« Prosecco et Vieilles Dentelles », le nouveau roman de Massimiliano Mocchia di Coggiola
Venise en 2020. Voici l’effrayant journal d’un confiné dans la cité des masques « durant la pestilence du Coronavirus ». Au début du Carnaval surgit l’épidémie et les autorités de la ville de Venise décident de fermer le pont qui la relie au continent. Les Vénitiens, et les touristes encore présents sur place, sont piégés dans l’antique cité. Et bien sûr tout va dégénérer. Le nouveau livre de Massimiliano Mocchia di Coggiola est un régal.
C’est dans son extraordinaire appartement d’artiste situé à Paris que Massimiliano Mocchia di Coggiola m’a reçu pour une interview sur son dernier livre paru, Prosecco et Vieilles Dentelles. Nous avons pris place sur d’antiques fauteuils de velours tenant plus de trônes que de meubles utilitaires, fauteuils customisés par les griffes du chat de la maison. Car on m’a dit qu’il y avait un chat dans cet appartement, comme dans toute antre d’un magicien, mais je ne l’ai hélas pas vu. Au milieu de la petite table ronde couverte de porcelaines anciennes fumait, comme de bien entendu, une cafetière italienne Bialetti traditionnelle.
Portrait de Massimiliano Mocchia di Coggiola par Sorel © Sorell
Tout dans les petits salons qui se succèdent est imprégné de l’âme des habitants des lieux, emplis du sol au plafond de tableaux et d’objets hétéroclites qui ont chacun son histoire. L’atmosphère tient du musée, du cabinet d’un mage ou d’un sorcier, mais mon hôte dira que c’est plutôt « un décor de théâtre. Tout est faux, ou presque ». Je comprends aisément pourquoi Massimiliano a été styliste pour certains clips du groupe français d’électro-pop La Femme. On imaginerait facilement qu’ayant accumulé tant de souvenirs et d’objets anciens le couple qui habite là a au moins cent ans, et on est d’autant plus étonné de les voir jeunes, fringants et souriants, et somme toute, bien qu’ils soient habillés à la mode d’avant-guerre, très contemporains. Nombre de ces dessins et objets sont leur œuvre car tous les deux sont des artistes.
Illustration de Massimiliano Mocchia di Coggiola pour Prosecco et Vieilles Dentelles © Éditions des Lumières
Après L’Amour au Temps du Choléra, votre roman c’est Le Carnaval au Temps du COVID ?
Au début du Carnaval surgit l’épidémie de COVID et les autorités de la ville de Venise décident de fermer le pont qui la relie au continent. Les Vénitiens, et les touristes encore présents sur place, sont piégés dans l’antique cité. Et bien sûr tout va dégénérer. Combien de temps va durer ce blocus de la ville, nul ne saurait le dire. Des mois, des années ? Il ne reste plus qu’à faire la fête et profiter des somptueux costumes que l’on avait préparés pour l’occasion, un Carnaval sans fin. Les masques fantastiques se portent finalement au quotidien, ils deviennent nécessaires pour masquer les visages malades. Car non seulement l’épidémie fait rage, mais toutes sortes de maux se répandent dans cette société confinée qui tourne de manière incestueuse sur elle-même.
Illustration de Massimiliano Mocchia di Coggiola pour Prosecco et Vieilles Dentelles © Éditions des Lumières
Notamment les maladies sexuelles : les peaux s’écaillent, se couvrent de bubons. Le Cardinal, un des personnages principaux du livre, perd son nez qui tombe, et il le remplace par un nez en argent comme on le faisait au XVIIIe siècle. C’est sombre, dégoûtant, sordide, lacustre, toutes les perversions se mélangent, c’est vraiment carnavalesque. Un livre à ne pas mettre entre toutes les mains.
Massimiliano, vous étiez là quand tout a commencé ?
J’ai une passion pour le Carnaval de Venise, grâce à Sorel et à mon ami Orlando qui m’a amené au Carnaval pour la première fois il y a dix-sept ans. Ils m’ont introduit dans tout ce petit monde particulier. Nous étions justement à Venise quand le COVID est arrivé, trois ou quatre jours après le début de nos festivités. On voyait les gens disparaître, les touristes s’échapper en courant avec leurs valises et leurs enfants sous les bras. Nous préférions déambuler emperruqués dans les rues, en costumes du temps de Louis XV, et observer, portants d’authentiques masques de peste puisque les masques en papier n’étaient pas disponibles. Nous nous disions : « Tu t’imagines rester ici pour toujours, habillés à la mode du XVIIIe siècle et faire la fête éternellement ? Ce serait génial, surréaliste ! » Orlando le raconte dans la préface.
Illustration de Massimiliano Mocchia di Coggiola pour Prosecco et Vieilles Dentelles © Éditions des Lumières
Venise n’était plus une fête
Nous avons tout de même fait une fête interdite, car les autorités avaient annoncé que le Carnaval était fini. Nous étions dans un superbe appartement, très vaste. Nous avons mis des matelas contre les fenêtres pour atténuer le bruit, et nous restions dans le noir, éclairés à la bougie. La police venait mais nous avions un informateur qui nous appelait une minute avant la descente. Nous nous cachions tous dans les différents salons, et comme la police n’avait pas le droit d’entrer sans y être autorisée par le maître de maison, ils restaient sur le pas de la porte. Mon ami ouvrait la porte, habillé en Borgia, une coupe de champagne à la main, et faisait l’étonné. « Non, il n’y a personne ici, à part moi. »
Il faut préciser qu’au moment des faits il n’y avait que deux cas de COVID connus dans la province du Veneto, même pas à Venise. Nous n’avions pas peur, juste un peu inquiets car nous ne savions juste pas ce que c’était. Un ami pharmacien me rassurait : « Ce virus ne touche que les Chinois, ne t’inquiète pas ! » Il me donnait toute une explication basée sur leur métabolisme différent. Rétrospectivement c’est évidemment risible.
