C’est une exposition rare et exceptionnelle qui vous est donnée à voir dans le superbe cadre du château de Chantilly jusqu’au 16 février 2025. Ne la ratez pas, c’est une splendide célébration des liens qui unissent la France et la Belgique au travers de la première reine des Belges, Louise d’Orléans.

La princesse Louise (1812-1850), première fille de Louis-Philippe, duc d’Orléans – puis roi des Français –, est une figure incontournable de l’Europe romantique. Son éducation soignée, faisant la place belle tout autant aux arts qu’à l’histoire, aux langues et aux sciences, l’a préparée à occuper une place de choix au cœur de la société voire, avec l’accession de son père à la royauté, à pouvoir endosser le destin d’une tête couronnée. Princesse de France, puis reine des Belges, Louise d’Orléans devient l’actrice romantique d’une épopée romanesque : celle de l’émergence d’un royaume improbable dont la voix va pourtant se joindre au concert des nations européennes.

Louise d’Orléans encore adolescente, par Matteo Picasso, 1827 © Chantilly, Musée Condé

Fille aînée d’une fratrie moderne et unie, Louise nourrit des goûts communs avec ses frères et sœurs, princes et princesses artistes, élèves et mécènes de la nouvelle génération des artistes romantiques. Son frère aîné, Ferdinand-Philippe d’Orléans, sa sœur, la sculptrice Marie, ou encore son jeune frère, Henri d’Orléans, duc d’Aumale.

Médaillons de Louise et Léopold en biscuit de Sèvres, 1837 et 1838 © Chantilly, Musée Condé

Promise à un royal époux beaucoup plus âgé qu’elle, la reine Louise devient l’héroïne – peut-être trop discrète – des premiers âges du royaume de Belgique, la pièce centrale d’un échiquier familial liant son destin à celui de la politique européenne des régimes issus des révolutions de 1830, de Paris à Bruxelles.

Portrait en buste de la reine Louise-Marie, par Joseph Leroy, 1850 © Belgique, Collection royale

Formée aux arts, férue de politique et épistolière prolifique, fille loyale et mère attentive, c’est avec application que la reine Louise, aux côtés de son époux Léopold Ier de Saxe-Cobourg-Gotha, inaugure et construit ce qui deviendra la vie de cour, la vie politique et diplomatique, la vie culturelle, mais aussi les instants familiaux dans les premières résidences royales belges.

Un magnifique portrait de la reine Louise par Winterhalter, 1841 © Wikipedia Commons

Et c’est à l’aune des royautés qui se font et se défont, alors que son corps l’abandonne et sa santé la trahit, que la reine Louise, décédée bien trop jeune à Ostende, devient la première icône de la royauté belge, une figure emblématique dont l’apothéose marque un État encore en devenir. Elle laisse derrière elle des enfants au destin parfois plus tragique encore – pensons à sa seule fille, Charlotte, éphémère impératrice du Mexique –, qui ont peut-être masqué le souvenir de leur mère, tout en relevant son héritage, et celui de la famille d’Orléans : le goût du voyage et l’amour de la collection.

La reine Louise, par Sir William Charles Ross, vers 1839. Et le prince Léopold de Saxe-Cobourg-Saalfeld, par Sir George Hayter, 1816 © Belgique, Collection royale

L’histoire de Louise d’Orléans, celle d’une princesse française dont la vie romantique s’achèvera dans le Plat Pays, trouvera dans cette exposition un écho particulier : celui d’éclairages inédits, basés sur des recherches renouvelées, permettant de remettre à sa juste place une reine oubliée. L’exposition consacrée à cette figure féminine méconnue la remettra à l’honneur auprès d’un large public, autant en France qu’en Belgique, grâce à un partenariat transfrontalier exceptionnel faisant sortir des réserves de véritables chefs-d’œuvre très souvent inconnus, issus de prestigieuses collections, notamment celle de la Collection royale de Belgique.

Portrait de Louise d’Orléans, reine des Belges, par Joseph-Désiré Court, vers 1833. Ce portrait orne le magnifique catalogue de l’exposition © Chantilly, Musée Condé

Le splendide catalogue de cette exposition exceptionnelle est dû au mécénat de Monsieur Daniel Thierry, membre du Comité de Pilotage du Château de Chantilly pour l’organisation de l’exposition en octobre 2024 à Chantilly et en mars 2025 à Namur : « Louise d’Orléans, 1ère reine des Belges ».

