Interview de Jacques Ravenne pour son livre Le Graal du Diable
La saga du Soleil Noir se poursuit brillamment dans l’obscurité profonde de la deuxième guerre mondiale. Et cette fois-ci les vampires s’en mêlent ! Dracula contre Hitler ! Nous avons eu la chance d’interviewer Jacques Ravenne, qui avec Eric Giacometti, est l’auteur de cette série à succès aux millions de lecteurs. Pour Culturius il a bien voulu dévoiler le passé et envisager l’avenir.
Eric Giacometti et Jacques Ravenne ont créé les aventures du commissaire Marcas, le policier franc-maçon. Aux prises avec les nazis, c’est aux confins de la Transylvanie que ce nouvel opus nous entraîne. Il navigue avec art entre le XVème et le XXème siècle. Entre l’époque de Vlad Tepes, dit l’Empaleur, dit Draculea, et de l’Impératrice Barbara de Cilli, cruelle et assoiffée de sang. Et celle de la deuxième guerre mondiale, dans un Banat serbo-roumain hanté par des partisans vampires tueurs de nazis. De Prague à la forteresse de Golubac sur le Danube. Des arcanes du tarot au Nosferatu d’Albin Grau. De l’Ordre du Dragon à la Fraternité de Saturne. Erudit, haletant, surprenant, Le Graal du Diable nous a subjugués. Sur la couverture il est marqué « thriller ». C’est juste : je n’ai pas lâché le livre avant de l’avoir terminé.
Grégoire Tolstoï : Jacques Ravenne, vous êtes un écrivain à succès mais aussi un lecteur. Qu’est-ce que vous lisez pour le moment ?
Jacques Ravenne : Je lis d’autant plus qu’avant de devenir écrivain, après mes études de lettres, j’ai travaillé sur Paul Valéry, j’étais un spécialiste de la poésie moderne. J’ai toujours beaucoup lu, et en particulier des classiques. Pour être franc je lis très peu de polars, moins d’une dizaine par an, En étant devenu écrivain de roman policier, je connais un peu les structures, les techniques, et maintenant ça me gâche un peu le plaisir car je vois les ficelles. Rares sont les polars qui m’étonnent, ce que je regrette grandement. En plus j’ai peur pendant la période où j’écris d’être influencé par telle ou telle mise en structure.
Je lis beaucoup de documents historiques, d’essais sur l’Histoire, de biographies historiques. C’est l’intérêt que je porte à l’Histoire. J’ai toujours pensé qu’une bonne connaissance de l’Histoire permet d’éclairer le présent, surtout dans la période troublée où nous vivons. Il me semble que nos gouvernants, que ce soit en France ou en Belgique, devraient un peu mieux connaître l’Histoire de leur pays, de l’Europe et du Monde, cela éviterait, en toute modestie, quelques errances et quelques choix que je qualifierai gentiment de discutables.
Laure d’Estillac, votre personnage féminin, peut agacer par sa perfection. N’est-elle pas un peu « Madame Parfaite » ?
Jacques Ravenne: Pour Laure d’Estillac nous nous sommes intéressés aux services de renseignements gaullistes qui avaient bien moins de moyens que l’Intelligence Service. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait beaucoup de femmes qui avaient été formées par les Anglais et qui ont mené des missions extrêmement périlleuses en France. Très curieusement, quand la guerre a cessé et que l’Ordre des Compagnons de la Libération a été créé, ce sont surtout des hommes qui ont été récompensés. Cela correspond à l’esprit de l’époque.
Le but a été de retrouver les destins de ces femmes qui ont été parfois parachutées en France, parfois ont été arrêtées, parfois n’ont pas survécu à leur arrestation. Leur mémoire s’est souvent malheureusement dissipée et nous avons voulu leur redonner leurs lettres de noblesse à travers le personnage de Laure d’Estillac.
Dans cette saga nous nous sommes inspirés de personnages réels, par exemple dans les parties sur l’ésotérisme nazi qui proviennent des archives que nous avons fouillées en Europe, y compris à Bruxelles.
Qu’avez-vous découvert à Bruxelles ?
Jacques Ravenne: France 5 et la RTBF nous avaient proposé il y a quelques années de réaliser un documentaire sur les archives de la Franc-Maçonnerie volées en France et en Belgique. Ces archives ont été volées par les Allemands en 1940, analysées par eux jusqu’en 1944 et récupérées par les Russes en 1945. Leur mémoire s’était totalement perdue, les obédiences belges et françaises ont pensé qu’elles ne retrouveraient jamais leurs archives, que la guerre les avait détruites.
