Renversante espionne qui utilise tous les moyens pour combattre le nazisme, Betty Pack, alias Cynthia, a changé le cours de la Seconde Guerre Mondiale. Stéphanie des Horts nous emmène dans un tourbillon d’aventures.

Il n’y a rien de fictif en ce qui concerne Betty Pack.

Stéphanie des Horts

Une histoire vraie

Betty Pack, nom de code Cynthia, a réellement existée, et elle a mené une vie si aventureuse qu’elle est du pain béni pour l’auteure qui a su s’en saisir. Qu’on en juge plutôt.

Amy Elizabteh Thorpe, dite Betty, est née en 1910 à Minneapolis (Minnesota), fille d’un brillant officier supérieur des Marines et de la fille d’un sénateur du Minnesota. La famille s’installe à Washington où le père occupe de hautes positions dans l’armée. Issue d’un milieu très conventionnel où la réputation et le qu’en-dira-t-on priment, elle fera le désespoir de ses parents en menant une vie sexuellement très libre pour l’époque, couchant avec qui elle veut alors qu’elle n’est pas encore mariée. Finalement enceinte, elle accepte une proposition de mariage d’un diplomate anglais, Arthur Pack, pour camoufler son état et justifier la future naissance. Malheureusement le couple est très mal assorti et après la naissance de son premier enfant, ils l’abandonnent aux bons soins d’une famille d’accueil perdue dans la campagne anglaise, loin de la haute société. Le pauvre garçon se fera tué plus tard à la Guerre du Vietnam. Une petite fille née plus tard suivra le même chemin de la discrète campagne anglaise. Le mari est diplomate, affecté dans une Espagne qui tombe dans la guerre civile.

Betty Pack, alias Cynthia (1910-1963) © Buffalonews.com

C’est en 1936, dans cette Espagne implacable et déchirée, que Betty va commencer à se révéler. Elle plonge dans le conflit la tête la première, et c’est une tête brûlée. Son amant espagnol est prisonnier des Républicains ? Elle traversera les lignes de front en risquant mille fois sa vie pour aller le délivrer. Faut-il coucher pour amadouer les officiers et les politiciens ? Elle n’est pas à un sacrifice près. Elle établit une véritable route d’exfiltration des Nationalistes qu’elle opère pour ainsi dire seule, sauvant de nombreux officiers d’une mort certaine. Elle parle parfaitement espagnol. Ses talents linguistiques, son courage, son audace, ses coucheries, sa détermination, sa beauté, son sang-froid, vont attirer l’attention des services secrets anglais.

Les guerres ne sont pas gagnées par des moyens respectables

Betty Pack, alias Cynthia

Betty devient Cynthia

Remarquée en 1937 par William Stephenson, le chef espion britannique alors en poste à New-York, elle intègre le MI6, service de renseignement anglais. Stephenson est un des grands espions de l’époque, il est à la tête d’un réseau de 300 agents aux Etats-Unis. C’est lui qui organisera l’exfiltration du fameux savant atomiste danois Niels Bohr depuis le Danemark vers l’Ecosse à l’aide d’un avion en bois pour ne pas être repéré par les radars allemands. Niels Bohr rejoindra Oppenheimer pour le Projet Manhattan de construction de bombes atomiques américaines.

Betty Pack prend le nom de code Cynthia et, alors en poste en Pologne, parvient à ramener des informations sur la fameuse machine de chiffrement Enigma, une machine de cryptage allemande au code réputé incassable.

La machine Enigma et Alan Turing qui l’a décodée © Getty Images / Fine Art Images – Heritage Images

Cette machine, qui ressemble à une machine à écrire mais avec cinq rotors brouilleurs en plus, est capable de générer un code avec 159 milliards de permutations possibles ! C’est un système déjà ancien à l’époque, créé par les Allemands dans les années 20. On le connaît mais on ne sait pas quoi en faire, tant le défi semble insurmontable. Les Américains ont eu une machine en main en 1928 mais s’en sont débarrassé, découragés. Les Français ont obtenu une Enigma en 1931 par chantage mais s’y cassent les dents. Ils la refilent aux Anglais qui abandonnent à leur tour et la donnent aux Polonais. Ceux-ci vont s’accrocher et finiront par la craquer en 1934, mais les Allemands changent leur code tout le temps. Finalement Stephenson la veut et charge Cynthia de récupérer les plans de la machine Enigma qui est en Pologne. Elle réussira par l’entremise de son amant polonais le comte Michal Lubienski, et les spécialistes de Bletchley Park près de Londres, réussiront à la décoder enfin grâce au génie de Alan Turing. Le film Imitation Game lui rend hommage en 2014.

Quand Hitler envahit la Pologne elle rentre à Washington. La guerre ne fait que commencer, et Cynthia va continuer le combat, mais cette fois dans la capitale américaine et dans le lit des diplomates étrangers. C’est un moyen efficace pour s’infiltrer, pour obtenir des renseignements qui aideront la cause des alliés, et particulièrement de l’Angleterre pour laquelle elle travaille.

