Si je vous dis Martine, à qui pensez-vous ? Peut-être voyez-vous une petite fille avec une queue de cheval et accompagnée d’un petit chien, vous avez sans doute lu ses aventures quand vous étiez enfant et peut-être même vous êtes-vous identifiée à Martine à l’école, à la ferme, à la mer, à la montagne ou à la foire.

Eh bien, figurez-vous que cette petite héroïne créée par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier souffle ses 70 bougies cette année ! Les éditions Casterman fêtent cet anniversaire en sortant deux nouveaux albums :Martine à Paris et Martine et le Noël surprise écrits par Rosalind Elland-Goldsmith, publiés respectivement en mars et en octobre 2024 et un livre hommage de Laurence Boudart, «Martine, l’éternelle jeunesse d’une icône», illustré avec des archives, des photos d’époque et surtout des dessins de Marcel Marlier.

© Casterman

Une icône de la littérature jeunesse

Martine s’appelle Anita au Portugal, Tiny en Allemagne, Maja en Croatie, Zana en Albanie, Debbie en Angleterre, Aysegül en Turquie ou Touline au Liban, pour ne citer que quelques pays parmi la quarantaine où sont populaires les 60 albums qui ont été vendus à plus de 165 millions d’exemplaires dans le monde. Elle est née en Belgique en 1954 de la collaboration de l’illustrateur Marcel Marlier avec Gilbert Delahaye chez Casterman où le premier avait illustré des éditions de textes d’Alexandre Dumas, de la Comtesse de Ségur ou de Madame le Prince de Beaumont, tandis que le second était à la fois ouvrier typographe et poète.

Édition portugaise, Martine devient Anita © Difusão Verbo 1970 / Delahaye / Marlier

Sous l’impulsion de Louis-Robert Casterman, ils donneront naissance à leur personnage dans Martine à la ferme et Martine en voyage, les deux premiers albums d’une longue série d’aventures pour la petite fille, sa famille et ses amis. Gilbert Delahaye écrira chaque année une nouvelle histoire jusqu’à sa mort en 1997 et Marcel Marlier continuera de dessiner Martine jusqu’à la sienne en 2011. C’est le fils du dessinateur, Jean-Louis Marlier, qui succéda à Gilbert Delahaye jusqu’au dernier album paru en 2010, Martine et le prince mystérieux.

Marcel Marlier et son héroïne © Casterman

Dix ans plus tard, Rosalind Elland-Goldsmith autrice, traductrice et éditrice jeunesse se voit confier la tâche délicate d’écrire de nouvelles aventures pour Martine, elle imagine alors : «Martine au Louvre», «Martine au château de Versailles», «Martine en Bretagne» puis  «Martine à Paris» avec des illustrationsoriginales de Marcel Marlier associées à des photographies. L’illustrateur en effet, en accord avec son fils, ne souhaitait pas que son personnage soit dessiné par un autre après sa disparition.

© Casterman

La maison d’édition réalise donc une vraie prouesse graphique pour respecter sa volonté comme l’explique Rosalind Elland-Goldsmith: «On utilise les images préexistantes. On a accès à toutes les illustrations du dessinateur de l’époque. Ce qui est nouveau aussi, c’est qu’on utilise des photos de lieux en Bretagne, en incrustant des dessins de Martine. Mais il n’y a aucun nouveau dessin.» L’autrice connaît bien son personnage puisqu’elle a été en charge il y a une dizaine d’années de réécrire l’ensemble des albums pour les actualiser et les adapter aux nouvelles générations. Il y a là matière à discussion car le charme de ces albums tient aussi à leur caractère désuet et peut-être même à l’aspect sociologique de la collection.

Gilbert Delahaye et Marcel Marlier en 1966 © Casterman

Marcel Marlier, élève de la célèbre École supérieure des Arts de Saint-Luc à Tournai, où il reviendra plus tard en tant que professeur de dessin et de photographie, réalise des illustrations à tendance réaliste dontla délicatesse des dessins et la lumière des couleurs continue de séduire ses lecteurs. Chaque planche a nécessité des heures de recherche et de travail. Le dessinateur avait en effet le souci de la vérité. Il avait par exemple assisté aux cours de danse à La Monnaie à Bruxelles pour reproduire les exercices des élèves dans Martine petit rat de l’opéra et avait suivi un stage de natation pour dessiner Martine apprend à nager. Il produisait plus de cinq cents esquisses préparatoires au calque pour en tirer une vingtaine de dessins où chaque attitude était étudiée avec soin et dont les seconds plans lui demandaient autant d’attention que les premiers. Certaines gouaches originales ont été estimées entre 4000 et 8000 euros lors de ventes aux enchères dont la dernière s’est déroulée en avril 2024 à Paris.

