Jean-Patrick Pourtal, l’ésotérisme secret des Templiers et le néo-templarisme
Jean-Patrick Pourtal est un passionné des Mystères de l’Histoire, et notamment de Rennes-le-Château et des Templiers. Il est aussi un photographe de talent. Jean-Patrick Pourtal partage dans cette interview sa vision sur certains mouvements néo-templiers qui apparaissent en France de nos jours et sur la possibilité d’un ordre ésotérique secret au sein même de l’Ordre du Temple.
Jean-Patrick Pourtal, d’où viennent, en 2024, les mouvements néo-templiers ?
Le néo-templarisme remonte assez loin, les premières traces sont autour de 1717, c’est le fameux chevalier de Ramsay qui dans son discours maçonnique va parler des Templiers qui auraient ramené des secrets de Terre Sainte. Petit à petit on va avoir une transformation de ce discours, et on va parler de plus en plus des Templiers dans les loges jusqu’à aujourd’hui. D’autres vont créer des associations templières, et le néo-templarisme va démarrer à partir de là.
Jean-Patrick Pourtal, auteur et conférencier de talent © Jean-Patrick Pourtal
Et aujourd’hui, en 2024 en France, y a-t-il beaucoup d’organisations templières ?
Récemment j’ai moi-même recensé 80 organisations qui se disaient néo-templières. Par exemple des organisations sympathiques de personnes simplement heureuses de vivre comme des Templiers, qui organisent des réunions médiévales et s’habillent en chevalier.
D’autres vont participer à des réunions à caractère plus philosophique et veulent poursuivre les études que l’on pense que les Templiers faisaient en leur temps, ce qui peut se rapprocher de la réflexion maçonnique dans certains cas.
Chevalier du Temple chargeant sur son destrier, chapelle templière de Cressac en Charente vers 1170-1180 © Domaine public
Et puis il y a ceux qui vont avoir des actions caritatives, comme l’OSMTH (Ordo Supremus Militaris Templi Hierosolymitani) qui est reconnu par l’ONU, une véritable organisation mondiale avec des milliers de membres qui se réunissent chaque année le 18 mars à Paris sur l’Île aux Juifs, en un lieu qui s’appelle maintenant le Square du Vert-Galant. (Note : le 18 mars 1314 fut brûlé sur le bûcher à cet endroit le dernier Grand Maître de l’Ordre du Temple, Jacques de Molay). J’ai eu la chance d’y assister moi-même, la première année où ils avaient reçu l’autorisation de porter l’épée en pleine rue. C’était assez impressionnant, il y avait 500 personnes qui venaient du monde entier. C’est curieux de voir par exemple dans ce genre d’assemblée, un Japonais habillé en Templier et qui adhère sincèrement à cette démarche.
Templiers sur le bûcher, manuscrit anonyme, 1384 © Domaine public
Il y a eu malheureusement aussi des dérives, et il y en a encore de nos jours. On a beaucoup parlé en son temps de l’Ordre du Temps Solaire (OTS). Cet ordre existe toujours, il n’est pas aboli, et il faut rester vigilant car on a vu les outrances dramatiques qui ont pu advenir en 1995 et 1997 avec des massacres de dizaines de personnes. Les dérives sectaires existent. La définition d’une secte en France, c’est par exemple le fait de prélever une partie du salaire. C’est pas une simple adhésion, mais un pourcentage sur les revenus, 10 ou 20 pourcents par exemple. Cela permet d’avoir une mainmise sur les gens, de les entraîner dans une dépendance.
L’imaginaire templier est toujours vivace © Jean-Patrick Pourtal
Je suis de mon côté certain qu’il y a des gens qui vivent le Templarisme d’une manière parfaitement claire et honnête. C’est leur rêve et ce n’est pas plus mal qu’autre chose. On peut avoir une démarche réfléchie, ésotérique, philosophique, autour du monde templier, parce qu’il y a des traces intéressantes à travers l’histoire qui permettent de penser qu’il y a eu une démarche ésotérique templière. Tout comme certains vont vers la Franc-Maçonnerie, ou vers le Rosicrucisme. Cela permet aux adeptes de ces mouvements de rentrer en résonance avec d’autres personnes, de travailler ensemble.
L’ésotériste Jacques Breyer, initiateur de la Résurgence d’Arginy, photographié en 1982 © Domaine public
Il existe un mouvement en 2024 que j’ai réussi à identifier, qui est une suite de la Résurgence templière d’Arginy. C’était un mouvement qui a débuté en 1954 avec Jacques Breyer, un mouvement sain, dans un esprit très ésotérique, très occultiste, qui n’avait pas de volonté de nuire. Par après, cela a entraîné dans le monde initiatique français des dérives qui ont débouché sur l’OTS. En ce moment il y a des choses qui bougent.
