L’été joue les prolongations en cette fin septembre et ma pile des livres de la rentrée littéraire diminue peu à peu. Je les ai choisis avec gourmandise, me réjouissant de retrouver des auteurs que j’affectionne comme Mazarine Pingeot, Serge Joncour ou Agnès Desarthe et d’en découvrir d’autres comme Cécile Tlili ou Basile Mulciba. C’est bien peu au regard de tous ceux qui m’attendent dans la bibliothèque mais c’est une première sélection dans cette rentrée littéraire qui vous donnera peut-être envie de passer quelques heures plaisantes en bonne compagnie.

Les histoires des deux premiers romans de cette rentrée littéraire s’inscrivent dans le contexte climatique qui nous préoccupe depuis maintenant quelques années. Le temps continue de s’écouler au fil de saisons de moins en moins marquées que ce soit aux Bertranges, dans la ferme entourée de collines où se retrouvent les personnages de Serge Joncour ou dans la station de moyenne montagne en attente de son manteau neigeux qui sert de décor à l’intrigue de Basile Mulciba.

Les écrivains nous font vivre deux huis-clos d’une grande intensité.

Chaleur humaine, de Serge Joncour

« Depuis le confinement on croyait le monde à l’arrêt, alors que toutes les vies non humaines retrouvaient dans cette pause une terre à nouveau libre, en cessant leur activité les hommes libéraient toutes les autres formes de vie, les canards et les hérissons pouvaient de nouveau longer les chemins, les sangliers fourrageaient dans les fossés, les chevreuils ne s’exposaient plus à la mort en traversant les routes et les villes elles-mêmes se laissaient gagner par une faune qui se réappropriait l’espace. »

Chaleur humaine © Albin Michel

La vie d’Alexandre se déroule tranquillement aux Bertranges dans la ferme de son enfance proche des parents qui continuent de cultiver un peu de terre comme ils peuvent. Il se partage entre ses bêtes, ses chiens et Constanze, conservatrice de la réserve « La Reviva » avec qui il partage l’amour de la terre, de la roche et des forêts. Alexandre s’adapte aux nouvelles conditions climatiques et tente de maintenir l’exploitation.

Début janvier 2020, on commence à parler d’un virus venu de Chine. Le père en bon paysan craint pour le bétail, il voit le monde changer autour de lui, les arbres bourgeonnent en hiver et la rivière est déjà basse au début du printemps, ce virus, c’est comme la grippe aviaire, ça va décimer les campagnes ! Et en quelques semaines, la situation s’aggrave et les trois sœurs parties depuis longtemps vers d’autres vies plus citadines viennent se réfugier à la ferme. Depuis vingt ans, elles sont en froid avec leur frère qui ne leur pardonne pas d’avoir cédé des terres à des constructeurs d’éoliennes.

Le retour sur les terres familiales ravive les blessures mais permet aussi à chacun(e) de renouer avec son histoire en retrouvant ses racines. Le temps est donc venu des retrouvailles et des mises au point pour cette famille plongée comme toute l’humanité dans un cauchemar qui n’augure rien de bon.

C’est au bord du précipice, dans un huis-clos forcé, que l’essentiel prendra le dessus.

Hors saison, de Basile Mulciba

« (…) Il appréciait le vide de la station, l’absence de foule, la possibilité d’appréhender le lieu dans son dénuement le plus sobre, comme lorsqu’on arrive en avance et qu’on peut prendre le temps qu’il faut pour se préparer à un rendez-vous important. »

Hors saison © Gallimard

On s’attache très vite à Yann, le personnage principal du premier roman de Basile Mulciba. Sur un coup de tête, il décide de délaisser ses études de médecine pour travailler dans un petit hôtel dans une station de basse montagne. Il laisse derrière lui un quotidien devenu pesant, sa mère et sa petite amie pour se joindre à la communauté des saisonniers. Il se sent vite à l’aise dans le village et sympathise avec ses compagnons encore désoeuvrés faute de neige.

Et la neige ne tombe pas, la station se vide et les commerces ferment. La station est comme un théâtre sans comédiens, les pistes restent couvertes d’herbes et de pierres et la saison ne commence pas. Pourtant, quand les saisonniers partent les uns après les autres, Yann décide de rester. C’est un dialogue intime qui s’engage alors…

Basile Mulciba fait preuve d’une grande délicatesse et d’une grande justesse dans la peinture des sentiments. Le temps se fige et l’on voit évoluer les personnages dans une bulle qui bien qu’inquiétante se révèle être un espace ultime de liberté. Les failles et les déchirures des parois escarpées de la montagne font écho aux plis et replis du monde intérieur des personnages.

Un roman doux comme une envie d’évasion sous les flocons.

Les deux romans suivants de cette rentrée littéraire mettent en valeur deux femmes apparemment sans histoire. Deux femmes pourtant en quête d’identité qui l’une et l’autre, dans des milieux et des conditions très différents, vont braver les interdits pour trouver leurs voies.

Le salon de massage, de Mazarine Pingeot

« Je dessinais des courbes pour ne pas marcher droit. La ligne la plus courte provoquait chez moi des crises de panique. J’aimais chercher à me perdre, même si c’était pour de faux – mon sens de l’orientation me rattrape toujours, c’est pénible. »

Le salon de massage © Mialet-Barrault éditeurs

Souheila est professeur des écoles, elle vit avec Rémy qui voudrait bien qu’ils aient un enfant mais Souheila ne veut pas suivre la route qui semble toute tracée et elle fait des détours…

C’est ainsi qu’elle entre un jour dans un salon de massage thaï et s’engouffre avec une appréhension stimulante et un délice coupable dans les interstices d’une nouvelle existence qui la conduira au coeur d’elle-même.