Dans toutes les langues © Casterman

Toujours dans le coup ?

Céline Charvet, directrice éditoriale de Casterman jeunesse : «Martine est notre personnage le plus fort. Un personnage est une richesse, il fait partie de notre patrimoine. Il est de notre responsabilité de l’accompagner dans le temps pour qu’elle reste pertinente. Nous avons travaillé de concert avec les ayants droit. Nous avons réalisé un vrai travail d’orfèvre pour que les changements soient discrets.»

Marcel Marlier à sa table de travail © EdA

Martine a traversé les époques, la preuve en est l’intérêt qu’elle suscite sur les réseaux sociaux. D’aucuns critiquent les réécritures qui appauvriraient les textes, d’autres voient dans le personnage un stéréotype de l’héroïne trop féminine, d’autres encore ont détourné avec malice les titres des albums pendant les derniers confinements. Il est vrai que Martine apparaît comme une petite fille modèle dans un environnement privilégié, elle incarne quand elle vient au monde l’optimisme et la vitalité des Trente Glorieuses.

Faudrait-il aujourd’hui la bouder parce que beaucoup d’espoirs d’alors ont avorté ? Faudrait-il transformer des textes que l’on juge réactionnaires car ils reflètent une époque révolue ? Pour accompagner les enfants au quotidien quelques modifications étaientindispensablesmais pour le reste, les Martine fonctionnent comme les contes et les petits lecteurs font sans aucun doute la part entre réalité et imaginaire.

Un exemple d’adaptation du titre © Casterman

Ainsi, s’il était absolument nécessaire de modifier le nom d’un personnage aux accents colonisateurs (une petite fille de couleur noire s’appelle Cacao dans Martine en voyage), d’actualiser un jour férié ou de modifier un titre assignant la femme à un rôle déterminé (Martine petite maman devient Martine garde son petit frère), reconnaissons que Martine ne manque ni de confiance en elle ni de curiosité lorsqu’il s’agit de découvrir différents univers. Et si elle fait les courses et fait la cuisine, elle apprend à nager, à rouler à bicyclette, fait du théâtre, voyage et emmène ses lecteurs à la campagne, à la mer ou à la montagne. Laurence Boudart, directrice des Archives et Musée de la Littérature de Bruxelles analyse l’évolution du personnage : «On a parfois reproché aux albums de Martine de perpétuer, jusque dans les temps récents, un type d’éducation fortement genrée mais quand elle affronte les garçons à la course, à la nage ou en skis, c’est toujours elle qui gagne !».

Des aventures simples du quotidien © Casterman / photo Frédérique Vanandrewelt

Le lectorat concerné aujourd’hui est plus jeune et ce sont souvent les parents qui lisent à leurs enfants les histoires de leur propre enfance et de celle de leurs parents, belle occasion de tisser les liens entre les différentes générations et les mondes dans lesquels ils ont évolué. Ainsi, les enfants continuent de rêver en parcourant les albums aux tons pastels et vivent de petites aventures du quotidien au cours desquelles on leur apprend à s’émerveiller devant le vol d’un papillon, l’éclosion d’une fleur ou la naissance d’un poussin.

Au fil des nouvelles parutions, le personnage change et suit les transformations de la société. Martine adopte le jean, les baskets et un carré court, elle partage les tâches domestiques avec son frère et elle conduit la moto sur laquelle ils ont pris place dans Martine à la foire. Elle prend conscience de la fragilité de la nature et de l’urgence d’agir dans Martine protège la nature et continue par là même à être cet enfant modélisable à laquelle peuvent s’identifier les jeunes lecteurs du vingt-et-unième siècle.

Martine sera dignement fêtée à Mouscron le 29 juin © Casterman

Maude Vancoppenolle est responsable du Centre Marcel Marlier qui se trouve à Mouscron dans la province du Hainaut, en Belgique. La devise «Dessine-moi Martine» annonce l’objectif de ce centre installé dans le Château des Comtes où sont proposées différentes activités autour de la toujours jeune héroïne pourtant septuagénaire. Une grande fête y est organisée autour de l’album Martine à Paris le 29 juin prochain et de nombreux ateliers seront organisés pendant les vacances d’été, de quoi occuper les petits et … les plus grands.

Peut-être retrouverez-vous au fond d’une bibliothèque ou dans un vieux coffre au grenier quelques albums, n’hésitez pas à les ouvrir, histoire de retrouver l’espace de quelques instants la magie d’une bulle de votre enfance.

 Et pour entendre Marcel Marlier parler de son travail, je vous conseille l’émission de France Culture Martine à la radio.

Joyeux Anniversaire Martine !


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