« Poulet Frites » déshabille le documentaire
L’équipe de Strip-tease est de retour sur grand écran. Après le succès de Ni juge, ni soumise (2017), qui en suivant le quotidien baroque de la juge d’instruction Anne Gruwez, marquait le passage de la petite lucarne aux salles obscures, Yves Hinant et Jean Libon nous montrent avec Poulet Frites, l’envers du décor de la police bruxelloise.
La frite, c’est l’indice. Le poulet, c’est les protagonistes : un meurtre a lieu dans le quartier Matongé. Alain, ami de la Kalima, la victime, est présumé coupable. Toxicomane, il a pratiquement passé plus de la moitié de sa vie derrière les barreaux : 17 ans sur les 34. Celui-ci a un problème de mémoire dû à sa consommation de stupéfiants, ce qui rend l’enquête absolument surréalistes.
Tournées en noir et blanc, les images d’Yves Hinant et de Jean Libon du Bruxelles des débuts des années 2000 rendent malaisant le hiatus entre la dureté de ce qu’elles dévoilent-un réseau de prostitution, un meurtrier présumé-lobotomisé, l’exploitation d’un prolétariat immigré et la nonchalance avec laquelle les protagonistes y font face. L’empathie des spectateurs communie avec eux dans le rire, un rire qui a les dents jaunes et le timbre gras.
Poulet Frites nous nous plonge dans une situation d’ambiguïté cinématographique : les réalisateurs parviennent à instaurer un tel climat d’intimité avec les filmés que la question du réalisme de l’objet filmique défilant devant nos pupilles vient à se poser. C’est sans doute un des apports du cinéma-vérité de Strip-tease, au-delà d’une certaine forme de voyeurisme parfois condescendant, leurs films arrivent à rendre poreuses les frontières entre le documentaire et la fiction.
En effet, le documentaire étant par essence un montage de la réalité, sa spécificité (faire document) ne semble plus résider au sein de sa mise en forme cinématographique (un rêve d’objectivité inatteignable) mais dans le fond qu’il donne à voir. Ainsi, la distinction des genres amenée par la mise en scène n’est plus à appréhender comme étant par nature mais plutôt selon des degrés de fictionnalisation.
Prosaïquement : une fiction, par le point de vue qui la sous-tend, peut parfois mieux documenter qu’un reportage objectivant, l’enjeu cinématographique étant le continuel déplacement des limites du regard et non la neutralité de la représentation.
Un film croustillant, qui donne à penser et à rire tout en déshabillant le genre documentaire.