« Le Dernier des Hommes » est un film muet réalisé par l’immense Friedrich Wilhelm Murnau et sorti en 1924. Si la plupart des gens considèrent l’excellent « L’Aurore » comme le meilleur film du cinéaste, ce n’est pas mon cas, j’ai été personnellement plus touché par « Le Dernier des Hommes ».

Ce long métrage raconte l’histoire d’un portier d’un très grand hôtel. Il est majestueux avec sa superbe moustache et son très beau costume. Il adore sa profession et est aimé et acclamé par son entourage.

Emil Jannings dans Le Dernier des Hommes, 1924 © Universum Film AG

Un jour le directeur de l’hôtel va le démettre de ses fonctions car il estime que l’homme est trop vieux et qu’il doit laisser sa place. Il va se retrouver à un poste nettement moins prestigieux dans les toilettes de l’hôtel. L’homme, autrefois fier et fort, est laissé pour compte, toute sa vie s’est écroulée en une fois…

Un film engagé, encore d’actualité presque cent ans après

Murnau livre une virulente critique de la société, le film montre à quel point les choses peuvent aller vite, qu’on peut être au sommet et puis du jour au lendemain, tomber au fond du gouffre. Lui qui était imposant, dans son magnifique costume, se retrouve faible, rabaissé, moqué et abandonné de tous.

Cet homme, qui a pourtant consacré toute sa vie à exercer ce métier se fait jeter comme un malpropre par son employeur lorsqu’il ne lui sert plus. Les sujets abordés par l’œuvre résonnent encore aujourd’hui, elle est profondément humaniste et nous montre une société qui délaisse ceux qui sont considérés comme dépassés.

Le réalisateur Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931) © The Picture Desk

Le film montre aussi à quel point la profession peut être importante, tout l’équilibre de la vie du protagoniste reposait sur celle-ci. Il suffit qu’il perde son travail pour que tout son monde s’écroule d’un coup. Le pauvre a honte et ne veut pas que sa nouvelle position se sache et va tout faire pour la cacher à son entourage, malheureusement, ça finira par s’ébruiter, ce qui va encore plus le blesser.

L’une des prouesses de l’œuvre est son absence d’intertitre, (à part un seul tout à la fin) il n’y a pas de dialogues ou d’explications des enjeux, tout passe par le jeu remarquable des acteurs et la sublime mise en scène. À aucun moment cela ne pose problème pour comprendre l’histoire, au contraire cela enrichit le film.

Emil Jannings, le grand jeu de l’acteur muet…

C’est l’acteur Emil Jannings qui interprète le rôle principal et il est époustouflant, on s’attache à ce personnage, on comprend totalement ce qu’il ressent sans qu’il y ait besoin de l’illustrer avec des dialogues. Certaines scènes sont extrêmement poignantes, j’ai rarement vu les sentiments de détresse et d’abattement être aussi bien joués.

Emil Jannings dans Le Dernier des Hommes, 1924 © Universum Film AG

On prend vraiment le temps de suivre le personnage, comme si on l’accompagnait durant cette épreuve. Tout ça est mis en scène de façon magistrale. Certaines séquences sont par exemple observées du point de vue du héros, lorsqu’il est saoul, on joue donc avec les images pour retranscrire fidèlement sa vision.

…et le petit jeu de la collaboration avec le nazisme

On va aussi filmer le protagoniste en contre-plongée lorsqu’il est fier, et au contraire le filmer en plongée lorsqu’on le voit dépérir de plus en plus, c’est évidemment très triste et sinistre, mais c’est excellemment réalisé.

Le réalisateur Friedrich Wilhelm Murnau en 1920. © Domaine Public

Malheureusement l’interprète principal deviendra, lors de la montée du Troisième Reich, l’un des comédiens les plus importants de films de propagandes nazies. Le lien proche qu’il a entretenu avec le parti nazi et avec Joseph Goebbels, le ministre de l’Education du Peuple et la Propagande, noircit grandement l’image de l’acteur. Sa carrière se stoppera donc logiquement après la défaite de l’Allemagne.

Une révolution technique de Murnau

Pour en revenir au film, il impressionne aussi par ses innovations techniques. Le principe de « La caméra déchaînée » est imaginé pour le long métrage. Cette technique permet à la caméra d’être plus mobile et libre de mouvements, elle peut s’incruster partout. Elle a par exemple la possibilité de monter les escaliers, d’entrer par les fenêtres… On peut considérer cette technique comme l’ancêtre de la Steadycam.

Un final inattendu

La fin du film se démarque du reste. Lors du seul et unique intertitre de l’œuvre, on nous dit que normalement, le protagoniste aurait dû mourir, « Mais l’auteur a eu pitié de son héros et inventé un épilogue à peine croyable. »

Un millionnaire va décéder dans ses bras et va lui léguer toute sa fortune. Le héros, sauvé et redevenu fier et maintenant riche, va remercier ceux qui ne lui ont pas tourné le dos et aider ceux qui sont dans la même situation que lui autrefois.

Emil Jannings dans Le Dernier des Hommes, 1924 © Universum Film AG

On a donc une œuvre qui se termine dans la joie, Murnau aime conclure ses films par des happy ends. Beaucoup trouvent ce deus ex machina un peu décevant, mais personnellement je le trouve très malin. Premièrement, Murnau brise le quatrième mur, en expliquant clairement au spectateur que la fin est invraisemblable, ce qui est pour l’époque très inventif.

Mais surtout, il veut nous rappeler que nous regardons un film. Il nous dit que dans la vie réelle, le héros serait mort et c’est justement parce qu’il s’agit d’une fiction qu’il s’en sort.

Le message est clair, dans la vie, les choses ne se passent malheureusement pas comme au cinéma. Je trouve ce message de fin audacieux et très fort.

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