Les vidéos des expositions sont de manière générale souvent très conceptuelles. Difficile de se laisser happer uniquement par la poésie des images sans jeter un coup d’œil, dans la douce obscurité de la salle, au document A3 explicatif remis à l’entrée. Et pourtant…

Le travail insoupçonné du commissaire d’exposition

Une œuvre d’art a un auteur, et pourtant, quand elle est parfaite, elle a quelque chose d’essentiellement anonyme. Elle imite l’anonymat de l’art divin. Ainsi, la beauté du monde prouve un Dieu à la fois personnel et impersonnel, et ni l’un ni l’autre.

Simone Weil 

Or, il est vrai, sur le site internet de La Friche n’est indiqué aucun nom, ce qui donne à la citation de Simone Weil une aura particulière à l’ensemble des œuvres telles qu’elles sont présentées. Mais, entre ces lignes se joue le lien poétique que nous avons tissé avec cette exposition.

La poésie, multiples couches de sens, qui saisit l’ineffable, l’insaisissable dans un rapport unique à l’œuvre de celui qui la regarde. Esthétique, poétique, tels sont les adjectifs relatifs aux contenus même de l’exposition mais aussi à son contenant et plus précisément sa mise en œuvre.

Mise en œuvre comme ce qui ressemble à s’y méprendre à un édifice religieux. Façade, Narthex, Nef centrale, Chœur et bas côtes…le ou la commissaire d’exposition, consciemment ou inconsciemment, nous fait  pénétrer une église à l’obscurité fendue par la lumière émanent des vidéos ayant pris la  place mobile de vitraux.  

La Façade constitue l’entrée qui nous annonce fièrement : le 35e festival des Instants vidéo et les artistes exposés. Dans le Narthex, deux œuvres se font face et rassemblent l’une et l’autre les 4 éléments utilisés pour décrire la formation de l’univers depuis l’Antiquité : l’eau, le feu, la terre, l’air. Deux œuvres donc : « Tête-à-tête – a private conversation between two people (03’15 – 2018) » d’Elena Cremona & Ramez Vafa (Angleterre) » et « Ophelia (08’00 – 2020)» de Meike  Redeker (Allemagne).

Dans la Nef ? L’œuvre d‘André Goldberg « Intelligent Design (29’49 – 2017)» occupe dans  l’espace une place de choix, centrale dont le sujet traité confronte les darwinistes aux  créationnistes. Quant au Chœur ? C’est une vidéo sur un écran géant aux dimensions et combinaisons incommensurables où les visiteurs peuvent décider, une souris en main, du choix narratif, et donc temporel, et de son point de vue spatial grâce à l’usage de la 3D. Clou du spectacle, le visiteur comme chef de chœur, pour ne pas dire prêtre ?

Comme on a pu l’observer, l’exposition, par son agencement, appartiendrait au mystique, or toute œuvre essentielle est de l’ordre du mystique et nombre d’écrivains, philosophes (Kant notamment), poètes, peintres se sont exprimés à ce sujet. Retenons Jean Boccace « La théologie n’est pas autre chose que la poésie de Dieu », ou encore « La poésie  est le langage naturel de tous les cultes » selon Madame de Staël. Une poésie écrin de poèmes, les œuvres elles-mêmes 

Œuvres-poèmes, espace-temps

Il est désormais question de déambuler dans l’espace, et plutôt dans un espace-temps très particulier, où le temps est dilaté : nous nous déplaçons d’une œuvre à l’autre, plus exactement d’une vidéo à l’autre dont la durée est très variable, tourne en boucle. Nous sommes subjugué par l’œuvre et laissons filer les minutes. Nous prenons la vidéo en cours, il nous faut attendre la fin pour que de nouveau se joue son commencement. Nous ignorons combien de temps nous sommes restés dans cet écrin mystique des « Instants Vidéo numériques et poétiques. ».

« Instant » justement : n’est-ce pas le juste mot pour mesurer ce temps plus ou moins court accordé à chaque œuvre plus ou moins longue ? Déambuler dans cet espace semi-obscure, c’est offrir la liberté à chaque visiteur-spectateur de naviguer d’un écran à l’autre, lui donnant la possibilité de faire du regard des allers retours d’une vidéo à une autre, créant lui-même une narration, contrairement aux salles obscures des cinéma où le récit bien souvent nous est imposés.

