Nous avons eu le privilège d’interviewer Adrien Beau, le réalisateur du Vourdalak, le film de vampire qui vient de sortir, inspiré de la nouvelle d’Alexis Tolstoï, La Famille du Vourdalak.

Adrien Beau est un réalisateur qui n’en est pas à son coup d’essai. Après La Petite Sirène qui est un magnifique petit film avec une marionnette, et Les Condiments Irréguliers, un superbe court-métrage à l’ambiance irréelle, qui rappelle les empoisonnements de la marquise de Brinvilliers, Adrien Beau s’est attaqué à un texte court mais original de l’écrivain Alexis Tolstoï, un cousin de Léon Tolstoï.

Cette histoire a été plusieurs fois adaptée au cinéma depuis les années soixante par des réalisateurs de différents pays : Les Trois Visages de la Peur (1963, France-USA-Italie), La Nuit des Diables (1972, Espagne-Italie), La Famille du Vourdalak (1990, URSS), Papa oumer Ded Moroz (1991, URSS), Vourdalaki (2017, Russie). Le Vourdalak (2023, France) est donc le sixième film inspiré par cette célèbre nouvelle vampirique, et la première adaptation entièrement française.

Les Condiments Irréguliers (2011), déjà l’atmosphère spectrale chère au réalisateur © Adrien Beau

Grégoire Tolstoï : Comment avez-vous découvert ce texte d’Alexis Tolstoï ?

Adrien Beau : Un peu par hasard. A l’adolescence je lisais beaucoup de littérature fantastique au collège, et par hasard, j’ai trouvé un recueil de nouvelles vampiriques dans lequel il y avait Carmilla de Sheridan Le Fanu, Dracula évidemment, et La Famille du Vourdalak d’Alexis Tolstoï. Après je n’y ai plus vraiment repensé, mais c’est en rencontrant Judith Lou Lévy pour un autre projet qui finalement n’a pas vu le jour, qu’elle m’a dit avoir très envie de faire un film de vampires.

Pour l’anecdote, sa boîte de production s’appelle Les Films du Bal parce que lorsqu’elle était petite, quand elle avait sept ou huit ans, son film préféré était Le Bal des Vampires de Roman Polansky. En me rencontrant elle s’est dit que c’est avec moi qu’elle voulait le faire. Il y a quelques années, Les Films du Bal ont eu deux prix à Cannes : le Grand Prix du Festival de Cannes avec Atlantique en 2019, et le Prix du Jury de Cannes en 2021 avec Le Genou d’Ahed, de Nadav Lapid

Adrien Beau au Cimetière du Père-Lachaise © photo Jérémie Marchetti / chaosreigne.fr

Le Vourdalak est un film qui a été tourné et monté très rapidement, en moins d’un an, ce qui est assez rare. Mais l’écriture du scénario nous a pris trois années, à Hadrien Bouvier et moi. Nous nous sommes assez éloigné du texte original. Comme l’histoire se passe en 1815, et qu’à ce moment-là le marquis qui est le protagoniste principal de l’histoire est un vieillard qui raconte un souvenir marquant de sa jeunesse, c’est-à-dire en plein XVIIIe siècle, nous nous sommes permis de fleurir les dialogues.

De toutes façons, ils parlent tous français, dans la nouvelle de Tolstoï comme dans mon film, alors que l’histoire est supposée se passer dans un village de Serbie. C’est un conte bien sûr. C’est un peu comme la grand-mère du Petit Chaperon Rouge qui lui dit : « Tire la bobinette et la chevillette cherrera », alors qu’elle est supposé être une paysanne vivant au fond des bois.

Qu’avez-vous voulu montrer de différent par rapport à la nouvelle originale ?

L’histoire à la base est magnifique, mais elle est aussi très misogyne, parce que le personnage de Sdenka est à peine ébauché, et elle est même assez stupide. Dans la nouvelle, Sdenka et son frère Pierre sont assez naïfs, ils sont persuadés que leur père n’est pas un Vourdalak. C’est l’autre frère, Georges, qui a des doutes, qui est un homme brave, alors que Pierre est considéré plutôt comme un personnage lâche et efféminé. Nous avons complètement interverti cela. Ce qui nous plaisait beaucoup, Hadrien Bouvier et moi, c’était l’histoire de ce père qui ne veut pas mourir, un homme extrêmement irritable et irascible, un peu à l’image même du patriarcat actuel qui n’en finit pas de mourir.

