Suite à deux ans d’une pandémie qui a changé la vie des habitants de notre planète, l’Offsreen Film Festival revient pour sa 15e édition avec une programmation qui veut rendre hommage à l’horreur cosmique, ce sous-genre où la découverte d’un univers qui dépasse la condition humaine fait naître l’effroi. Est-ce une métaphore des temps qui courent ?

Après avoir eu une courte édition 2021 en fin d’année, le festival Offscreen du film de genre fantastique et d’épouvante nous revient ce mois de mars avec une thématique particulière : l’horreur cosmique. Or, que signifie ce genre à l’heure actuelle où nous sortons d’une quatrième vague d’épidémie ? Ou bien est-ce davantage un cri d’alarme par rapport au réchauffement climatique ? Examinons les indices que nous ont laissés les programmateurs sous la direction de l’ancien collaborateur du Brussels Fantastic Film festival, Dirk Van Extergem et son asbl Marcel.

H.P. Lovecraft

L’horreur cosmique ou cosmicisme, popularisé par la littérature américaine de H.P. Lovecraft (1890-1937) ou de Robert E. Howard (1906-1936), se définit par la création d’une mythologie qui tente de supplanter notre réel par un univers fantastique en passant par des références plus ou moins réelles ou pas. Il en va ainsi du Nécronomicon, le livre maudit ou le mythe de Cthulhu, ancien Dieu oublié, qui glissent des éléments de fiction (Abdul Alhazred l’écrivain, la ville de Dunwich) parmi des faits historiques (les grimoires arabes, les cultes primitifs) au point de flouter la limite entre le vrai et le faux.

 ©Warpaint / Shutterstock.com

Le basculement de la normalité dans l’horreur de l’univers sera illustré par la projection des adaptations cinématographiques de l’œuvre de Lovecraft avec The Color Out Of Space (2018), The Necronomicon (1993), The Call of Cthulhu (2005), The Horror of Dunwich (1970), Dagon (2001) et les très connus Re-Animator (1986) et From Beyond (1985), mais aussi des films plus librement inspirés par l’auteur, tel que Absentia (2011), Spring (2012) ou In The Mouth Of Madness (1994) qui auraient pu être écrits par Lovecraft tellement ils en sont proches.

Qu’ils soient proches ou éloignés du texte, ces films remettent en question le monde que connaissent leurs protagonistes par la découverte d’un culte plus ancien ou une avancée scientifique qui ouvre une porte interdite dont le résultat contamine la normalité connue jusqu’alors au point de la changer définitivement. Car même s’il survit, rien n’est plus jamais pareil dans le monde après l’horreur cosmique. Tout est modifié à jamais.

Jeff Lieberman

Le festival contera également avec la présence du réalisateur américain Jeff Lieberman (1947-) issu de la culture de la contestation des année 60 qui n’hésite pas à dénoncer la consommation de masse typiquement américaine au moyen du genre fantastique ou l’horreur dans lequel l’humanité s’autodétruit.

Le réalisateur viendra présenter sa filmographie qui compte son succès Blue Sunshine (1977) et Remote Control (1988) dans lesquels l’humanité est corrompue par une influence extérieure ou un accident et s’autodétruit parfois de manière écologique comme dans Squirm (1976) ou Just Before Dawn (1981).

Cette prise de conscience de la faiblesse et l’autodestruction de l’humanité n’est pas si éloignée de l’horreur cosmique mais l’inclut en quelque sorte dans les préoccupations de l’époque.

Programmation 2022

Les films qui composent la programmation 2022 de cette édition partagent également cette remise en question de la normalité du monde par la découverte d’une autre vérité. Dès l’ouverture qui nous immerge dans les jeux d’enfants particuliers à la clôture avec un réveillon plein de surprises.

En effet, le film d’ouverture The Innocents d’Eskil Vogt, scénariste de Joachim Trier, coupable d’un déjà très fantastique Thelma (2017) nous montre au microscope comment les enfants norvégiens passent l’été et se découvrent des pouvoirs insoupçonnés. Notamment, la variation sur l’enfant différent qui au lieu d’être perçu comme un handicap se découvre talentueux.

« The Innocents », d’Eskil Vogt. ©Protagonist

Earwig, le troisième film de Lucile Hadzihalilovic, qui avait déjà présenté son précédent opus aquatique Evolution lors de l’Offscreen de 2016, nous revient avec cet autre film sur l’enfance. Ici, pas de superpouvoirs mais un huis-clos entre un enfant, un adulte et un appareil dentaire venu d’un autre âge. La musique et la poétique de l’image soulignent ce duel plein d’onirisme.

Le britannique Peter Strickland revient également avec Flux Gourmet, sur son ancien lieu du crime de la mode In Fabric présenté en 2018. Dans son traitement de l’univers de la gastronomie, il ajoute son expérience des artistes sonores, issus de son Berberian Sound Studio de 2012. Dans cette chasse au son gastronomique, qui sont véritablement la proie et le chasseur ?

