Pour qui apprécie le travail de l’illustrateur bruxellois Dave Decat et du très fameux affichiste français René Ferracci, une expo à la Maison de l’Image de Jette, jusqu’au 19 juin est un événement artistique immanquable ! On peut y retrouver des œuvres du grand artiste et publiciste parisien, et certaines de celles-ci retravaillées par les bons soins de l’illustrateur et lui-même affichiste de chez nous : Decat. Un concept créatif et intéressant.

On profite de l’occasion pour évoquer le parcours de ce grand homme de l’affiche, avant de revenir à l’expo proprement dite.

René Ferracci un roi de l’affiche

Sans s’appesantir profondément sur ce grand nom, on retrace ici les grandes lignes d’une carrière marquante de cet artiste, né et mort à Paris (27-11-1927 ; 25-2-1982). Il laisse un patrimoine publié -sans compter les maquettes et projets non aboutis -de trois mille œuvres, entre 1952 et 1982.

Des débuts humbles mais formateurs après un passage à l’école Estienne : assistant tire-ligne du dessinateur Benari, publiciste pour le département prestigieux de la MGM alors en pleine gloire, passage à l’agence de pub Sipa.

Sa carrière de futur affichiste prend son vrai essor lorsqu’il devient directeur artistique de la publicité d’une très importante société : Cinédis. Cette société de production et de distribution de films a son siège à la plus prestigieuse adresse du monde : les Champs-Élysées !

Et quatre étages de bureaux…Bref un Olympe du cinéma français des années cinquante et début soixante.

Mais Ferracci peut travailler également pour son compte. Ses responsabilités chez Cinédis sont très importantes : il organise et contrôle toute la publicité afférente aux films. Et cela à tous les échelons de la création : la création, la conception, la fabrication et la diffusion de l’image des films.

Il crée quelques affiches mais dans ces années Cinédis, il en commandite beaucoup à d’autres. Mais cette société cesse ses activités en juillet 1963…

Son travail a été fort apprécié par les différents intervenants de la grande chaîne du cinéma et il a établi des contacts directs avec des metteurs en scène, des distributeurs et producteurs. Qui lui mettent le pied à l’étrier pour commencer une carrière d’indépendant.

Les balises de l’affichiste

La toute première exposition consacrée aux affiches de cinéma est organisée à la mythique Cinémathèque française en 1946, sous la direction de l’irremplaçable Henri Langlois.

Affichiste…Un très beau métier puisque basé sur le talent et la créativité, mais générateur souvent d’un stress intense puisqu’il s’agit de plaire à divers intervenants aux préoccupations spécifiques. Et parfois contradictoires ! Tout un petit monde à contenter et Ferracci comme ses collègues se trouvent au cœur de toutes ces attentes et exigences croisées et pas toujours concordantes.

Selon sa personnalité et le type de film, il insistera avant tout sur l’aspect artistique, sur son univers particulier. Ou alors il rejoindra le point de vue du distributeur qui insiste plus sur le côté commercial.

De la création à la recréation

En ces années du siècle dernier où l’uniformisation générale ne tient pas encore le haut du pavé. Ferracci doit parfois retravailler des affiches de films américains pour le marché français.

Le système américain des affiches est notablement différent : elles sont en général des créations collectives. Le système américain des affiches est notablement différent : elles sont en général des créations collectives et différents employés sont chargés de concevoir les visuels vendeurs du film-produit.

Un exemple de recréation : pour l’affiche de Ragtime, un grand film de Milos Forman, Ferracci se contente de recomposer le photomontage.

Il a le droit de signer l’affiche, mais il décline, considérant que cette seule intervention ne le justifie pas : une marque d’intégrité qui définit bien le personnage. Mais au final, Forman, enchanté du résultat, lui offre sa propre affiche dédicacée au «créateur empêché».

Et l’exposition ?

Le concept mélange des affiches françaises originales de notre illustrateur quasi iconique lui-même et de l’affichiste et dessinateur belge Dave Decat, né en 1971.

