Perchée sur une colline au confluent de la Sambre et de la Meuse, la citadelle de Namur autrefois convoitée par l’Europe entière et qui développa des fonctions militaires dès le IIIe
siècle, abrite la Parfumerie Guy Delforge, fondée en 1986. Grimpez à pied ou en téléphérique, enivrez-vous de tours, courtines, passerelles et ponts-levis, puis descendez à 12 mètres sous terre pour découvrir la fabrication du parfum.

Longtemps considéré comme inférieur, le sens de l’olfaction nous a permis d’appréhender les odeurs de la corruption. Avant l’évacuation des mauvaises odeurs hors de la ville, (avec le
transport des déchets en périphérie notamment) avant l’apparition des hygiénistes et les progrès de la chimie, la menace de l’air putride est bien réelle, si bien que : « Se parfumer à outrance, c’est se préserver, purifier l’air ambiant » (Alain Corbin, 1896). Jusqu’aux XVIIe – XVIIIe siècles, il n’est pas rare d’avoir sur soi des boules odorantes qu’on sentira de temps en temps, ou d’utiliser les fragrances de musc, d’ambre gris et de civette (aujourd’hui encore appréciées en parfumerie pour leur propriété à fixer les odeurs) pour désinfecter l’atmosphère.

©Parfumerie Delforge

Si l’histoire des odeurs est liée à celle des nuisances, au fil des siècles, la parfumerie cherche à sublimer nos rapports aux senteurs, et devient un véritable projet esthétique, social et comme l’écrit Charles Baudelaire « un charme profond, magique, dont nous grise dans le présent, le 2 passé restauré ». Les écrivains s’emparent et s’enivrent de cette puissance mémorielle, tous succombent à l’évocation habile d’une mémoire affective et lointaine (Süskind, Zola, Flaubert Huysmans, Proust).

Grâce à la haute parfumerie, un nouveau code de l’élégance voit le jour tandis que la femme et l’homme se voient parer de nouveaux diktats de séduction. En fabriquant L’heure bleue en 1912, Jacques Guerlain imagine ce parfum à l’heure où la lumière se transforme en crépuscule et où le ciel se teinte d’un bleu intense. Marketing outrancier pour certains, objet d’art pur pour d’autres, la nostalgie olfactive n’en demeure pas moins réelle et présente en nous, à chaque instant.

Pour attirer les hommes, je porte un parfum qui s’appelle « Intérieur de voiture neuve » !

Rita Rudner

De Grasse à Namur

©Parfumerie Delforge

Si on vous parle de parfums, peut-être penserez-vous à Grasse, village niché dans la région
Provence-Alpes-Côte-d’Azur, longtemps réputé pour ses cures d’air sec. Grasse est la capitale des huiles essentielles. Elles y sont acheminées du monde entier et marchandées à la criée. Et si la région est connue pour ses champs de lavande (tellement appréciés que les Chinois viennent y tourner des séries) de mimosa, de violette, de rose, de jasmin, et d’orange bigarades, cela fait longtemps que leur culture ne suffit plus à fournir le marché mondial de la parfumerie.

Grasse, c’est aussi la ville de l’invention en 1750 de l’effleurage sur châssis fondé sur la faculté
des corps gras à absorber les odeurs. Et pour les plus geeks, c’est au musée Fragonard de la ville que vous trouverez une centaine d’objets rares de parfumerie de l’Antiquité à nos jours.
Mais comme le dit notre parfumeur-directeur général des ateliers Delforge, Charles Kerangoff, pour qui la révélation qu’il était un « nez » remonte aux souvenirs d’enfance, à la cuisine épicée de sa mère, associée à une excellente mémoire olfactive, mais aussi au fait d’être extrêmement gêné par les mauvaises odeurs jusqu’à tourner de l’œil et s’évanouir, le parfum peut être créé absolument partout, tant que les conditions hygrométriques sont bonnes.

©Parfumerie Delforge

Ainsi repose dans les casemates de la citadelle, une quarantaine de parfums et leurs préparations. Il faut entre 3 et 13 mois pour que les huiles infusent dans l’alcool. Les parfums sont élaborés avec environ 15 % d’huiles essentielles, de l’alcool de pulpe de betteraves et de l’eau distillée. À part les huiles qui viennent du monde entier, l’artisan, le flacon en verre et l’alcool, sont belges. Sachant qu’il faut 750 kg de fleurs pour 1 kg d’huile, tout le monde a su apprécier l’arrivée de la synthèse, car un kilo de rose de Damas coûte entre 10 000 et 15 000€, le prix variant en fonction des années de récolte. En effet, vous l’aurez compris, la parfumerie et l’œnologie sont assez similaires.

Charles Kerangoff produit environ 12 000 flacons par an dont le populaire Oser aimer à base
de rose, jasmin et bergamote, un trio indémodable et toujours séduisant. La reconstitution en laboratoire a permis au secteur de se transcender par la récréation, avec différents ingrédients synthétiques, du parfum de muguet par exemple, dont on sait la fleur mortelle et improductive en matière d’huile. Mais c’est aussi le cas des essences animales qu’on ne s’aventure plus à aller récupérer sauvagement, tel l’ambre gris, issu du vomi de cachalot et
dont Charles dira « C’est très cher, c’est très rare et ça pue ! ».

Les principales familles olfactives

©Parfumerie Delforge

Si pour la fabrication du parfum, la règle de trois domine ; notes de tête, notes de cœur, notes de fond, elle n’est pas toujours rigoureusement suivie. Parmi les familles olfactives, on retrouve : les notes florales, les notes hespéridés (les agrumes), les notes chyprées (mousse de chêne, patchouli, bergamote, etc), les notes orientales (épices, bois précieux, vanille, etc), les notes aromatiques (lavande, menthe, camphre), les notes boisées (vétiver, santal, etc), les notes de fougères, auxquelles on pourrait ajouter les notes de cuir et les notes gourmandes (on pense au fameux Angel de Thierry Mugler et ses audacieux arômes de caramel et chocolat).

Si la visite se termine par une délectation d’odeurs plus ou moins familières, il n’est pas si facile de retrouver les six ou sept correspondances, alors que la régalade est certaine, entre effluves de barbecue fumé et fraise des bois. Le dictionnaire semble bien faire les choses, il place PARFUMEUR après PARFOIS et avant PARHÉLIE (ce dernier étant un reflet des rayons du soleil dans les cristaux de glace en suspension).

Informations pratiques

Adresse : 60 route merveilleuse, 5000 Namur (citadelle) Belgique.

Les visites de l’Atelier (durée : +/- 1 heure) : guidées ou audioguidées en français, néerlandais, allemand, anglais, espagnol et italien.
– en individuel, les samedis (sauf férié) à 15H30, pendant les congés scolaires, du lundi
au samedi (sauf jour férié) à 15h30.
3,50 € par personne (3,00 € pour les moins de 12 ans).
– en groupe, le tarif est dégressif : devis sur mesure et réservation préalable.

Réserver votre visite : info@delforge.com. +32 81 22 12 19.