Retour ensemble sur deux pièces à l’affiche du Festival d’Avignon cet été. Car comme le disait l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau , dans son entretien « Il fait une révolution politique, poétique et philosophique », publié aux éditions Zuma en mai 2022, « Ce qui tue aujourd’hui et avant tout, c’est notre manque d’imagination. Notre enlisement dans l’inertie. Nous avons bien davantage besoin d’artistes que d’ingénieurs face au désastre en cours : notre problème n’est pas technique, il est axiologique et ontologique ».

La Bombe Humaine

« La Bombe humaine ». ©Andrea Messana

Sorte de méta-pièce sur l’écriture d’un spectacle portant sur l’écologie, avec « La Bombe Humaine », Eline Schumacher et Vincent Hennebicq offrent une pièce névralgique par les enjeux qu’elle déploie sur le plateau. En plein effondrement de la vie sur terre, alors que la cendre des incendies aux alentours dégouline sur les remparts d’Avignon, les deux acteurs se posent la question de la mise en scène de l’écologie.

À la première personne, successivement, ils vont narrer leur recherche et les paradoxes qu’elle sous-tend, allant de la rencontre avec des ministres, des scientifiques, à des voyages et des stages de formation écologique.

Si nous devions adresser une critique à cette pièce, dont les motivations sont loin d’être critiquables, ça serait dans un défaut de forme. En effet, le fond est parfaitement dressé, bien qu’il pêche quelque peu en étant la mise en scène d’un hiatus -bourgeois- entre les mesures à prendre et le confort à garder, nous attendons avec impatience un traitement formel de la nouvelle sensibilité écologique à venir. C’est à dire, non pas une pièce qui parle de l’écologie mais une pièce qui s’exprime avec écologie, à partir d’elle et qui ouvrirait des nouvelles conditions de perceptions.

En effet, traiter du fond, au sein de l’entre-soi bourgeois bohème que constitue le public avignonnais -n’en déplaise aux ambitions originelles de Jean Vilar– et dans l’absolu, tout le public assistant à une représentation théâtrale, offre au mieux un écho rassurant aux spectateurs, au pire, au moment où l’ouest de l’Europe est en proie à une série d’incendies conséquent au réchauffement climatique, un acouphène angoissant. La sensibilisation est déjà faite, par les scientifiques, maintenant, il est plus que jamais temps de se pencher sur la sensibilité. Et nous pensons qu’il s’agit du sacerdoce des artistes à venir. 

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Le Moine Noir

Pour sa 76ème édition, le festival d’Avignon donne le ton avec la présence du réalisateur russe Kiril Serebrennikov, mouton noir de Vladimir Poutine. 

L’histoire instaure une intrigue tchekhovienne typique : un intellectuel, Andreï Kovrine, n’arrive plus à écrire la moindre ligne. Il décide de se réfugier à la campagne, chez l’homme qui l’a élevé. Celui-ci, vieillissant, commence à s’inquiéter de la pérennité de son jardin et voit dans le retour de Kovrine une occasion donnée par la fortune de trouver un successeur capable de continuer à en prendre soin. Selon ses vœux, l’éminent intellectuel se marie avec sa fille mais, au lieu de s’occuper du jardin, l’emmène dans le tumulte de la ville. Désabusé, le couple revient à la campagne. Kovrine se trouve alors en proie à des hallucinations visuelles, hanté par un moine noir. 

L’adaptation de Serebrennikov est centrée autour de cette déréalisation, comme lors de son dernier film, La fièvre de Petrov, les protagonistes trébuchent sur les bordures du rationnel dans une chute haute en couleur. L’interprétation de l’apparition du moine noir est laissée en suspens, ouverte au spectateur. Serebrennikov restera ambigu lors de son entretien au journal La Terrasse : « Cette apparition, caractérisée par sa soudaineté, vient du plus profond de la psyché, comme une voix intérieure impérieuse. Il est possible d’y projeter ses désirs et ses peurs, une part de ténèbres ou une part de lumière ».  Ou une persistance, littéralement pathétique, à s’enfuir dans la folie pour quitter la médiocrité de la vie bourgeoise et ainsi accéder à la liberté de la démence, le palier entre l’aliénation et la déraison. 

La mise en scène est extrêmement baroque, répartie entre le plateau où trois grandes serres en bois accueillent la ribambelle de personnages, des animations visuelles -dont le kitch psychédélisant dénote avec l’architecture médiévale- projetées sur le mur de la cour d’honneur ainsi qu’une lune, peut facilement perdre le spectateur, qui doit également alterner avec les sous-titres, même si le texte, élaboré comme un long ressassement, permet de disperser progressivement son regard.

Cette pièce est également disponible sur Arte+7