En fait, l’expo, qui se tient dans une seule pièce au premier étage de cette Maison de l’Image de Jette sans lien avec celle d’Auderghem, a un côté ludique. De très petites étiquettes apposées sur les murs à côté des affiches référencent celles-ci : soit elles sont les créations de Ferracci, soit elles sont transformées par les bons soins de Dave Decat.

Le travail sur ou à partir d’œuvres existantes est une tendance qui existe déjà avec un Laurent Durieux et ses affiches de films modifiées, fantasmées etc. Celles de Decat restent relativement proches des originales, mais toujours avec un méchant à l’avant-plan.

Decat a toujours été fasciné par l’univers des voyous, des truands, même des Apaches, ces jeunes dangereux qui sévissaient dans certains quartiers de Paris, dont les fortifs.

Mais les affiches exposées montrent surtout des truands adultes.

Alors qui signe ?

On y voit Le Gang (Ferracci), Les Chiens (Ferracci).

Mais également Peur Sur La Ville, Le Choix Des Armes, Flic Story

On m’a dit lors de ma très agréable visite que Peur Sur La Ville est la préférée de Decat…mais j’avoue avoir oublié de demander s’il s’agit de l’affiche originale ou de sa recréation à lui.

Mais alors, quid des affiches L’Héritier, un fameux Belmondo ? Ou Rue barbare -Bernard Giraudeau ? Eh bien…rendez-vous à la Maison de l’Image pour y voir la réponse : Ferracci ou Decat ? Essayez de deviner avant de lire les étiquettes !

On a également rassemblé sous verre des documents, comme des numéros d’une revue dont le titre est tout un poème : Les Cahiers du Pistolier et du Carabinier. Des BO de films : de bons vieux 33 tours vinyle. Et d’autres disques et livres liés à des polars ou à l’univers du crime, le biotope artistique d’élection de Dave Decat.

Decat expose également quelques affiches américaines de sa collection, et laissées intactes par lui. Des inspirations pour cet univers français de crime et de banditisme mis à l’honneur : Magnum Force, Dog Day Afternoon, Straight Time

Et sans chauvinisme aucun…

On termine ce petit tour d’horizon -très incomplet volontairement, puisqu’il s’agit bien d’aller y voir en personne ! -avec une affiche-coup de poing…

La seule due intégralement à Dave Decat. Celle qu’il a conçue pour un film explosif et marginal, réalisé par le chanteur du groupe rock La Muerte : Marco Laguna. Cela s’appelle Double Plus Ungood, tourné en Belgique et en Californie du sud…

La thématique du vengeur, du justicier tueur poussée à son paroxysme. Avec certaines scènes tellement gore, tellement outrées qu’on ne peut vraiment les prendre au premier degré. Une cruauté, pour certaines scènes, qui en devient presque drôle : du grand-guignol moderne.

L’affiche clignote au mur, elle captive : on y voit Wild Dee, alias Didier Borra, également connu comme chanteur de rock and roll du groupe The Wild Ones !

Wild Dee accroupi et menaçant, en quatre exemplaires.

Une gueule qu’on n’oublie pas.

Le film a été présenté à Flagey le 19 octobre 2017.

Malgré la présence de Bouli Lanners -en avocat véreux, pas de concession ! -Wild Dee était le sujet d’innombrables commentaires.

Il crève l’écran…et quelques méchants, sur l’écran, qui subissent les pires avanies infligées avec une cruauté invraisemblable par le vengeur ténébreux, impassible et impénétrable.

J’ai eu la chance d’assister à cette présentation et je dois reconnaître en toute humilité que j’avais complètement oublié que l’auteur de l’affiche, exceptionnellement réussie, est due à Dave Decat !

Mais Double Plus Ungood n’a pas (pas encore ?) trouvé de distributeur belge. On ne peut qu’espérer une (re)découverte de ce film, qui sera voué à devenir culte.

En attendant, je ne peux que recommander très chaudement -il faut faire vite – cette exposition si réussie !

Exposition Tir Groupé à La Maison de l’Image • 249 ch. de Wemmel • 1090 Jette

Du 03 au 19 juin
Les jeudis 09 & 16 juin 18-20h
Les samedis 04, 11 & 18 juin 14-18h
Les dimanches 05, 12 & 19 juin 14-18h