Une opération de séduction rondement menée auprès d’un diplomate subalterne de l’ambassade d’Italie, opération accompagnée d’une grosse somme de dollars pour ledit diplomate, et voilà que les codes de la marine italienne tombent dans l’escarcelle de Cynthia. Le soir du 28 mars 1941 la flotte anglaise détruira la flotte italienne au Cap Matapan, au Sud du Péloponnèse, grâce aux codes transmis par la belle espionne. Sur la navire de guerre HMS Valiant qui participe au combat se trouve un bel officier de marine, le prince Philip de Grèce, futur mari de la reine Elizabeth d’Angleterre.

L’année suivante, en 1942, elle infiltre l’ambassade de France inféodée à Vichy, elle parvient à pénétrer dans le coffre de l’ambassade et voler les codes secrets dont les alliés ont besoin pour l’invasion de l’Afrique du Nord. Elle est aidée par son nouvel amant, le diplomate Charles Brousse, ancien as de l’aviation de la guerre de 14 devenu attaché de presse auprès de l’ambassade française à Washington. Elle l’épousera en 1945 après le suicide de son premier mari qu’elle ne voyait pratiquement plus. Ils s’installeront au château de Castelnou dans les Pyrénées-Orientales où Cynthia, grande fumeuse, meurt en 1963 d’un cancer de la gorge. Son mari mourra en 1981 dans l’incendie du château. Sa route a croisé celle du célèbre espion Ian Fleming, le père de James Bond, et on peut à juste titre surnommer cette lionne « The Blond Bond ». Les femmes espionnes ont toujours existé et existent toujours, et leurs qualités de discrétion les rend redoutables. Les rebondissements de cette histoire d’espionnage haletante sont nombreux, je vous laisse le plaisir de les découvrir.

Stéphanie des Horts © Astrid di Crollalanza / Marianne

Stéphanie des Horts

Dynamique et volontaire comme ses héroïnes, Stéphanie des Horts manie le charme à la ville comme dans ses romans. Française passionnée de littérature anglo-saxonne, elle a axé  son master sur Shakespeare et Jane Austen. Tout un programme, qui augurait déjà d’une belle carrière littéraire. Collaboratrice de la Revue Littéraire et du Magazine des Livres, lectrice pour les Editions 10/18 et pour Pocket, Stéphanie des Horts a à son actif un nombre impressionnant d’ouvrages dont beaucoup raconte la vie romanesque de femmes de caractère, scandaleuses, intrigantes, courtisanes. Citons par exemple Pamela (Harriman, l’ambassadrice américaine morte dans la piscine du Ritz à Paris) en 2017, Jackie et Lee (les sœurs Bouvier, épouses Kennedy et Radziwill) en 2020 et l’avant-dernier ouvrage Doris,(Delevingne) le secret de Chrurchill en 2022.

Stéphanie des Horts est non seulement un écrivain de talent mais aussi un membre de plusieurs jurys de prix littéraires comme Le Prix des Hussards, le Prix Cabourg du Roman et le Prix du Titre.

On arrive toujours à la même conclusion avec les hommes. Dieu qu’ils sont niais !

Cynthia, usant de son charme avec succès

Une écriture enlevée et ironique

Stéphanie des Horts a une écriture ciselée, démonstrative, acide, une plume trempée dans l’humour et un esprit caustique et ironique qui distribue les piques avec justesse et générosité. Et aussi une pointe de cruauté. Bref ça peut faire mal, et on ne s’ennuie jamais. L’auteure est une fine observatrice de l’humanité et de ses petits et grands travers, elle va vite et assène des diagnostiques à ses personnages comme un chirurgien qui en un coup d’œil jauge de la situation. L’expérience de la fréquentation du beau monde et de nos contemporains, ainsi qu’un goût prononcé pour l’histoire et l’authenticité du propos,  font que le diagnostique de Stéphanie des Horts est généralement juste et fondé.

Un petit extrait pour nous faire plaisir avant de nous quitter : Cora, la mère de l’héroïne, une femme assez vaine et snobe, s’apprête à recevoir le tout-Washington pour une réception très grand-genre dans le style mondain de la Côte-Est.

« Quelques heures plus tard, boudinée dans sa mousseline rose tombant en fût de colonne, des cailloux étincelants à tous les doigts, Cora Thorpe évalue son œuvre. Quel tableau admirable ! Les valets de pied en livrée rouge galonnée d’or sont au garde-à-vous. Une noria de Cadillac, d’Oldsmobile, de Nash et autres Pontiac Torpedo se succèdent dans la rue. Des flocons emportés par des bourrasques glaciales viennent mourir sur les forêts de plantes rares dans le hall. Visons, renards argentés, hauts-de-forme, capes et cannes à pommeau, gants de chevreau immaculés s’abandonnent dans un prodigieux froufrou. Cora laisse dans son sillage des effluves de violette de Parme. Les hommes sont tous milliardaires, les femmes se veulent fatales. Elles ont sorti le grand jeu, les rivières de diamants encerclent leurs cous fripés. Rubis, saphirs et émeraudes pullulent. Ce sont des épouses de sénateurs, des fleurs sous globe ayant une peur bleue de se faner, de petits oiseaux multicolores, des taches de couleurs vives au bras de tyrans en habit ou uniforme amidonné. Toutes se tiennent au bord d’un gouffre. Et eux n’ont qu’une envie, c’est de les y précipiter. »

Stéphanie des Horts, Cynthia, éditions Albin Michel, 2023, 307 pages, 20,90 €

Séminaire d’espionnage du Smithsonian Institute sur Cynthia (en anglais) :