Thierry Liesenfeld : Vince Taylor le perdant magnifique, ou la vie d’une légende du Rock and Roll
Selon l’auteur, Thierry Liesenfeld : Vince Taylor incarne à la fois le diable en personne et un ange posé sur une étoile filante. C’est par ce livre de grand luxe, de 2015 mais toujours disponible, que son histoire est le mieux racontée.
Genèse d’un héros du rock
C’est en France que Brian Maurice Holden imprimera sa marque de la façon la plus durable. Lui qui est né un 14 juillet…1939, à Acton, Angleterre. Avec des disques-uppercuts, pleins à craquer d’un rock and roll sans concessions, et des shows invraisemblables.
Au milieu des années cinquante à Los Angeles, expatrié, il a le privilège d’assister, comme teenager, à l’éclosion et explosion d’un genre fracassant: le Rock and Roll.
Retour à Londres. Quatre 45 tours anglais enregistrés à partir de la fin 1958, dont un titre passé inaperçu devenu depuis lors un classique maintes fois repris : l’incendiaire Brand New Cadillac (1959). Et des prestations à Londres et d’autres villes anglaises.
Sa carrière piétine même s’il représente le rock de tonitruante façon : Cliff Richard est l’idole n°1. Il met le pied pour la première fois en France, les 7 et 8 juillet 1961 pour trois shows à l’Olympia ne comprenant que des rockers anglais, tous très peu connus.
Très peu de monde dans la salle : artistes inconnus, et début des vacances… Mais la toute nouvelle vedette du rock, Dick Rivers, est présent, tout comme -notamment – un certain Daniel Bevilacqua, devenu Christophe, deux ans plus tard.
Une claque monumentale pour eux, et un Rivers à peine consacré qui déclarera beaucoup plus tard qu’après avoir découvert le phénomène scénique inconnu Vince Taylor: «Après cela, on pourra aller vendre des cacahuètes !»
Le «roi du microsillon», Barclay, a le flair de s’y déplacer, avec son collaborateur, le directeur artistique Jean Fernandez, et le signe séance tenante. Sous le choc d’une prestation qui les frappe comme l’éclair : un éclair noir, luisant et brillant. Celui du cuir noir qu’il porte comme une seconde peau.
Ici, à l’Olympia, se produit une métamorphose qui génère toute la suite de sa carrière et de sa vie.
La transformation
Que se passe-t-il donc lors de ces shows à l’Olympia, dont Taylor sort grand vainqueur aux yeux du public, pros du disque compris ?
Gene Vincent, pionnier américain du rock vénéré, s’est fait connaître en Angleterre comme showman spectaculaire qui presque toujours, se produit en cuir noir. Son nouveau style.
On pense à Brando dans The Wild One, aux motards, une imagerie reliée aux voyous, reprise en France à la même époque avec un phénomène qui défraie la chronique pour plusieurs années : les blousons noirs !
Vince, à l’Olympia, adopte ce look que les Beatles arborent, de leur côté, lors de leurs prestations à Hambourg.
Une sorte d’internationale visuelle du rock and roll, mais également une apparence habituelle des voyous et des jeunes marginaux de ces années.
Avec cette apparence tapageuse et son groupe de pointures, les Play-Boys (avant d’autres), certaines limites vocales de l’artiste sont ignorées ou pardonnées alors que dans certaines interprétations, il fait bizarrement preuve d’une maestria bluffante.
Pour en revenir à ses premiers pas français à l’Olympia, édifiante est une critique parue dans l’hebdo France Observateur (futur Nouvel Observateur puis Nouvel Obs, etc.).
D’un certain Jean-Noël Gurgand : pour Taylor, spécifiquement, qui plane au-dessus du lot, il est question de «…salle entière se levant, gesticulant, se contorsionnant, passant à l’assaut du plateau, réussissant à se saisir de l’homme en noir, l’avalant…»(etc.).
Le jeu de scène du chanteur, qui inclut pleinement le groupe, est une manifestation ambigüe et fascinante : de la sauvagerie apparemment sans limites. Et pourtant comme stylisée, empreinte d’une grâce mystérieuse : rien à voir avec la furie scénique des punks de la décennie suivante.
Gurgand, qui n’aime pas le rock, l’a bien compris, dans sa chronique susmentionnée.
«D’ailleurs, le cuir noir dont il était vêtu, conférait à la souplesse naturelle de ses gestes un côté félin, animal, primitif et pourtant étrangement spontané. Le public marcha immédiatement et le mot «transes» n’est certainement pas trop fort. Lui seul en tout cas peut rendre compte de ces convulsions, de ces regards perdus, de ces regards perdus, de ces cris inconscients, incontrôlés…»
Carrière française
Vince passe un moment sur la Riviera française : shows et filmages divers.
Octobre 1961 à Paris : Vince et souvent ses musiciens font les beaux soirs de lieux branchés -cet adjectif n’existe pas encore -comme le mythique club Saint-Hilaire du comédien François Patrice.
