L’art contemporain perd un de ses grands maîtres. Précurseur du minimalisme, représentant de l’Op art (l’Op art ou art optique est un terme qui décrit certaines pratiques et recherches artistiques qui explorent la faillibilité de l’œil à travers des illusions ou des jeux d’optique), Frank Stella a marqué l’art contemporain dès la fin des années 50. Toute sa carrière s’est bâtie sur la recherche et il n’a jamais cessé de se réinventer.  Chef de file de l’art américain d’après-guerre, il a été le plus jeune artiste de l’histoire à bénéficier d’une rétrospective au MoMa.

Frank Stella est né le 12 mai 1936, à Malden dans le Massachusetts. Il a fait des études d’art à la Phillips Academy d’Andover et des études d’histoire à l’université de Princeton. Dans un premier temps, il sera influencé par l’expressionisme abstrait de Jack Pollock, et de Franz Kline, mais très rapidement, il cherche dans d’autres voies. Il veut s’éloigner des expressionnistes abstraits, qui font de la toile un événement. Il s’intéressera alors à la peinture de Barnett Newman.

Delta, (1958). Typique de la période noire de Frank Stella, mis en vente en 2023 à 45 millions de dollars © photo Liliana Mora / The Art Newspaper

C’est en 1959 qu’il sera remarqué lors de l’exposition « Sixteen Americans », où il expose ses « Black paintings », des toiles où le noir est appliqué à l’aide d’une brosse de peintre en bâtiment. Ces traits noirs sont comparables à des chemins qu’empruntent sa peinture, formant des angles droits, des zigzags, les fins traits blancs qui les séparent sont créés par la toile laissée à nu.

Carl André, autre géant du minimalisme, dira de lui « L’art exclut le superflu, ce qui n’est pas nécessaire. Pour Frank Stella, il s’est avéré nécessaire de peindre des bandes. […] Ses bandes sont des chemins qu’emprunte le pinceau sur la toile. Ces chemins ne conduisent qu’à la peinture. »

Loohooloo, (1994) sur le campus central du MIT © DR

Dès 1960, le MoMa (Museum of Modern Art) fait entrer son œuvre « The marriage of Reason and Squalor” dans ses collections, ce qui contribue à sa reconnaissance précoce. L’année suivante, il bénéficie de sa première exposition personnelle à la galerie Leo Castelli de New-York. Ensuite, il inventera le concept des « Shaped Canvas », création de peintures sculptures où la peinture entre en résonnence avec la forme de châssis.

Il est reconnu comme artiste majeur de la peinture abstraite américaine avant l’âge de 25 ans et en 1970, le Museum of Modern Art lui consacre une rétrospective. Il est alors le plus jeune artiste à bénéficier de cet honneur. Une seconde exposition sera également organisée en 1987.

Wooden Star, (2014) © Frank Stella and Marianne Boesky Gallery, New York and Aspen/Artists Rights Society (ARS), New York; Christopher E. Manning

D’abord sobre et minimaliste, son style évoluera tout au long de sa carrière, et au fil de ses recherches sur la couleur et ses liens avec l’espace. Après ses peintures noires séparées par des filets blancs, il s’emploiera à travailler sur les couleurs ainsi que sur les formes de ses châssis. Les formes choisies sont souvent en L, N, U ou T, et évolueront vers des formes toujours plus complexes.

Dans les années 60, il commencera à employer un éventail de couleurs, typiquement disposées en lignes droites ou incurvées. En 67, il commence sa série Protractor Series, dans laquelle les courbes s’insèrent dans des carrés qui sont disposés à côté de cercles et demi-cercles peints en anneaux de couleurs s’entrecroisant dans ceux-ci. Pour ces œuvres, il s’inspire des villes circulaires qu’il a visitées au Moyen-Orient.

Exotic birds © DR

Pendant les années 70 et 80, Il mêle plusieurs techniques et matériaux comme l’aluminium, ou la fibre de verre, le métal, qu’il colle sur la toile, et qui semblent vouloir s’échapper de leur support. De plus, il est de plus en plus influencé par les codes plus souples du graffiti. Il s’oriente de plus en plus vers des œuvres en trois dimensions, et il se lance dans la réalisation d’œuvres complexes entre sculptures et peinture. Il abandonne alors le minimalisme et s’oriente de façon déterminée vers son contraire : le maximalisme. Il travaille par séries, par exemple, les « Exotic Birds », ou « Brazilian ».

A partir de 1985, et jusqu’en 1987, il entame une série inspirée par l’ouvrage Moby Dick d’Herman Melville. Il conçoit alors d’énormes reliefs en aluminium, chacune inspirée d’une des 138 parties du roman.

The Whale-Watch, issu des Moby Dick Deckle Edges Series, (1993) © DR

Dans les années 90, l’artiste produit de nombreuses œuvres monumentales pour plusieurs villes qui les exposeront dans des lieux publics comme à Toronto, Houston, Miami, Washington, Berlin, Singapour … C’est à cette époque qu’il s’inspira également des sonates de Domenico Scarlatti, pour produire quelques 150 œuvres.

C’est aussi à cette époque qu’il devint l’un des premiers artistes à s’aider d’ordinateurs pour agencer ses formes et ses couleurs. En 2022, il a d’ailleurs fait parler de lui pour avoir vendu, sous forme NTF (Certificat cryptographique associé à un objet numérique dont l’authenticité et la traçabilité sont garanties par la blockchain), des « sculptures virtuelles », imprimables en 3D.

Les explosions de couleurs de Frank Stella © National Gallery of Australia

En 2015, une grande rétrospective de ses œuvres a été présentée au Whitney Museum de New York réunissant des peintures, des reliefs, des maquettes, des sculptures et des dessins. Sa dernière grande exposition en France date de 2023, où plusieurs œuvres récentes ont été présentées à la galerie Ceysson & Benetière. En outre, les œuvres de Frank Stella sont présentes dans toutes les grandes collections internationales, dont celle du Centre Pompidou à Paris.

Sa philosophie de l’art

Ses œuvres ont souligné l’image comme objet, plutôt que comme la représentation de quelque chose. Il dira de ses œuvres qu’elles sont des surfaces plates avec de la peinture dessus – rien de plus.

En œuvrant à une redéfinition de l’art et de la peinture en particulier, Frank Stella a créé des tableaux-objets aux formes de châssis originales, montrant des lignes droites, concentriques ou diagonales, régulières, homogènes, qui devaient davantage à la largeur du pinceau utilisé qu’à la main de l’artiste. Il refusait l’interprétation en art. Ce qu’il voulait, c’est dépersonnaliser l’œuvre d’art pour en finir avec les figures de grands génies torturés et incompris à l’ego surdimentionné, à la Jackson Pollock.

Frank Stella © DR

« Ma peinture est fondée sur le fait que seul s’y trouve ce qui peut y être vu, déclare Stella, empêchant le spectateur d’analyser ce qu’il voit, et l’invitant à ne voir que l’efficacité de la forme, telle qu’elle est, sans superflu »

L’art de Stella se voulait simple, évident, dénué de toute symbolique. Il ne cherchait qu’à jouer avec les formes, les couleurs en évitant l’émotion. Il voulait performer un art dénué de sentiment, sans affect. Il a pourtant été à l’origine d’œuvres harmonieuses, dont les savants jeux de couleurs réjouissent l’œil et apportent le plaisir du pétillement à qui les admire.

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