Charlotte de Belgique, fille de la reine Louise. Atelier de Franz Xaver Winterhalter, 1844 © Musée BELvue, fonds musée de la Dynastie

Des objets intimes qui racontent les joies et les peines d’une jeune princesse

Comment ne pas ressentir la peine d’une jeune princesse qui doit quitter son pays et sa famille pour aller régner dans un pays, certes proche, mais tout de même étranger ? Le départ de Louise pour la Belgique fut vivement ressenti, tant par elle-même que par sa famille. Sa sœur Marie d’Orléans en fut plus affectée qu’elle ne l’aurait cru, et elle écrit à Louise : « Que je suis malheureuse de t’avoir quittée, pauvre amie ! Je t’aime tant ! Je ne jouis de rien sans toi ! C’est comme si l’on avait passé une éponge sur ma vie; toutes mes sensations sont effacées ! »

Portrait en pied de la princesse Louise vue de dos, par Marie d’Orléans, 1832 © Chantilly, Musée Condé

C’est sa sœur cadette, la princesse Marie d’Orléans, qui dessinera cette très jolie aquarelle qui représente Louise de dos, quittant sa famille avec son sac, pour se rendre auprès de son mari en Belgique. On y ressent toute la tristesse des adieux. Elles se retrouveront parfois, notamment à l’occasion de mariages royaux. Mais elles correspondront quasi quotidiennement, la reine Louise étant connue pour sa graphomanie. Alors que toutes les deux sont passionnées de politique et partagent une communauté de vues, elles éviteront ce sujet, lui préférant l’actualité culturelle ou littéraire.

Deux paires de chaussons de bal de la reine Louise, taille 37 © Musée BELvue, fonds musée de la Dynastie

L’œil, « la voix de l’âme »

Mathieu Deldicque et Julien De Vos, commissaires de l’exposition, expliquent : « L’inventaire des bijoux dressé à la mort de Louise signale des bracelets comportant les portraits en miniature du prince royal et de Marie d’Orléans ou encore un médaillon avec le portrait du roi Léopold, alors donné à la princesse Charlotte et, en cas de remariage de Léopold, à la nouvelle reine. Comme les autres membres de sa famille, la reine des Belges appréciait particulièrement les médaillons à l’œil : partie la plus évocatrice du visage, l’œil était considéré comme « la voix de l’âme ». Elle écrit par exemple à Victoire duchesse de Nemours pour lui demander de faire monter l’œil de Léopold pour l’offrir à Noël à Victoria.

Exceptionnel bracelet aux pendants formés d’yeux en miniature, d’après Franz Xaver Winterhalter © Chantilly, Musée Condé

Dans son testament, Louise signale posséder un médaillon en cœur avec l’œil de son père peint par Ross, qu’elle lègue également à sa fille Charlotte. Une partie de ces médaillons (Charlotte et Louis-Philippe) furent employés après la mort de la reine dans un bracelet récemment acquis par le Musée Condé, réunissant les miniatures des yeux des parents, de l’époux, des enfants, de la reine Victoria et de la reine des Belges elle-même, d’après Winterhalter, réalisés entre 1843 et 1865, sans doute pour le futur Léopold II. »

La reine Louise des Belges. Claude Marie Dubufe, vers 1837 © Belgique, Collection royale

Des parures royales

« Entre les parures dignes d’une souveraine et les bijoux à caractère sentimental, l’écrin de la première reine des Belges reflète les deux visages d’une époque qui perpétue la splendeur des cérémonies de cour tout en faisant souffler sur l’art joaillier l’esprit d’un romantisme assumé. Quand Louise rallie enfin Laeken le 16 août 1832, quelques jours après avoir épousé à Compiègne le roi Léopold Ier, elle a emporté avec elle un trousseau plutôt conséquent, puisqu’il a fallu vingt-sept fourgons pour le ranger, mais aussi une précieuse cassette estimée à 120 000 francs or, objet de bien des tractations lors de la rédaction du contrat de mariage. »

Bijou-bracelet en or avec une miniature de Louise d’Orléans par François Meuret, d’après William Charles Ross © Chantilly, Musée Condé