Barclay publie ses premiers 45 tours. Et en décembre un album 25 cm -le format plus petit que celui du 30 cm standard – intitulé avec panache Le Rock C’est Ça ! .
L’imagerie est soignée et recherchée au possible. Presque une composition picturale. La présence du lampadaire est une idée déjà utilisée dans un LP de Sinatra de 1954 : Songs For Young Lovers.
Vince est comme absent à la présence des musiciens, dont le batteur d’exception Bobbie Clarke (à droite, jambe levée). Le chanteur représente parfaitement le style, classe au possible, de ce que les Anglo-Saxons appellent mean, moody, magnificent…
Une aura unique, disons de «romantisme viril» à la Brando, James Dean voire Elvis des débuts.
Dix titres sur cet album, également répartis sur ses premiers EP’s -pour les plus jeunes : ce sont des extended-plays, des 45 tours de quatre titres… Et sur les dix titres : huit rocks (dont un incroyable Twenty Flight Rock), et deux slows -pour jeunes filles romantiques ; les rockers les zappent en général !
Sacre… et massacre
Barclay essaie de lancer Vince contre un Johnny qu’il voulait signer : mais le concurrent Philips le lui souffle au nez et à la moustache, surplombant son cigare. Un coup de dés qui s’avère bientôt raté sur le plan commercial. Le répertoire du rocker est trop extrême et il chante en anglais.
Le 18 novembre 1961, ce qu’on espère être un sacre pour Taylor tourne au massacre : un fiasco XXL.
Il est la star prévue d’un festival de rock and roll au Palais des Sports de la porte de Versailles.
Sauf que…les jeunes voyous s’en mêlent, des bandes rivales se bagarrent, il y a des blessés, des dégâts… Le comble est ce qui suit : les troubles commencent surtout lorsque le groupe de Dick Rivers, les Chats sauvages, au succès éclair depuis l’été, se produit.
Le passage de Vince est annulé et il pose complaisamment, avec le sourire, au milieu de la salle ayant subi les derniers outrages de certains éléments déchaînés !
On se pince : personne n’a cassé le moindre fauteuil, ne s’est bagarré, ne s’est fait arrêter pendant son passage. Puisque de passage, il n’y en eut point !
Le mal est fait : le choc des photos est plus fort que les faits réels et des concerts de Taylor sont déprogrammés par des organisateurs divers qui prennent peur.
De l’aura sulfureuse de cet excentrique en cuir noir, alors que les adultes commencent à s’habituer à Johnny. Un rock and roller français mais dont le répertoire s’élargit, comme son public, dorénavant de plus en plus transgénérationnel.
Olympia et la suite
Pourtant Vince et ses remarquables Play-Boys (sur lesquels la place manque pour m’y attarder ici) se produit à l’Olympia. Il y reviendra plusieurs fois mais en cette fin 1961 et début 1962, il y apparaît en co-star avec le comique populaire aujourd’hui oublié : Henri Tisot.
Succès relatif mais un genre d’expérience quasi religieuse, loin du simple divertissement pour certains, qui ont tout compris. Comme le futur grand photographe Jean-Louis Rancurel, qui avouera bien plus tard avoir vécu cette expérience de façon «diabolique».
Épilogue ouvert
Ce recueil de luxe, écrit et réalisé avec amour, comprend 380 pages bourrées d’anecdotes, d’extraits d’interviews. Des planquées de photos innombrables, de reproductions de pochettes de disques, de couvertures de revues, partitions, affiches, articles illustrés de pays divers, etc.
Les détails d’un maximum de tournées et de concerts, y compris les premiers en Angleterre et jusqu’à notre Belgique. La montée vers une gloire éphémère, puis le statut de rocker-culte et les passages noirs dont les drogues dures. Vince qui fut une inspiration pour le personnage de Ziggy Stardust créé par Bowie.
Les années quatre-vingts : la renaissance artistique et un regain de reconnaissance médiatique avec le label Big Beat, et les shows qui recommencent après beaucoup d’errances.
Avec une tournée estivale de 1967 «Les pionniers du rock» co-organisée par Jean-Louis Rancurel susnommé et le journaliste Jacques Barsamian.
Tout cela nous menant au décès de l’artiste, le 27 août 1991, à Lutry (Suisse), veillé par sa dernière femme : sa fidèle admiratrice Nathalie, la dernière à avoir aimé ce séducteur que tous les témoignages décrivent comme irrésistible…
J’espère que ces quelques éléments épars, picorés au sein d’une vie foisonnante, vous donneront l’envie de (re)découvrir par le menu l’épopée d’un personnage incomparable, spécial, comme on n’en aura jamais plus.
Vince Taylor, perdant peut-être, graves excès compris mais, à ses grandes heures, absolument magnifique.
Vince : I comme idole, puis I comme Icare.
I Care…for Vince Taylor et sa mémoire ne peut s’effacer.
Thierry Liesenfeld Vince Taylor Le Perdant magnifique Éditions Saphyr 2015 380 pages