La jeune-femme se fait masser comme d’autres vont chez le psy, elle ne parle pas, elle s’évade, voyage, se libère. Elle éprouve un plaisir à la fois sensuel et intellectuel qui font de ce rituel un moment indispensable à son équilibre. Mais un jour, elle trouve les portes closes. Le salon ferme, plongeant ses habituées dans le scandale ; des caméras filmaient les séances à l’insu des clientes. Elle rejoint un collectif de victimes dont elle ne parvient pas à épouser les revendications et la radicalisation progressive.

Dérangée par le voyeurisme dont elle a fait l’objet, elle ne se sent toutefois pas en osmose avec le groupe. C’est Paul, le mari de la meneuse qui sera le révélateur du besoin de rupture de la jeune-femme en quête d’un nouveau départ.

On retrouve dans ce roman les thèmes de la filiation et des origines chers à Mazarine Pingeot. Elle nous livre une réflexion toute en nuances sur la condition féminine aujourd’hui à travers une série de portraits loin de la caricature mais sans concessions.

Le salon de massage invite chacun(e) à pousser la porte de son intimité la plus profonde.

Un simple dîner, de Cécile Tlili

« Dans un élan involontaire pour se donner du courage, Claudia redresse le menton, contracte les poings. Elle entend un bruit de verre brisé et voit sans comprendre un mélange de sang et de champagne dans sa paume, le long de son bras jusqu’au coude. Le cristal délicat de sa coupe n’a pas résisté à la pression de ses doigts. Les trois autres la regardent avec étonnement, comme agacés de cette interruption importune. »

Un simple dîner © Calmann Lévy

Claudia a cuisiné toute l’après-midi dans la souffrance pour recevoir comme il se doit Johar et Rémi, les invités d’Étienne. Étienne attend beaucoup de ce dîner sur le plan professionnel et Claudia craint de ne pas être à la hauteur. Rémi quant à lui est heureux de passer la soirée chez son ami mais ne fait que penser à Manon, sa maîtresse. Johar de son côté doit prendre une décision essentielle et voudrait être ailleurs que dans ce jeu de dupes. Les préoccupations de chacun occupent les esprits et pèsent sur ce qui est décidément bien plus qu’un simple dîner.

L’atmosphère est vite irrespirable et la canicule estivale n’est pas seule en cause. La vie de chacun des protagonistes de ce huis-clos décapant va prendre un cours inattendu, les masques tombent les uns après les autres et le curry pourrait finalement laisser un goût amer à certains…

On étouffe avec les personnages dans la moiteur de cette soirée d’août dans les relents d’épices et l’on attend avec une curiosité teintée d’anxiété que les conventions sociales éclatent pour laisser place à la réalité la plus crue.

Un premier roman truculent aux faux airs de Cuisine et dépendance qui se lit d’une traite.

Et pour terminer, mon coup de coeur du mois de la rentrée littéraire :

Le Château des Rentiers, d’Agnès Desarthe

« Ceux qui me rencontrent aujourd’hui voient une femme de cinquante-six ans, le visage marqué par quelques rides, pas trop nombreuses, mais bien présentes, des cheveux blancs qui strient les mèches brunes, boitant certains jours, les traits plus graves qu’autrefois. Ils ne distinguent pas la fillette sur la plage qui fait couler le sable entre ses doigts, pas plus que l’adolescente aux décolletés toujours plus profonds quelle que soit la température car elle est trop joyeuse pour avoir froid, ni la trentenaire inépuisable qui porte des sacs de course et des valises. Elles sont pourtant là, toutes en même temps. Il suffit que je leur ménage un minuscule espace, pas plus large que le chas d’une aiguille, et les voilà qui se précipitent. »

Le Château des Rentiers © Editions de l’Olivier

Agnès Desarthe se souvient des années de retraite de ses grands-parents Boris et Tsila Jampolski qui s’étaient installés avec des amis de leur génération dans un immeuble acheté sur plan rue du Château des Rentiers. Pour la plupart rescapés de la Shoah, ils avaient pris le parti de jouir du plaisir de vieillir ensemble dans une sorte de phalanstère où l’auteure alors enfant rendait visite avec plaisir à ces jeunes et joyeux vieillards.

D’anecdotes en réflexions sur le temps qui passe et la perspective du dernier chapitre de la vie, elle livre dans ce roman une philosophie de l’existence qui ne peut nous laisser indifférents. A l’instar de ses aïeux, elle imagine elle aussi un lieu idéal où elle pourrait voir passer le temps qui lui reste dans le partage, la joie et la sérénité. Mais cette projection dans une retraite utopique sur le modèle de celle des grands-parents est surtout un prétexte pour les faire revivre, faire entendre l’accent de la grand-mère, faire sentir l’odeur du gâteau aux noix, faire écouter la mélodie de Pietouchok...

En superposant la vieillesse communautaire heureuse de ses grands-parents et son questionnement personnel face au temps qui s’écoule, Agnès Desarthe brouille les cartes, mélange les générations et célèbre le bonheur d’être en vie avec une joyeuse mélancolie.

Je vous souhaite de bonnes lectures et vous dis à bientôt pour une nouvelle cueillette de la prochaine rentrée littéraire.

Découvrez sur Culturius deux autres auteures dans des styles très différents de ceux de la rentrée littéraire : Amélie de Bourbon-Parme et Stéphanie des Horts.