Jacques Breyer, quand il a senti au début des années 60 que les choses évoluaient dans un sens qui ne lui convenaient pas, s’est retiré de cette organisation. Au fil du temps des gens sont venus autour de lui, des personnes très impliquées dans la politique en France car il y avait certainement une volonté du politique d’avoir une mainmise sur ce mouvement. Cela peut se comprendre, on était alors quelques années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les politiques de l’époque, forts de leur propre expérience pendant le conflit, faisaient très attention aux organisations secrètes. Breyer était un homme très brillant, on peut retrouver quelques-unes de ses conférences sur internet. Son grand regret fut d’avoir un jour préfacé un livre de Luc Jouret, un des patrons de l’OTS, lié à Joseph Di Mambro.
Les Templiers, des chevaliers pas toujours très catholiques © Jean-Patrick Pourtal
Et l’extrême-droite ?
Dans le monde néo-templier il peut y avoir aussi une dérive liée à l’extrême-droite, qui n’a rien à voir avec l’enseignement de l’Ordre du Temple. On peut dire que les Templiers étaient des Chrétiens, des Catholiques, qui défendaient l’Église. À partir de là certains peuvent s’identifier à ce combat et dériver vers l’extrême-droite.
En dehors de ces groupes sectaires ou d’extrême-droite, pourrait-on de nos jours identifier des mouvements néo-templaristes qui seraient sains, avec une démarche honnête ?
Je pense que oui, mais très honnêtement c’est assez difficile, car justement, ceux-là, on n’en entend pas parler. Ils sont sûrement dans une recherche, dans une réflexion sur la philosophie templière. On dit qu’au moment du procès dans les années 1310 certains Templiers ont avoué avoir craché sur la Croix, ils auraient aussi avoué avoir renié le Christ, et adoré une idole. C’est vrai que sous la torture on avoue tout et n’importe quoi. Mais ce qui est plus surprenant ce sont les Templiers qui étaient en Angleterre, en Espagne, au Portugal, et qui ont été entendus libres, c’est-à-dire qu’ils savaient qu’ils ne seraient pas arrêtés puisque les rois de ces pays-là n’ont jamais voulu arrêter les Templiers. Certains ont dit : « Oui, dans une cérémonie on m’a demandé de renier le Christ, de cracher sur la Croix. »
Le château de Gisors, où fut aussi enfermé Jacques de Molay, et qui excite l’imaginaire templier © Jean-Patrick Pourtal
On voit qu’il s’est passé quelque chose en sein de l’Ordre du Temple. Mais quand je dis « au sein » ce serait plutôt dans un noyau dur. Je pense qu’il existait une philosophie templière inspirée des choses que les Templiers auraient pu découvrir en Terre Sainte. Une philosophie plutôt orientée vers le Gnosticisme. Peut-être étaient-ils en possession de documents comme ceux qui ont été découverts en Égypte à Nag Hammadi en 1945, les fameux évangiles apocryphes.
On sait que l’Église a tout fait pour détruire ces manuscrits. Il n’est pas impossible que les Templiers aient eu accès à ce genre de documents, dont la révélation aurait pu être très grave en ce temps-là pour l’Église.
L’Évangile de Thomas, écrit gnostique trouvé à Nag Hammadi en 1945 © Domaine public
Que voulez-vous dire par « noyau dur » au sein de l’Ordre du Temple ?
Avec le recul, et de ce que j’ai pu apprendre à travers les travaux que j’ai menés depuis de nombreuses années, j’ai la certitude qu’au sein de l’Ordre du Temple il y avait un « Collège », je l’appelle ainsi car je n’ai pas d’autre nom à lui donner. Certains Templiers étaient sélectionnés pour recevoir l’initiation dans ce « Collège ». Quand je dis « certains Templiers » je ne parle pas spécialement de chevaliers. Dans l’ordre il y avait des degrés : les chevaliers étaient obligatoirement des nobles, les sergents avaient une origine plus bourgeoise, et en bas de la hiérarchie les serfs travaillaient pour eux.
Au sein de cet ordre secret devaient se trouver, je pense, des individus qui n’étaient pas uniquement des chevaliers. Peut-être sont-ce eux qui ont fait ces aveux ? Nous avons des documents qui nous sont parvenus issus des procès contre les Templiers, et des procès-verbaux de leurs interrogatoires. Ce genre d’aveux ne concerne qu’une dizaine de cas sur des centaines de compte rendus. Très peu de Templiers semblent avoir connu cela.
Jean-Patrick Pourtal, y a-t-il des traces de cet enseignement ésotérique ?
Ceux qui ont l’habitude de travailler sur les symboles ont de quoi s’interroger. Il y a le drapeau des Templiers, le gonfanon, qui s’appelle le Baussant, ou Bausséant, selon les prononciations. Il est de couleur blanche et noire, une case blanche et une case noire accolées. Très dualiste.
Le gonfanon Baussant © Domaine public
Et puis il y a le fameux sceau des Templiers que tout le monde connaît, sur lequel on voit deux chevaliers sur un seul cheval. Longtemps l’explication des historiens était qu’à l’origine l’ordre s’appelait « L’Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ » et comme ils étaient pauvres ils devaient monter à deux sur un seul cheval. Imaginons la chose, cela paraît très déraisonnable. Mais aujourd’hui les historiens envisagent, qu’en effet, au sein du Temple, il devait y avoir quelque chose de plus particulier.
