Nous avons beaucoup aimé le nouvel ouvrage de Léa Wiazemsky, « Petit éloge des Cafés ».

Ce matin, le soleil brille sur Le Camion Photo, la petite librairie de Virginie au pied de la dune. C’est ici, entre pinèdes et océan que je vais rencontrer Léa Wiazemsky, comédienne et romancière dont je viens de terminer le dernier ouvrage : Petit éloge des cafés, superbe contribution de l’auteure à la jolie collection des éditions Les Pérégrines. Avec le naturel et la gaieté qui la caractérisent, Léa répond aux questions de Frédérique, la tante de Virginie et présente son essai à un public conquis. Je me réjouis de pouvoir m’entretenir avec elle à l’issue de cette joyeuse rencontre.

« Le seul endroit où la communication résiste, c’est le bistrot. » Alain Peyrefitte

Une jeune femme bénie des artistes

Léa Wiazemsky est la fille de Régine Deforges (attention e et pas é, elle insiste !) et de Pierre Wiazemsky, alias WIAZ ; inutile de présenter les célèbres romancière-éditrice et dessinateur qui se sont penchés sur son berceau. Plus haut dans l’arbre généalogique, on trouve aussi le grand François Mauriac, son arrière-grand-père qu’elle n’a pas connu mais dont elle a éprouvé la présence dans le domaine familial : « Mauriac disait de Malagar : « Je ne suis chez moi nulle part qu’ici. » C’est exactement ce que je ressens chaque fois que je reviens, lorsque j’aperçois les cyprès devant la maison qui se plient majestueusement au vent léger. » La tentation est grande de questionner Léa sur son illustre famille mais elle n’en dira pas plus que ce que l’on peut lire dans le petit essai qui nous occupe « et c’est déjà beaucoup, je ne pensais pas que j’irais si loin dans les confidences ! ».

« Tu veux être comédienne ? Très bien, tu as une semaine pour trouver un cours de théâtre, un petit boulot pour le financer et surtout, pour le moment pas un mot à ton père ! » Léa Wiazemsky, Petit éloge des cafés.

Régine Deforges, la mère de Léa Wiazemsky © DR

Quand je lui demande si cet essai n’est pas une autobiographie déguisée, elle semble dubitative et me répond que même si elle s’est livrée beaucoup plus qu’elle ne pensait le faire, elle n’était pas dans cette dynamique. C’est Aude Chevrillon, directrice des Pérégrines qui a proposé à Léa de se prêter au jeu de la collection « Petit éloge ». Les deux jeunes femmes ont très vite sympathisé, peut-être parce que l’éditrice a elle aussi été précédée par quelques personnalités familiales comme Jeanne Bourin, sa grand-mère, dont l’un des romans a donné son nom à la maison d’édition. Léa me dit sa reconnaissance envers Aude Chevrillon, Alice et Constance, une équipe exclusivement féminine qui l’a guidée avec bienveillance et efficacité quand elle en éprouvait le besoin et lui a laissé une entière liberté le reste du temps.

Le dessinateur Wiaz, le père de Léa Wiazemsky © DR

Une cure de jouvence

Le sujet des cafés lui est venu instantanément : « les chats et la chanson française avaient de toutes façons déjà été traités » et elle préférait laisser Johnny à un spécialiste de ce chanteur qu’elle adore depuis que ses parents l’ont emmenée à un concert, elle qui n’écoutait alors que Piaf et Trénet ! Et puis elle a été élevée dans les cafés… Sa nourrice faisait une pause chez sa sœur qui tenait un bistrot place Saint-Michel quand elle la promenait ; elle y a aussi partagé de précieux moments d’intimité avec ses parents : « Le Chai de l’Abbaye est sans doute le café qui me tient le plus à l’âme… Il fut le premier de tous, celui où j’allais, enfant, déjeuner le samedi avec mes parents. C’était notre moment tous les trois. », on imagine alors entre les lignes Wiaz dessinant sur les nappes en papier blanc les caricatures de sa femme et de sa fille complices.

« Les cafés sont les compagnons de nos vies » Léa Wiazemsky, Petit éloge des Cafés

Au Chai de l’Abbaye, souvenir d’enfance de l’auteure © DR

C’est dans ce café que des années plus tard, la jeune-femme se réfugiera pour retrouver la silhouette rousse de sa mère caressée par les volutes de son cigare alors qu’elle vient de l’accompagner dans sa dernière demeure. La promenade de Léa Wiazemski à travers ces lieux de rencontre et de convivialité donne tour à tour le sourire et mouille les yeux au gré des anecdotes qu’elle raconte et des portraits qu’elle dessine. Écrire sur les cafés mais aussi dans les cafés est une évidence pour celle qui se souvient avoir imaginé son premier héros de roman alors accoudée au zinc du bar dans lequel elle travaillait à l’époque. Le vieux qui déjeunait seul est paru en 2015, un an après le départ de Régine Deforges, mais Léa m’apprend que non seulement elle a pu le lire mais qu’en plus, c’est elle qui lui a suggéré le titre. Et quand je lui demande si sa mère lui a donné un avis ou des conseils, elle me confie simplement cette merveilleuse bénédiction maternelle : « J’aurais aimé l’écrire… ».