Un réalisateur passionné © Adrien Beau

L’histoire est censée se passer en Serbie, mais en fait cela ressemble plus à un pays imaginaire. L’histoire originale a été écrite par Alexis Tolstoï vers 1840 en langue française. Il décrit les coutumes serbes de manière un peu supérieure : ils dansent avec des yatagans, ils ne mangent que du fromage. C’est assez daté. Nous avons voulu nous l’approprier pour raconter des choses qui sont plus proches de nous.

Adrien Beau, vous avez une passion pour le bizarre, votre prochain projet sera toujours dans cette même veine ?

Oui. À la base, je viens des arts plastiques. Et c’est la littérature fantastique qui m’a fait découvrir ce monde extra-ordinaire. J’aime les choses métaphoriques et visuelles, les marionnettes par exemple qui allient à la fois le théâtre, le jeu d’acteur, le cinéma et les arts plastiques. Ce sont des sculptures auxquelles on donne la vie. Cela m’intéresse beaucoup, je suis très heureux de pouvoir joindre mes différentes passions dans cette même activité.

Le corps du Vourdalak à gauche, sa voix et son âme à droite (Adrien Beau) © Les Films du Bal

L’idée d’utiliser une marionnette pour le rôle d’un cadavre est quelque chose qui bloque certains spectateurs. On est venu me dire : « Ce n’est pas très réaliste. On voit bien que c’est un objet. » Mais que voulez-vous, c’est ça un cadavre. Quand la vie s’en va, on n’est plus quelqu’un, le corps devient un objet. La marionnette est une métaphore de cela.

Vous écrivez à quatre mains avec un autre Adrien, vous donnez des interviews dans un cercueil, à la fois mort et vivant, vous animez la marionnette tout en faisant en même temps la voix… Est-ce que vous avez parfois des dédoublements de personnalité ?

C’est amusant que vous me posiez la question. Sur le tournage je me suis blessé et je ne me suis rendu compte de rien. J’étais comme ces gens qu’on voit dans les cirques sur un pied, en haut d’un éléphant, en train de faire tourner des assiettes : j’étais tellement concentré sur le fait à la fois de faire la voix, et de regarder dans un petit écran l’image inversée du tournage, il fallait que je pense à l’envers. Je m’étais entraîné depuis des mois devant un miroir, toute ma gestuelle devait être mise en miroir sur un retour caméra, un petit écran que j’avais caché hors du champ. C’était tellement compliqué que lorsque je me suis blessé au coude cela ne m’a pas fait mal sur le moment, tellement j’étais hyper concentré dans une espèce de transe bizarre.

L’éternité c’est long, surtout sur la fin

Woody Allen

Adrien Beau, aimeriez-vous être un vampire, la vie éternelle, tout ça ?

Je crois que je m’ennuierai très vite en fait. Et à chaque fois que je m’attacherai à quelqu’un, je le verrai mourir. Quelques fois je me dis que la vie est trop courte, mais la vie éternelle, non, ça ne me tente pas. Je pense que c’est bien comme ça. En même temps, on ne se rend pas bien compte de ce que cela pourrait être. Ce n’est pas du tout quelque chose auquel je pense. J’ai d’autres désirs, mais pas celui-là.

Le réalisateur Adrien Beau dans son confortable cercueil © Adrien Beau

Par contre, jouer ce personnage de vampire m’a beaucoup plu. C’est Sarah Bernhardt qui disait que « être acteur c’est être tout, tous et toutes ». Le vampire, c’est juste un rôle. En ce moment je travaille sur autre chose et il n’y a pas de vampire dedans. Il y a un cercueil, il y a des fantômes, mais pas de vampire.

Imaginons que les vampires existent, si vous vous retrouviez face à un vampire assoiffé qui a envie de vous mordre, comment réagiriez-vous ?

Et bien j’ai envie de répondre l’inverse de ce que je viens de dire juste avant. Si la chose existe vraiment peut-être que je me poserais la question, mais hélas je n’y crois pas du tout. Mais je lui demanderai quand même de m’emmener avec lui, de me faire découvrir ce qu’est le monde de la Nuit, peut-être que ça me plairait. Mais mordre les gens et boire le sang, ça me dégoûte. Finalement, éviter le soleil ne me dérange pas trop. Je n’ai jamais beaucoup aimé ça. Dormir dans un cercueil c’est très confortable, j’ai déjà essayé. Mais boire du sang, non, sans façon ! Si on pouvait me l’injecter… ou alors sous forme de boudin, mais je n’aime pas ça non plus.

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L’interview d’Adrien Beau par Phantom of the cinema, Dialectique du mort-vivant :