« L’écrin royal ne cessera de s’enrichir au fil des ans et les Orléans par tradition très « cadeautiers » y participent largement, ne manquant aucune occasion, fêtes patronymiques, anniversaires ou naissances, tout comme la reine Victoria qui a noué de tendres liens avec sa tante Louise. Bien que reine des Belges, Louise reste attachée aux joailliers parisiens et, par le biais de la reine Marie-Amélie, elle se fait livrer des caisses entières de bijoux et de colifichets de chez « Meller » et distribue généreusement autour d’elle ces témoignages d’estime et d’amitié. »

Charlotte de Belgique, fille de la reine Louise. Herman Winterhalter, 1848 © Belgique, Collection royale

Louise et les arts

Lorsque le roi Léopold monte sur le Trône, les collections royales sont encore à construire. Léopold apporte avec lui ses propres collections d’art, notamment les magnifiques tableaux qu’il amène d’Angleterre, de sa résidence de Marlborough House : des Cranach, Jan Brueghel, David Teniers le Jeune, Greuze et Mignard. Les Belges mettent à sa disposition pour meubler ses palais des collections de peinture flamande qui appartiennent à l’État. Mais il faut encore développer un art plus spécifiquement belge, en harmonie avec le nouveau royaume qui vient d’être créé. Aussi le couple royal va-t-il encourager les arts et collectionner avec enthousiasme les artistes belges, suscitant ainsi une forme d’émulation grâce à leur mécénat. Suivant l’exemple de ses parents, Louise achètera aussi des artistes français.

On peut lire sur la feuille que tient la reine dans sa main : « Grâce ». La reine n’était pas seulement une collectionneuse d’art mais elle s’intéressait aux causes des malheureux © Chantilly, Musée Condé

La mort prématurée de la reine Louise

La santé de la reine Louise est défaillante. Frêle, son mari l’avait remarqué l’année même de leur mariage: « Dommage que la charpente ne soit pas un peu plus solide : sa grande fragilité m’inquiète souvent. » Ce sont les poumons qui sont malades. Quintes de toux à répétition, grande maigreur, la reine inquiète. Tous les docteurs viennent à son chevet, celui du roi des Français, celui de la reine Victoria, et bien sûr les médecins belges. Le 23 août 1850 un rapport est transmis au roi Léopold : « L’état de la reine est désespéré. »

Le roi Léopold et les familles d’Orléans et de Belgique au désespoir, la reine Louise meurt à Ostende le 11 octobre 1850 © Chantilly, Musée Condé

Le roi l’emmène au bon air de la mer, à Ostende, espérant une guérison qui n’arrive pas. La famille d’Orléans en exil accourt d’Angleterre, ce sont les derniers jours de Louise. Aux premières lueurs du 11 octobre 1850, à huit heures du matin, elle s’éteint à Ostende, entourée des siens et secourue des derniers sacrements de la religion. Elle avait trente-huit ans, et le peuple belge en est très affligé. La princesse Diana est morte à Paris à trente-six ans, à peu près au même âge.

Louis d’Orléans, reine des Belges, mourante. Jean-Baptiste van Eycken, 1851 © Galerie Mendes, Paris

Surnommée la « Bien-Aimée », la reine Louise est encore présente de nos jours, non seulement dans les souvenirs des amoureux de l’Histoire, mais aussi dans le cœur de tous les Bruxellois, grâce à la très belle Avenue Louise qui traverse une grande partie de la ville, depuis le centre jusqu’au Bois de la Cambre. Elle fut en son temps la plus élégante avenue de la capitale, et de nouveaux projets urbanistiques visent à lui rendre son lustre d’antan. Cette avenue est nommée Louise en l’honneur de la petite-fille de la reine Louise, la princesse Louise de Belgique, fille de Léopold II. Ce prénom est toujours donné dans la famille de Belgique, la fille du prince Laurent et de la princesse Claire se prénomme Louise elle aussi, elle aura bientôt vingt-et-un ans.

Statue de la reine Louise en majesté. Joseph Jacquet, 1878 © Bruxelles, Palais de la Nation, Sénat de Belgique

Cette formidable exposition se déplacera en Belgique cette année et sera visible à Namur à partir de 20 mars 2025. Certaines pièces exposées seront les mêmes, et d’autres seront différentes. Une bonne raison pour visiter les deux expositions, à commencer par celle de Chantilly qui est toujours en cours jusqu’au 16 février.


Hélène Carrère d’Encausse, l’Immortelle