Déambuler entre ces œuvres, c’est se donner la possibilité d’y revenir, peaufiner son regard, l’aiguiser…

Un choix : Tête-à-tête, Intelligent design, Failling, Ophélia 

Prelude OP Jenni Toikka, 2020, Finlande

Puisqu’il s’agit d’aiguiser, puisqu’il s’agit de reprendre le fil, nous faisons fi d’un choix difficile.  Outre ces quatre œuvres qui sculptent l’exposition, Prélude OP 38 n°2, nous a ému en un  clin d’œil à « Sonate d’automne » du cinéaste Ingmar Bergman.

Tête-à-Tête

Un amour naissant inonde le monde de poésie, un amour qui dure irrigue de poésie la vie  quotidienne, la fin d’un amour nous rejette dans la prose.

Edgard Morin

Dans ce court film, nous sommes à la charnière : « un amour qui dure irrigue de poésie la vie  quotidienne ». « L’amour n’est rien d’autre que la suprême poésie de la nature. Qui inonde,  en l’occurrence, éblouie avec cette boule de feu. »  

Un amour qui dure est un amour complice. Un amour qui dure se confronte au danger, vaille  que vaille, « dans la vie et la mort », ensemble. Un amour qui dure, c’est l’échange, parfois  douloureux (quand la femme est hors champ, la brûlure s’était faite intense), mais on s’entête, on revient on y croit.  

« L’amour n’est rien d’autre que la suprême poésie de la nature. » – Novalis issue de Heinrich von Ofterdingen. Nature jusqu’au-boutiste ce film. Une forêt, un homme une femme nus. Faute de jardin d’Eden,  une forêt, faute de pomme une boule de feu.  

Intelligence design

Nous y voilà : La Bible VS « L’origine des espèces » de Darwin. Et en contrepoint ce nouveau  courant de pensée américain créationniste qui suppose que le monde est trop complexe  pour ne pas avoir été créé par un être intelligent.

En gros plan sur l’écran, une main gantée de blanc, neutre, raye avec application les écrits de la Bible ou bien « L’origine des espèces » ? On l’ignore. On sait juste en arrière-plan que la  Genèse comme la loi de Darwin sont remises dans certaines universités américaines sur un  même plan. L’homme. Passé. Présent. Avenir ?

Failling

Ou « La poésie est aujourd’hui l’algèbre supérieure des métaphores. » -José Ortega y  Gasset

C’est cet avenir que par un grande dextérité Sandrine Deumier explore entre graphisme des  jeu vidéo et circularité planétaire. La femme avec inscrit sur son buste le logo recyclable est  au cœur du propos soutenue par l’artiste. Femmes qui se relèvent d’un écosystème délabré.  Femmes du futur que le visiteur, par le jeu de la souris, croît grâce à la 3D maîtriser. Mais c’est Sandrine  Deumier qui a le dernier mot.

À découvrir ici

Ophélia

Femme, Meike Redeker, auteur qui se met en scène, si l’on en croit la description sur la  plaquette A3 fournie à l’entrée de l’exposition, « traite des représentations discriminatoires  des femmes dans le passé et le présent ». Meike, couchée dans le lit d’un torrent suit par son verbe ininterrompu le cours du torrent. Puis ce courant inverse son fil et les paroles de Meike sont prononcées (allons-y) en verlan. C’est ce que nous dit la plaquette. Mais sans sous-titres, nous ne pouvons que nous attacher à l’image de cette femme qui parle, A contrario de la défunte Ophélia du tableau de J.E Maillet, que Lars Von Trier a repris pour deux affiches de Mélancholia.

Clin d’œil à la pâte Friche Belle de Mai

On est arrivé, le jour bien que gris était encore là, il devait être 16h30, on quitte la salle Seita de La Friche Belle de Mai, descend les 5 étages et face à nous….

Comme un clin d’œil à un artiste pop que nous n’avons pas reconnu dans le descriptif « A3 ». L’anonymat des graffeurs qui usent de pseudo, l’anonymat de cet artiste pop, l’anonymat du  ou de la commissaire d’exposition : Une oeuvre (…) imite l’anonymat de l’art divin, nous  rappelle Simone Weil.

Instants video – Exposition video Numérique et poétique : jusqu’au 22 janvier , 41, rue Jobin,  13003 Marseille