« Pauvre folle » est un roman si riche que j’ai eu bien du mal à trouver le fil conducteur de cet article. C’est d’ailleurs difficile à Clotilde elle-même, l’héroïne, de démêler les fils de sa propre histoire d’amour.

Les fondations

C’est en termes poétiques que j’introduirai initialement l’article en humble hommage à Chloé Delaume et son personnage principal. Au passage, petit clin d’œil à Sylvia Plast citée dans le livre : « La poésie ne sauve pas, la poésie ne sauve rien, mais il y a la poésie »

Il était tôt, il était tard

4h dans une nuit qui s’étire sans hâte dans un octobre en plein été

Dans les fils broussailleux de ma pensée

Je voguais de page en page

Cherchant une ligne dans un sinueux voyage

Celui d’une héroïne malade d’amour

Un mal de chien hurlant à la face des sourds

L’héroïne c’est Clotilde

Travail d’hercule elle veut tuer l’hydre

Arrachant à son crâne

Sous sa chevelure noire

Des morceaux de mémoire

Dont la douleur émane

C’est dans des trains glacés qu’opère

La presque cinquantenaire

A la manière de Cronenberg

Direction Heidelberg

La poésie, pierre angulaire de la carrière de Clotilde, autrice. A l’âge de 9 ans elle découvre Ophélie de Rimbaud dans les Lagarde et Michard de sa mère, professeur : ça la chamboule et plus que ça… syndrome de Stendhal lui explique sa mère.

Chloé Delaume © Coxalgie

La poésie, que Chloé sème par-ci par-là dans ce récit d’amour, surgit par fragments de correspondance par e-mail entre Guillaume et Clotilde, le Monstre et la Reine comme ils se prénomment l’un l’autre dans la « clairière » virtuelle. Guillaume ? L’homme dont elle tombe furieusement amoureuse pendant une résidence à la Villa Médicis. L’entrave : Guillaume est gay et en couple.

Sa mère s’avère une autre pierre angulaire de l’autrice mais surtout le féminicide dont elle est victime. C’est un traumatisme fondateur pour Clotilde comme pour Chloé Delaume. Cette dernière en se confiant à Eva Bester dans « Le Grand Canal » sur France Inter, écrit pour faire revivre sa mère.

Chloé Delaume et l’auto-fiction

Cet entretien sur les ondes radiophoniques nous révèle que, peut-être plus que les autres romans de Chloé Delaume, « Pauvre Folle » appartient au domaine de l’auto-fiction.

Alors oui, on peut supposer qu’en se rendant à Heidelberg en trains, ville romantique par excellence, tout au moins dans l’inconscient collectif, Chloé/Clotilde extrait de sa mémoire les souvenirs qui l’ont rendue folle d’amour, à la limite de la décompensation. Décompensation, parce que l’héroïne/autrice est bipolaire, une autre donnée qui enrichit le récit.

Pauvre Folle © Editions du Seuil

Notez, le mot « train » est ici est au pluriel : Cholé/Clotilde s’est lancée dans un long périple sur plusieurs jours en changeant de train à plusieurs reprises alors qu’il est tout à fait possible de rejoindre Heidelberg au départ de Paris en 4 heures. C’est parce qu’il lui faut du temps pour raccommoder ses lambeaux de mémoires, faits de matières gluantes, gélatineuses ou encore de pierre, de fer à la manière des protagonistes du réalisateur David Cronenberg.

Dans « Le Grand Canal », l’écrivaine s’exprime aussi sur le féminisme « post-meetoo » à l’instar de Clotilde (ou devrions-nous dire l’inverse ?), la corporalité, la littérature, l’écriture : « Je vis dans Word » dit-elle…

Et les mots alignés d’abord sur l’écran d’ordinateur avec une superbe dextérité, sont à découvrir figés sur le papier dans « Pauvre folle ». Si Chloé Delaume a reçu le Prix Médicis pour « Le cœur synthétique » en 2020, il se pourrait que le dernier ouvrage de l’autrice ait la faveur d’un jury encore plus prestigieux. Affaire à suivre…