Jacob Gentry, connu pour The Signal de 2007 dans lequel une transmission sonore dans les ondes hertziennes transformait l’humanité en une horde sauvage d’assassins, mène l’enquête dans Broadcast Signal Intrusion sur l’apparition de mystérieuses interférences pirates sur les chaines télévisuelles. Qui en est l’auteur ?

Rob Schroeder nous présente son premier film Ultrasound dans lequel une intrusion accidentelle d’un individu dans la vie d’un couple modifie la destinée de plusieurs personnes.

« Ultrasound » de Rob Schroeder ©Magnet Releasing

C’est aussi l’occasion d’apprécier Zeria, le premier long-métrage d’animation du belge Harry Cleven, qui nous raconte la fin de l’humanité à travers les yeux du dernier homme sur terre à l’adresse de son petit-fils martien dans un présage de ce qui pourrait réellement nous arriver.

Du Japon, nous vient Sexual Drive de Kota Yoshida dont la filmographie passée examinait les triangles et autres déviances amoureuses des Japonais. C’est encore le cas avec ce film qui de plus, mets en relation la sexualité avec la gastronomie. Nos tendances sexuelles sont-elles conditionnées par ce que nous mangeons ? Est-ce une fatalité ?

L’oscarisé en effets spéciaux, Phil Tippett, après un Starship Troopers 2 (2004) nous montre finalement son projet de 30 années : Mad God. À mi-chemin entre Beetlejuice (1988) et Pan’s Labyrinth (2006), Mad Dog accompagne un assassin dans un monde sinistre peuplé de monstres, entièrement fait d’animation et stop motion.

« Mad Dog » de Phil Tippett

Masking Treshold de l’artiste contemporain Johannes Grenzfurthner, nous plonge dans la schizophrénie humaine d’un informaticien obsessionnel enfermé chez lui, dans un style qui nous rappelle Pi (1998) de Darren Aronofsky à la façon du pseudo-documentaire Dossier 51 (1978) de Michel Deville.

Émerge également le premier long-métrage de la belge Banu Akseki, Sans Soleil, avec Asia Argento en mère adoptive qui laisse son fils survivre dans un monde post-apocalyptique souterrain fuyant les effets du soleil.

Tout comme son protagoniste, Paul Andrew Williams revient avec une histoire de vengeance dans Bull pour un polar british comme il nous a déjà habitué avec London to Brighton (2006) et The Cottage (2008). Ici, pas de science-fiction, mais une descente glauque et sanglante dans le monde des gangsters.

Et pour terminer, Silent Night, premier film de Camille Griffin, qui sur la prémisse d’une comédie de Noël, composé d’un casting cinq étoiles, part vers un horizon crépusculaire beaucoup moins drôle et apocalyptique.

« Silent Night » de Camille Griffin ©DEADLINE

Au lieu de nous détourner de notre réalité, les films qui composent cette édition 2022 du festival apparaissent comme des impressions nous invitant à réfléchir sur ce qui se passe à l’heure actuelle dans le monde, parfois de manière exagérée, parfois de manière plus subtile. Mais le spectateur sortant du cinéma Nova ne se sentira pas tellement dépaysé.

Pour compléter le festival, une série de films d’exploitation hongkongais des années 1980-1990 faisant la part belle aux pépites les plus transgressives de l’âge d’or du cinéma chinois insulaire éclaboussera la toile de la Cinematek et du cinéma RITCS.

L’exotisme de la série B hongkongaise, dénommée catégorie III, résultat d’un succès populaire qui accompagne l’essor de l’économie de l’île chinoise, sera également l’objet d’une conférence animée par le professeur Russ Hunter avec des invités comme le journaliste français Julien Sévéon et les professeurs Callum Waddell et Victor Fran.

Le marché de l’érotisme, de l’action et de l’épouvante transgressifs chinois de l’époque n’a pas de limites et passe souvent d’un genre à l’autre dans une mutation virale qui révèle un esprit très inventif et peu farouche.

Pour les fanatiques d’histoires plus courtes, il y aura également une séance de court-métrages.

Un sentiment de changement et mutation définitive de l’humanité nous contamine à la vision de ce programme. L’horreur cosmique, la prise de conscience de Lieberman, la transgression des genres hongkongais soulignent les crises irréversibles que notre monde traverse actuellement tout en rêvant d’un retour à une normalité passée qui chaque jour semble de plus en plus utopique. L’Offscreen Film Festival nous pousse au contraire à accepter l’évolution et la capacité de l’être humain à s’adapter aux catastrophes, comme les personnages de ces films que vous pourrez déguster.

Alors, bon visionnage !