Un amour de Proust, le dessinateur Wiaz s’expose du côté de Bruxelles
Wiaz nous emmène dans un voyage poétique et délicat par la magie douce de ses portraits littéraires du grand écrivain, une pause onirique au regard de ses dessins politiques et engagés.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure », disait Proust. Ce n’est pas la première impression que l’on ressent au regard du personnage cerné et un peu lunaire qui habite les dessins de Wiaz d’une présence délicieusement absente.
Tout comme l’acteur du cinéma muet Harold Lloyd que l’on reconnaissait au premier regard avec ses lunettes cerclées, et avec lequel il partage ce côté tendre et légèrement hors sol, notre sujet est un bonheur pour un caricaturiste de la trempe de Wiaz.
Proust est facilement cernable. Il est un personnage. Ses moustaches, ses yeux tombants, ses paupières lourdes, on le reconnaît entre mille.
Wiaz
C’est comme un portrait de famille intimiste que Wiaz dessine en filigranes. S’il est apparenté à Proust, raison pour laquelle l’écrivain était appelé « Oncle Marcel » dans sa famille, Wiaz est surtout membre de la grande famille des écrivains de la manière la plus directe qui soit par son grand-père François Mauriac, sa femme Régine Desforges, sa sœur Anne Wiazemsky, et tant d’autres qui gravitent dans cette galaxie qui brille au firmament des lettres françaises.
Bon sang ne saurait mentir et une nouvelle étoile est née dans cette prestigieuse lignée avec sa fille Léa Wiazemsky dont les romans se succèdent avec succès les années impaires depuis 2015, nous espérons donc un nouvel ouvrage pour cette année.
Quant à Wiaz c’est par le dessin qu’il a décidé de s’exprimer dès sa plus tendre enfance, dessinant des portraits de Proust depuis toujours. Bibliophile comme son grand-père Mauriac, Wiaz collectionne les manuscrits de Proust et aussi de Victor Hugo à qui il voue une grande admiration.
Le prince Pierre Wiazemsky, dit Wiaz, est né à Rome dans une famille d’émigrés russes chassés de leur pays par la révolution de 1917. Son père Yvan Wiazemsky, militaire français qui se trouvait à Berlin à la fin de la deuxième guerre mondiale, y rencontre une jolie ambulancière française, Claire Mauriac, fille de l’écrivain, et il l’épouse. C’est une belle histoire d’amour pleine de promesses après les horreurs de la guerre, et elle sera couronnée par la naissance de deux beaux enfants qui deviendront tous les deux des artistes : l’écrivaine Anne Wiazemsky et le dessinateur de presse Pierre Wiazemsky. Les fées inspiratrices se sont penchées sur leurs berceaux et leurs ailes sont faites de plumes littéraires. Son père devenu diplomate les emmènera sur les routes du Monde, Pierre naît à Rome.
Comme tous les enfants, Pierre Wiazemsky dessinait, mais à l’inverse de la plupart il a su garder son âme juvénile et n’a jamais arrêté. Petit prince du XVIème arrondissement, à quinze ans déjà il dessine pour Le Figaro des portraits de son grand-père l’académicien catholique Mauriac. Une voie se dessine, toute tracée. Auteuil, Neuilly, Passy, tel est notre ghetto, mais Wiaz a su en sortir, un esprit ouvert ne peut être enfermé et les combats sociaux de son temps l’ont fortement interpellé. Mai 68, puis la grande grève des usines Lip de Besançon lui ont permis d’exprimer son sentiment de révolte face à l’injustice, et son besoin de liberté. Ce n’est pas vraiment une surprise ni une contradiction. Quand on vient d’une famille qui a été chassée, spoliée, assassinée, jetée sur les routes de l’émigration, on développe une certaine sensibilité à la souffrance humaine, imprimée dans sa chair et dans son cœur.
Devenu un camarade des combats de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire, puis de la Ligue Communiste Révolutionnaire, devenue Nouveau Parti Anticapitaliste, il en fut le porte-parole durant plus de quarante ans. Il développe aussi une longue collaboration avec Le Nouvel Observateur, participe activement à l’émission Droit de Réponse de Michel Polac, créé en 2006 avec Plantu Cartooning For Peace, une association qui promeut la Paix dans le Monde par le dessin et que Wiaz préside ; il participe à la création en 2020 de la Maison du dessin de presse et du dessin satirique. Ce ne sont là que quelques grands traits, le nombre de projets auxquels il participe, d’organes de presse dans lesquels il dessine, est incroyable.
Une pause est bienvenue dans cette actualité trépidante, et l’exposition de ces dessins consacrés à Proust est un véritable moment de calme et de poésie, hors du temps. Cette exposition, qui a démarré à Paris l’an dernier à l’occasion du centenaire de la mort de cet écrivain absolu, s’est maintenant déplacée à Bruxelles chez Stéphane Cauchies, dans sa jolie galerie Cauchies Selection du Sablon. Si vous voulez vous replonger dans l’atmosphère proustienne, voyez aussi notre article sur Boldini, le peintre de l’élégance.
Stéphane Cauchies, expert et consultant en art, toujours aimable et souriant, a su insuffler à son écrin bruxellois les trésors de son âme d’esthète. Sa galerie aux allures de caverne d’Ali Baba est remplie de trésors et de beautés sorties d’un conte des Mille et Une Nuits. Gageons que Proust s’y serait senti heureux comme un Français à Bruxelles. Une exposition intime à ne pas manquer, le temps retrouvé d’un moment de grâce.
PROUST par WIAZ, une affaire de famille. Exposition du 4 mai au 25 juin 2023 chez Cauchies Sélection, 30 Rue des Minimes, 1000 Bruxelles, de 11 :00 à 18 :00 du jeudi au dimanche.