vie en Grande-Bretagne. Ce livre servira de squelette au film Pressure en 1975, premier long métrage d’un réalisateur britannico-caribéen, Horace Ové, également exposé.

Une réponse pacifique au rejet: le Carnaval de Notting Hill

Très rapidement victimes à leur arrivée de racisme, de discrimination à l’embauche et au logement, beaucoup de ces “nouveaux citoyens britanniques” seront déçus. Emeutes et vagues de violence se propagent dans différentes parties du pays, conduisant à une limitation en matière de politique d’immigration.

Notting Hill en fut le théâtre pendant deux semaines consécutives et c’est en réponse à ces émeutes que le carnaval est descendu en 1966, dans les rues de cette partie ouest de Londres. Carnaval célèbre, devenu aujourd’hui symbole de résistance antillaise, le photographe Charlie Phillips nous en parle avec son œuvre Notting Hill Carnival, de 1968.

Le Windrush, mais pas seulement…

En réalité, comme on le voit dans l’exposition, il faut remonter plusieurs décennies dans le temps –et parfois plus encore- pour fidèlement relater la croisée des chemins entre ces deux cultures, leur richesse mais aussi leur héritage transmis à la société britannique. En effet, avant et après le phénomène de migration du Windrush, plusieurs artistes ont quitté les Antilles anglaises pour venir en Grande-Bretagne. C’est aussi de leur vécu et de leur perception exprimée dans leurs œuvres que Life Between Islands nous parle.

Collection Shane Akeroyd, London © Denzil Forrester

Ronald Moody qui en 1923, quitte sa Jamaïque natale pour poursuivre des études de dentisterie en Grande-Bretagne, obtient son diplôme, puis devient sculpteur et connaît une carrière artistique de renommée internationale. Notamment avec The Onlooker (le spectateur ) de 1958-1962, sculpture sur bois qui exprime selon lui le rôle de l’artiste: observer.

On y trouve également les traces laissées par l’esclavage, avec la représentation de l’assujetissement d’un groupe de personnes à un autre, comme dans l’œuvre de Donald Locke intitulée Plantation series dans les années 1970. Ou encore en 1983, la peinture de Denzil Forrester, Jah Shaka explorant également les racines africaines de la culture caribéenne.

Les Fantômes du passé: à la recherche du Moi perdu?

L’artiste Denis Williams avec son œuvre abstraite sur bois intitulée Painting in six related rythms (peinture en six rythmes liés) de 1955 illustre parfaitement le caractère à première vue éclaté et complexe de l’identité multiple caribéenne. Avec ses lignes droites qui se croisent et se coupent, donnant l’aspect d’une mosaïque.

De même, John Lyons, avec son poème intitulé Folklore, publié en 2008, fait référence à l’héritage culturel de son pays natal, Trinidad, avec ses mythes et ses croyances qu’il ne veut pas oublier.

Althea Mc Nish, seule femme du Mouvement Artistique Caribéen (Caribbean Artistic Movement), confie s’être inspirée des chants de blé d’Essex, qui lui rappelaient les champs de canne à sucre de Trinidad, pour une de ses œuvres les plus célèbres: Golden Harvest, en 1959, une création textile.

Sonia Boyce She Ain’t Holding Them Up, She’s Holding On (Some English Rose) 1986 Middlesbrough Institute of Modern Art (Middlesbrough, UK) © Sonia Boyce

She Ain’t Holding Them Up, She’s Holding On (Some English Rose) de Sonia Boyce en 1986, est l’œuvre qui illustre le mieux des thèmes tels que la force ‘’que l’on attend’’ de la femme. On y voit aussi  transparaître le thème de la recherche d’un équilibre entre sauvegarde de l’héritage culturel et la nécessité d’en forger une qui nous soit propre, unique.

Evolution au fil des oeuvres et du temps

Du Windrush et du scandale national qui en a découlé 70 ans plus tard, en passant par l’impact de la culture dans le processus de décolonisation, Life Between Islands nous expose aussi le Caribbean Artists Movement (mouvement des artistes caribéens). Ce mouvement de 1962 qui, militant pour une identité propre et unique britannico-caribéenne, revendique un certain héritage ancestral culturel. Il conserve une importante influence artistique encore aujourd’hui.

Le mouvement des Black British Panthers de 1968 à 1973 (branche de la mouvance activiste américaine Black Panthers) avec des photographies ‘’témoins’’ de Neil Kenlock nous parle de ses luttes contre le racisme et la discrimination, entre victoires et défaites.

L’exposition poursuit son cours avec notamment en 1980 Description of The National Front, 4 sérigraphies de Eddy Chambers, du mouvement Black Arts Group. Œuvre visant à dénoncer le mythe de la suprématie blanche, prôné par le parti national fasciste National Front (Front National).

Un épilogue riche de sens: artistes d’origine caribéenne, et Britanniques

C’est dans le dernier chapitre de l’exposition, Past, Present, Future, que les 45 artistes mettent en lumière la richesse de toutes ces influences. Leur indéniable héritage transmis, mais surtout la nécessité indispensable de refonte de l’Art britannique, en y incorporant ses marques caribéennes, avec une large porte ouverte sur l’avenir.

La question du caractère continu de cette croisée des chemins riche en inspiration et en création est explorée. Les thèmes récurrents tout au long de l’exposition, illustrent la nécessité du retour dans le passé pour une connaissance plus poussée et une inspiration plus enrichie, éclairée.

Life Between Islands est innovante, progressiste, représentative de la réalité culturelle britannique actuelle. Pour la première fois, exposée dans un musée d’envergure nationale, elle vise à raconter et même affirmer l’apport indiscutable caribéen comme partie totalement intégrante de l’histoire identitaire du pays.

Oscillant entre fusion, ancrage et rejet, les relations entre les Caraïbes et la Grande-Bretagne y sont explorées en s’adressant à tout le pays dans son ensemble, comme un seul corps.

Une initiative à saluer

L’objectif des différents artistes et de David Bailey – le commissaire de cette exposition- était notamment de pousser les autorités à repenser leur manière de raconter l’histoire de la Nation mais aussi de remettre en question le système en place, quant à la représentation des communautés.

Cette exposition est d’autant plus pertinente qu’elle répond à un besoin urgent de reconnaissance, à l’heure où des mouvements tels que Black lives Matter viennent éveiller nos consciences sur le racisme systémique envers les personnes noires.

Détail important ou clin d’oeil de l’Histoire

La colonisation des Caraïbes et le commerce transatlantique des esclaves ont grandement contribué à construire la richesse et la puissance mondiale de la Grande-Bretagne. La création de La Tate Britain, où se déroule notre exposition, s’inscrit parfaitement dans cette logique de continuité et de fantôme du passé déjà évoquée plus haut. Fondée en 1889 par Sir Henry Tate, riche industriel ayant fait fortune dans le raffinage du sucre, le musée nous offre aujourd’hui la possibilité d’assister, …Wether You Like It Or Not..., à l’affirmation d’une nouvelle identité multiculturelle, complexe dans son unicité.

Cette passionnante exposition à ne pas manquer, connaît un réel succès et est ouverte jusqu’au 3 avril.