Léa Wiazemsky, une auteure pleine de talent et de naturel © DR

Léa Wiazemsky a d’abord été comédienne, formée à l’atelier Blanche Salant puis à l’école d’Art dramatique fondée par Jean Périmony, on la voit au théâtre dans un registre classique notamment dans Les caprices de Marianne, dans plusieurs films dont Eden à l’ouest de Costa-Gavras et dans de nombreux téléfilms. Mais à partir de 2015, c’est l’écriture qui occupera une grande partie de son temps, Le bruit du silence (2017), suivra Le vieux qui déjeunait seul (2015), puis viendront Comme si tout recommençait (2019) et À vingt heures sur le quai (2021). Les deux premiers sont en rupture de stock et j’attends avec impatience leur réimpression… Léa aime raconter des histoires et avoue avec un sourire qui confirme son propos : « Je n’aime que les histoires qui finissent bien » ce qui ne l’empêche pas d’aborder des questions difficiles comme la vieillesse, le traumatisme des attentats de Paris ou la complexité des relations familiales.

« Mon bistrot préféré, quelque part dans les cieux, M’accueille quelquefois aux jardins du Bon Dieu, C’est un bistrot tranquille où il m’arrive de boire, En compagnie de ceux qui peuplent ma mémoire » Mon bistrot préféré, Renaud

Un essai inspiré et documenté

Léa Wiazemsky commence par répertorier les différents mots utilisés pour désigner les cafés avant de les décliner en chapitres : les premiers cafés, les cafés de jeunesse, ceux des vacances, les bistrots de quartier et tous ceux qui ont compté à un moment ou à un autre dans sa vie.

Dans ces cafés, outre ses parents évoqués plus haut, on croise les amis et une amie en particulier : « Éve est ma boussole et ma bonne étoile » mais aussi Raphaëlle et les autres, l’équipe du Dauphin ou Jean Reznikow qui avait quitté le lycée depuis bien longtemps mais devint l’adulte référent à qui l’on peut tout raconter.

L’atmosphère typique des cafés dans Un Air de Famille (1996) © Cédric Klapisch

« Les amis sont essentiels dans la vie et le café est le lieu de prédilection pour les retrouver, la plupart des établissements que nous fréquentions ont malheureusement disparu ou ont perdu leur âme d’autrefois ». Léa consacre un chapitre, celui que je préfère, à Michel et au Dindon en laisse, son bistrot : « Avec lui, j’ai rencontré le cafetier de mes rêves, à la fois goguenard, grivois, généreux et poète. », elle devait le lendemain de notre rencontre rendre visite à son vieil ami et j’ai senti dans cette évocation toute la tristesse des rideaux qui se baissent sur la dernière représentation.

Henri Cartier-Bresson, Bistrot parisien (1952) © DR

Léa Wiazemsky ne se contente pas d’égrener ses souvenirs dans ce petit éloge. Elle évoque aussi les cafés qui ont été les témoins privilégiés de faits historiques, les cafés mythiques de Paris et des grandes villes françaises. Le chapitre intitulé « Les bistrots de la Résistance » par exemple lui a demandé un vrai travail de recherche même si l’histoire de la seconde guerre mondiale est un sujet qui la passionne depuis l’enfance et qu’elle connaît bien. On retrouve Jean Moulin au Colibri, place de la Madeleine où il organise discrètement ses rendez-vous et où Léa pleurera Charles Trenet à l’issue de son enterrement. On découvre aussi d’autres acteurs de la résistance chez Lasserre, chez madame Goubillon ou au Zimmer… à Paris et à Lyon, à Sanary-sur-Mer ou Au Mans. Le récit précis et circonstancié prend des airs de documentaire quand on croise les époux Aubrac, Henri Rol-Tanguy, Jean Multon ou Berty Albrecht.

Et, refleurir © Éditions Philippe Rey

On chante les cafés avec Trenet, Dassin, Piaf, Brassens et beaucoup d’autres dans un chapitre ponctué de refrains d’hier et d’aujourd’hui. Les artistes cités sont d’ailleurs réunis dans une playlist à télécharger dans les dernières pages grâce à un QR code. On parcourt également avec plaisir les salles qui ont servi de décors à de nombreux films et l’on réalise à quel point le café est un lieu emblématique de notre société. Un lieu dans lequel on remet souvent les prix littéraires ; ce n’est pas le cas cette année pour le Prix Régine Deforges remis chaque année depuis 2015 à un premier roman sous la houlette de Léa, de sa sœur Camille Deforges-Pauvert et de son frère Franck Spengler. Le prix a été décerné le 25 mai, c’est tout frais, à Kiyémis pour le roman : Et, refleurir. Souhaitons-lui autant de succès que Le petit éloge des cafés qui a séduit beaucoup de lecteurs depuis sa sortie et enchantera j’en suis sûre un de vos prochains après-midi en terrasse, histoire de partager avec vos voisins, anecdotes et souvenirs de comptoir.

Un vrai bonheur pour cet été © photo Frédérique Vanandrewelt

Bibliographie

  • Les œuvres de Léa Wiazemsky :

Le vieux qui déjeunait seul, Michel Lafon, 2015

Le bruit du silence, Michel Lafon, 2017

Comme si tout recommençait, Michel Lafon, 2019

A 20h sur le quai, Michel Lafon, 2021

Petit éloge des cafés, Éditions Les Pérégrines, 2024

  • Biographie de Régine Deforges :

Régine Deforges, la femme liberté, Frédéric Andrau, SÉGUIER (2018)