Il, elle, iel ? Comme si finalement aucun pronom n’était le bon, Laurène Marx utilise la deuxième personne du singulier ponctuant son monologue de « T’inquiète pas ». Mais à qui s’adresse-t-elle ? A chacun de nous face à elle dans le public ? A nous, dans notre possibilité ouverte de devenir une femme trans ? A iel-même : lui, l’homme qu’il était, la femme en devenir ? Et ce « t’inquiète pas » récurrent comme si elle prenait par la main cet être de sang, de chair, d’âme et d’esprit, ce corps bourré d’humanité pour l’accompagner sur le chemin difficile de la transition du sexe masculin au sexe féminin…

Un chemin difficile, beaucoup, carrément, presque à la folie

Un chemin qui vaut bien deux heures de représentation pour une initiation teintée d’humour et de poésie. Humour féroce, poésie en mode punch line : un stand up unique en son genre. Genre, justement c’est cette question du genre qui est au cœur du voyage.

Quelle est la bonne posture pour être une femme ? Quelle est la juste mesure de l’angle entre le menton et le cou pour être fière mais pas arrogante ? Quelle est la bonne tenue du poignet pour être femme mais pas pédé ? Pédé : oui, j’ose le mot, comme Laurène Marx avec beaucoup d’affection en distinguant ce mot d’elle-même. Elle est femme trans non-binaire, mais ces deux derniers termes, on les laisse de côté, c’est déjà assez compliqué comme ça à l’heure où dans le public il n’y a pas forcément beaucoup d’utilisateurs de Tik-Tok, tacle-t-elle au passage les plus âgés d’entre nous.

Mais où en étions-nous ? Je pose cette question que Laurène Marx semblait pouvoir se poser à elle-même pendant le spectacle, mais non, elle savait exactement où elle nous menait avec ce texte ciselé qui interroge la difficulté à être un homme aujourd’hui (même « s’ils nous ont démontré par le passé qu’ils avaient de la ressource »), qui nous  balance un joyeux « si Jésus Christ était une femme noire trans, on en entendrait beaucoup moins parler »…

Laurène Marx © Pauline Le Goff

Laurène Marx nous confronte en usant de la deuxième personne du singulier à la réalité de la transition, de son cheminement parsemé d’embûches. Du psychiatre à l’endocrinologue, du généraliste au chirurgien, c’est dépendance, c’est humiliation, c’est ne plus s’appartenir, c’est « accepter d’être rien », c’est prendre la même pilule que les violeurs, celle qui vous castre chimiquement et par la même occasion vous « donne envie de vous flinguer », c’est, au lendemain d’une opération, « comme si on te demandait de te souvenir des souvenirs d’une autre » avant que tu ne sortes « pour essayer ta gueule ».

La condition de la femme Trans…

….c’est une espérance de vie limitée avec la pose d’implants douteux par exemple, mais quitte à mourir, autant « préférer crever avec des beaux nibards », avec des ratios médicaux « qui sentent le sapin ». Et cet humour noir frôle l’absurde et l’outrance, quand il s’agit de savoir ce que vous voulez « pour le bas » ; « Une chatte ? « Deux même, une devant, une derrière et même plus si tu veux »

….c’est drolatique avant de devenir tragique. Un pompier qu’on ramène chez soi sans l’avoir averti de ce qu’on avait dans la culotte, qui, alors qu’on craint de « finir en fait divers », se met à sangloter « alors que ce mec combat le feu, mais il craque devant une queue ».

Laurène Marx © Pauline Le Goff

Finir en fait divers, c’est bien ce qui est arrivé à Jessica, dont Laurène Marx nous décrit la brutalité du meurtre, avant de faire une longue et inattendue minute de silence. Mais ce qui précède la mort, ce sont les coups, dont a été victime l’artiste alors qu’elle avait dansé toute la nuit et que « c’est vrai que c’est beau Pigalle le matin ». C’est d’autant plus beau et tragique que cette nuit, Laurène Marx l’avait passé avec une fille « belle comme une lueur » à l’aurore d’une histoire osée parce que « des fois qu’il y ait de la joie, ce serait dommage de pas aller vérifier ». Ce passage à tabac, comme une douleur qui irradie l’âme et son identité, c’est ramener la femme Trans à « l’homme qui n’a pas su protéger », à la femme qu’elle n’est pas assez.

Et pourtant dit l’autrice et comédienne : « ne laisse jamais personne te distribuer les bons points de la féminité ».  C’est sur ces mots que j’aimerais terminer cet article puisqu’enfin, Laurène Marx autrice du texte, réservé jusqu’alors à l’interprétation par une femme, une authentique, une « complète », peut aujourd’hui le jouer : il était temps !


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