Illustration de Massimiliano Mocchia di Coggiola pour Prosecco et Vieilles Dentelles © Éditions des Lumières
Pendant le confinement je n’avais plus rien à faire, c’est alors que j’ai écrit cette histoire. Je la publiais en feuilleton sur mon blog, un chapitre par semaine, accompagné chaque fois d’un dessin original que je réalisais. J’avais beaucoup de lecteurs de mon blog, et j’ai reçu de nombreuses lettres manuscrites de mes lecteurs qui me remerciaient de les distraire pendant cette période compliquée. Je suis très heureux que mon histoire paraisse maintenant sous forme de livre. C’est en quelque sorte mon témoignage sur l’épidémie.
Illustration de Massimiliano Mocchia di Coggiola pour Prosecco et Vieilles Dentelles © Éditions des Lumières
D’où vous vient cette passion des costumes ?
J’ai toujours aimé me déguisé, bien avant le Carnaval. J’ai toujours organisé des soirées en costume, même si c’est compliqué de convaincre les gens à s’habiller. Au quotidien j’ai une certaine recherche vestimentaire, mais je ne considère pas cela comme un déguisement. Le beau est dans la lignée du revival, du vintage, ce n’est pas du conservatisme mais plutôt une forme de refus du présent. Il ne s’agit pas de conserver quoi que ce soit, et surtout pas les anciennes mœurs, mais de s’approprier des vêtements qui représentaient une certaine forme de droiture morale, et de les détourner. Cette transgression c’est justement l’esprit du Carnaval.
Massimiliano et Sorrel Mocchia di Coggiola au Carnaval de Venise © photo Laure Jacquemin
Vos dessins sont magnifiques. Vous avez suivi des cours ou vous êtes naturellement doué ?
Je suis naturellement doué (rires). J’ai commencé à dessiner déjà tout petit, je réalisais des bandes-dessinées pour ma mère. Puis j’ai voulu intégrer une école d’art mais mes parents étaient contre. Ils m’ont dirigé vers un institut d’arts appliqués pour qu’au moins il y ait une application pratique. Selon eux faire de l’art n’était pas suffisant, il fallait gagner sa vie. Puis j’ai voulu faire l’académie des beaux-arts : nouveau refus. Les études de mode ont reçu le même veto. Finalement j’ai fait une école de restauration du bois, et puis des toiles. Enfin j’ai terminé en faisant critique d’art et muséologie. J’ai pu exercer un peu comme critique d’art, mais pour la muséologie en Italie il faut des appuis politiques. Je continue à dessiner, c’est pour moi une forme de relaxation.
Deux ouvrages superbement illustrés par Massimiliano Mocchia di Coggiola © Éditions Le Chat Rouge
Récemment tout le monde a décidé que je suis un passionné de Venise, ce qui est en partie vrai, et me demande d’illustrer des livres sur ce sujet. Le dernier en date est une anthologie de Gérald Duchemin intitulée Les Fous de Venise, publiée aux Éditions le Chat Rouge dans un format absurde qui énerve beaucoup les libraires, mais c’est un bel objet. A l’occasion de la sortie de ce livre mes dessins ont été exposés récemment à La Samaritaine. J’ai déjà publié dans cette collection d’autres ouvrages comme Du Monocle, et autres accessoires masculins disparus, ou des illustrations pour le livre d’Antonius Moonen, Snob Éternel. L’année prochaine je publierai aussi chez eux un livre sur le dandysme. (Massimiliano est aussi chroniqueur pour le magazine de luxe Dandy Magazine).
Du Monocle, par Massimiliano Mocchia di Coggiola © Éditions Le Chat Rouge
Sorel et Massimiliano s’apprêtent à partir pour Prague, une ville qui leur correspond bien, entre mystère et élégance. Ils y assisteront, entre autres choses, à une opérette, « L’Habit fait l’Homme », l’histoire d’un tailleur qui vient s’installer dans une petite ville, mais comme il est très bien habillé tout le monde pense que c’est un personnage important. Il est fêté et reçu partout, et lui profite de la situation jusqu’au bout. C’est un opéra-comique charmant que notre hôte aurait pu écrire. Officiellement c’est un certain Gottfried Keller (1819-1890) qui l’a écrit, mais quand on a devant soi un dandy éternel comme Massimiliano Mocchia di Coggiola qui semble traverser les siècles, toutes les possibilités restent ouvertes.
Retrouvez Massimiliano Mocchia di Coggiola, illustrateur et écrivain de mode masculine, sur son site.
Vous pouvez acquérir ici le petit bijou qu’est « Prosecco et Vieilles Dentelles ».
Prosecco et Vieilles Dentelles © Éditions des Lumières
Retrouvez sur Culturius « Mystère à Venise », le film de Kenneth Branagh inspiré d’Agatha Christie.