Paul Troubetzkoy, la puissance d’un sculpteur de génie au Musée d’Orsay
L’exposition retrace le parcours de Paul Troubetzkoy, cet artiste né en Italie et parisien d’adoption, qui mène parallèlement une brillante carrière aux États-Unis. Porté par un grand talent de portraitiste, il est recherché par une élite cosmopolite, les célébrités, le tout Paris, jusqu’aux premières stars du cinéma américain.
Illustration : Le tsar Alexandre III à cheval, 1905. En 1900, Paul Troubetzkoy remporte le concours pour la réalisation d’une statue équestre à la gloire du tsar Alexandre III à Saint-Pétersbourg. La statue est érigée face à la gare, en mémoire du tsar créateur du Transsibérien © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
Les textes de cet article proviennent du Musée d’Orsay et des cartels de l’exposition.
La vie du prince Paul Troubetzkoy (1866-1938) est ponctuée de rencontres et d’amitiés décisives avec des hommes de lettres, tels que Tolstoï en Russie, Georges Bernard Shaw à Paris, avec lesquels il partage un mode de vie végétarien, assez inhabituel pour l’époque. Au-delà des portraits qui ont fait sa réputation, l’exposition met aussi en lumière sa sculpture animalière, ainsi que ses travaux en rapport avec la cause animale dont il était, avant l’heure, un fervent défenseur.

Amely Troubetzkoy-Hahn (1887-1978), belle-sœur du sculpteur, 1925 © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
Développée en partenariat avec le Museo del Paesaggio de Verbania, l’exposition est l’occasion de présenter une partie du fonds de l’atelier de Troubetzkoy, légué à ce musée italien après sa mort. Elle invite à porter un regard neuf sur sa pratique et sur son style si reconnaissable. La manière dont Troubetzkoy travaille ses modèles par petites touches pleines d’énergie qui, dans les tirages en bronze, accrochent et font vibrer la lumière sur la surface du métal, soulève la question de l’impressionnisme en sculpture.

Buste de Léon Tolstoï, et Léon Tolstoï à cheval, 1899. Cette statuette équestre est acquise par l’Etat français en 1900 pour le Musée du Luxembourg. Troubetzkoy propose d’en faire un monument dans un quartier de Paris mais ce projet reste sans suite © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
Au fil du parcours, les visiteurs découvrent ainsi un artiste sensible et moderne, particulièrement subtil dans sa capacité à rendre la fluidité des corps, l’énergie du mouvement et la force des caractères. Son œuvre, qui s’inscrit entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, livre une image vivante de la Belle Époque. Un catalogue richement illustré est publié à l’occasion.


A gauche, détail de la statuette (1904) de la belle et extravagante marquise Casati (1881-1957), une des figures les plus brillantes de la haute société européenne de la Belle Epoque. A droite, détail de la statuette du compositeur Giacomo Puccini (1858-1924). Cette fonte de 1925 a servi de modèle pour la statue monumentale érigée la même année à la Scala de Milan © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
En effet, si Paris donna à Troubetzkoy la possibilité de lancer sa carrière sur le plan international, Milan, où il s’établit à l’âge de 18 ans en 1884, fut la ville qui lui permit de se découvrir, se former et se définir en tant qu’artiste libre de toute contrainte académique. Il y fréquenta les principaux acteurs du mouvement littéraire et artistique des Scapigliati, les peintres Ranzoni et Cremona, ainsi que le sculpteur Grandi, qui jouèrent un rôle important durant ses premières années de formation.

Autoportrait de Paul Troubetzkoy, 1907 © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
« Toute la vie m’intéresse, d’un éléphant à un papillon ». Paul Troubetzkoy, dans le Vegetarian
Magazine
Il s’y fit publiquement connaître en participant aux principales expositions (Brera, la Famiglia Artistica, la Permanente), chaque année de 1886 à 1897. Il créa ses premiers chefs-d’œuvre à Milan, dont le portrait en buste du peintre Giovanni Segantini modelé en 1896 et dont l’édition en bronze connut un immense succès. Les premiers commanditaires de Troubetzkoy furent des Milanais.

« Guerrier indien sur un cheval au galop », années 1890, une œuvre de la période « Far-West », bronze présenté à l’exposition universelle de Chicago, puis en 1894 à San Francisco, et aussitôt acquis par le musée de cette ville © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
C’est aussi grâce à un ingénieur milanais que huit sculptures de l’artiste furent présentées à la World’s Columbian Exposition de Chicago en 1893, et que quatre d’entre elles purent ensuite être montrées l’année suivante à la California Midwinter International Exhibition de San Francisco, achetées par l’homme d’affaire Michael Henry de Young pour le musée de la ville, ce qui devait inciter le sculpteur à se rendre en Californie en 1917. Tout au long de sa carrière Troubetzkoy continua d’exposer à Milan, jusqu’en 1936, deux ans avant sa mort.

Plâtre du prince Alexandre Vassiliévitch Mestchersky (1822-1900), à la barbe généreuse et conquérante, dont la fille Nathalie (Lily) avait épousé un Italien, le duc di Sasso-Ruffo. Buste réalisé à Milan en 1895 © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
Une famille cosmopolite
Paul Troubetzkoy, sculpteur et peintre italien, naît au bord du Lac majeur d’un père issu d’une famille aristocratique russe, Pyotr Petrovitch Troubetzkoy, né en 1822 à Tultchine, ville d’Ukraine proche de la frontière moldave, et mort à Menton en 1892. Sa mère Ada Winins (1831-1917), fille d’un marchand de New-York, se rend en Italie pour parfaire sa formation musicale. Tous deux se rencontrent à Florence en 1863 alors de Pyotr Petrovitch a laissé en Russie son épouse Varvara Yuryevna Trubetskaya (1828-1901) pour rejoindre un poste diplomatique.

Mary, fille du baron anglais Frankfort, des amis de la famille Troubetzkoy. Ce tableau est l’œuvre du frère de Pierre Troubetzkoy, frère du sculpteur, 1882 © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
Les trois enfants nés de cette union illégitime sont d’abord déclarés sous le nom de Stahl : Pierre (peintre) né en 1864, Paul en 1866 et Luigi (ingénieur) en 1867. Une fois le divorce avec Varvara Yuryevna prononcée en 1870, Piotr Petrovitch se marie avec Ada et reconnaît ses trois fils qui prennent le nom de Troubetzkoy. Paul semble avoir gardé toute sa vie l’empreinte de cette complexité d’origine. Il mène une existence cosmopolite, multipliant les séjours à l’étranger, parfois pour de très longues durées.

Plâtre représentant Elin Troubetzkoy (née Sundström) (1883-1959) nue, première épouse du sculpteur, vers 1919-1911 © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
Si son nom et son talent lui ouvrent les portes de la haute société à Moscou, Paris, ainsi qu’aux États-Unis, Paul s’attache toute sa vie à représenter les membres de sa famille, notamment son épouse Hélène, et lui-même à travers des autoportraits, sculptés ou peints. Adulé de son vivant, Paul Troubetzkoy, qui avait choisi Paris comme l’un de ses ports d’attache, n’a pas fait l’objet d’une exposition en France depuis plus d’un siècle.

Plâtre patiné vert-gris représentant le comte Léon Tolstoï (1828-1910), dont la puissance des bras semble amplifiée par sa large chemise russe, vers 1898 © Musée d’Orsay / photo Grégoire Tolstoï
Tatiana Tolstoï, une arbitre des élégances masculines chez Ardisson