Pour poursuivre la quête mystérieuse, deux livres passionnants de Jean-Patrick Pourtal sur Rennes-le-Château. On peut les acquérir ici © Jean-Patrick Pourtal
En revanche nous savons de façon certaine qu’il y avait en Terre Sainte des échanges avec des ordres initiatiques musulmans, notamment la secte du Vieux de la Montagne, aussi appelés les Haschaschins, ou Assassins. Certains pensent qu’ils prenaient du haschisch pour entrer en transe. Peut-être, mais je pense que c’est une fausse interprétation. Ceci dit, c’était un ordre, du côté musulman, assez similaire à celui du Temple. Et il y avait des échanges car ils ne se battaient pas tout le temps, et quand on est implanté dans un pays on échange avec les locaux et on trouve des liens. On voit d’ailleurs l’apport de la science arabe des ogives dans l’architecture qui est arrivée en Europe, avec la construction des cathédrales.
Hughes de Payens, le fondateur de l’Ordre des Templiers. Tableau de Henri Lehman, 1841, Salle des Croisades du château de Versailles © Domaine public
Comment cet ordre intérieur se serait-il transmis jusqu’à nous, si toutefois il s’est transmis ?
On peut sur ce point gloser pendant des heures. On peut imaginer des tas de choses. On sait que les Templiers n’ont été massacrés que dans le Royaume de France. Certains ont pu fuir en Espagne et au Portugal, et se sont perpétués à travers l’Ordre du Christ et l’Ordre de Calatrava. Un des oncles de Christophe Colomb fut un des Grands Maîtres de l’Ordre de Calatrava. Il est intéressant de se rappeler que lorsque Colomb est parti pour les Indes, il est parti tout droit plein Ouest, avec sur ses voiles la croix rouge du Temple. Pour certains historiens, il se pourrait que Colomb connaissait déjà l’existence de cette route occidentale avant de partir. Si c’est vrai, cela pourrait aussi expliquer la quantité d’or dont disposaient les Templiers et qui n’était pas en rapport avec le peu d’or produit en ce temps-là en Europe. Peut-être un des secrets du Temple était-il aussi cette route maritime ? Cet ordre intérieur du Temple aurait pu donc infiltrer ces ordres catholiques.
La Nao Santa Maria, réplique actuelle du bateau de Christophe Colomb © DR
De même, les bâtisseurs des cathédrales ont été les porteurs de connaissances qui leur furent enseignées par d’autres, et cet enseignement serait arrivé jusque dans le monde initiatique européen par les Templiers. Je pense que cet ordre secret templier a existé mais est resté très discret et autonome. On peut apercevoir des traces de son existence par les symboles qui nous ont été transmis.
Il existe aussi une autre manière de transmettre les informations, non pas matérielle mais spirituelle. L’ésotériste Jacques Breyer aurait reçu des enseignements grâce à des opérations théurgiques, un esprit lui aurait parlé.
Le château d’Arginy et sa fameuse Tour des Huit Béatitudes © Domaine public
Vous y croyez ?
Je n’ai pas à y croire ou non, je reste intéressé par la démarche car Breyer dit que l’esprit qui lui aurait parlé était celui de Jacques de Molay, qui lui aurait demandé de reconstituer l’Ordre du Temple. C’est cela la Résurgence d’Arginy. Il est intéressant de remarquer que le château d’Arginy est un ancien fief de la famille de Beaujeu qui a donné un des Grands Maîtres de l’Ordre du Temple. Guillaume de Beaujeu pose des questions aux historiens de l’Ordre car il était très ésotériste. La tradition dit qu’il y aurait, caché dans ce château, un livre de révélations. Le comte de Rosemont qui était dans les années 50 le propriétaire du château, a même fait des fouilles au bulldozer pour le retrouver, c’est épique !
Armand Barbault et son célèbre ouvrage d’alchimie, L’Or du Millième Matin © Domaine public
Ils étaient un certain nombre de personnes assez puissantes qui entouraient Jacques Breyer, dont l’alchimiste Armand Barbault auteur de L’Or du Millième Matin, ou des mediums. Ils nous disent avoir effectué un certain nombre d’opérations théurgiques, mais il faut rester vigilants.
Si l’on croit à ces choses, quand on pratique ce genre de communication avec les esprits, on ne sait pas sur quoi on va tomber. On ne sait pas ce qu’ils ont ouvert comme porte. D’autant plus qu’ils disent avoir suivi une apparition après une de ces expérimentations, et qu’ils l’auraient suivie en voiture pendant 600 kilomètres jusque dans une région qui s’appelle Le Dévoluy, dans le Sud de la France. Ils ont alors acheté une commanderie et se réunissaient là. Sauf que pour certains spécialistes de ces sciences occultes, ils auraient ouvert des plans qu’il n’aurait pas fallu ouvrir. À partir de ce moment les choses seraient parties en vrille dans les années 60. C’est alors qu’apparaîtront des personnages louches qui mèneront aux drames de l’OTS.
Retrouvez Jean-Patrick Pourtal sur son site, et dans une émission Arcana consacrée au Trésor des Templiers :