En réalité, elles ont été conservées dans les archives russes. Cela représente des kilomètres de linéaires. Dans les années 2000 une chercheuse américaine qui travaillait sur un tout autre sujet, en fouillant dans les archives de l’Armée Rouge, a mis la main sur une boîte. Puis elle s’est aperçue qu’il y en avait des centaines. Elle a averti le Quai d’Orsay et son équivalent belge, les états ont récupéré leurs archives et la Belgique a retrouvé sa mémoire maçonnique. Il faut savoir qu’au Grand Orient de Belgique il y a une personne qui passe des heures et des jours à scanner l’intégralité des documents revenus de Russie. J’ai vu moi-même scanner les documents de l’année 1930 d’une loge de Mons. Ces documents sont ensuite renvoyés dans les loges respectives. En France en revanche tout est centralisé. C’est un fonds d’archives qui reprend toute l’histoire de la Maçonnerie française, voire européenne, depuis la création de la Maçonnerie jusqu’à la guerre.
Tout a été retrouvé ?
Jacques Ravenne: il en reste encore là-bas, certainement des dizaines de caisses. Ce n’est pas de la part des Russes une volonté de ne pas tout rendre, seulement l’administration russe est tellement désorganisée qu’ils en ont oublié. Il y a encore des fonds à Moscou et aussi à Minsk où se trouve l’histoire de la Maçonnerie de Bordeaux par exemple.
On a trouvé aussi des choses auxquelles on ne s’attendait pas. En Belgique j’ai été très ému de trouver un ensemble de feuillets rédigés par un Espagnol républicain réfugié à Bruxelles, mais qui collabore avec la Gestapo pour infiltrer ce qui restait de la Maçonnerie. Il allait dans les loges clandestines le soir et dénonçait aux nazis les noms des Frères le lendemain matin. On a tous ses écrits, mais lui n’a jamais été retrouvé. C’est non seulement un pan de l’histoire maçonnique mais aussi nationale qui ressurgit.
Quand les caisses sont arrivées pour la première fois en France en décembre 2000, le bibliothécaire du Grand Orient, Pierre Mollier, qui est toujours en poste, a accueilli les camions de l’armée russe remplis d’archives qui avaient traversé toute l’Europe depuis Moscou jusqu’à Paris. Ils sont arrivés le jour de Noël. Il hallucinait : des caisses, des caisses, des caisses… Il a appelé tout le monde pour l’aider à décharger, jamais il n’en avait vu autant. Il a pris une caisse au hasard, l’a ouverte pour voir, et le premier feuillet qu’il a trouvé était signé Benjamin Franklin ! Pierre Mollier disait : « si tout le reste est de ce niveau je n’y survivrai pas ! »
2- Vlad l’Empaleur
Vous ne faites pas mystère de votre appartenance à la Franc-Maçonnerie, ce qui est plutôt rare. Vos Frères et vos Sœurs s’agacent-ils de cette divulgation ?
Jacques Ravenne: quand j’ai commencé à en parler en 2005 il y a eu en effet un certain agacement, surtout de la part des Frères les plus âgés qui avaient connu la guerre ou avaient été initiés peu après. Pour eux, tout dévoilement était un risque. Je suis rentré en Maçonnerie à 33 ans au Grand Orient. D’autres Frères de ma loge se sont aussi dévoilés, comme Laurent Kupferman. Il faut dire qu’on nous a encouragés à le faire. À un moment, il y a eu la volonté des obédiences de s’ouvrir vers l’extérieur. Pendant dix ans on a fait des plateaux télé, des émissions de radio.
Aujourd’hui je ne suis pas sûr que cela ait été totalement utile. Certes cela a permis de mieux connaître la Maçonnerie. Mais plus nous nous dévoilons, plus les gens se méfient. Plus on lève le voile et plus certains disent : « en fait ils cachent vraiment quelque chose ». Aujourd’hui on peut se poser la question de l’utilité de ce genre de dévoilement.
2- Statue de Vlad Tepes
Est-ce votre passion pour l’ésotérisme qui vous a conduit vers la Franc-Maçonnerie, ou, à l’inverse, votre entrée en Maçonnerie a-t-elle développé cette passion ?
Jacques Ravenne: mon coauteur et moi nous nous sommes toujours passionnés pour l’ésotérisme. Nous étions au lycée ensemble à Toulouse. Quand on vit là, il y a le château de Montségur des Cathares à une heure de route, c’est très prégnant dans la culture locale, et il y a Rennes-le-Château à une heure et demie. Vous avez deux Mecques, ou deux Vaticans, de l’ésotérisme à portée de main. Nous avons même fait deux campagnes de fouilles à Rennes-le-Château lorsque nous avions 18 et 19 ans ! Résultat : rien, évidemment. Mais nous sommes nés véritablement dedans.
Mon rapport à la Franc-Maçonnerie n’est pas passé par l’ésotérique. Simplement à un certain moment de votre vie il y a une quête de sens. Ni les idéologies politiques ni les religions ne m’ont convaincu. Quand une personnalité estimée et estimable m’a proposé de rentrer en loge je me suis dit que c’était le moment. Ça fait maintenant 25 ans que j’y suis et je ne regrette pas mon choix.
Vous êtes dans une loge sociétale ou symboliste ?
Jacques Ravenne: le Grand Orient aborde les questions ésotériques mais on y a aussi la possibilité de penser le Monde et de voir nos idéaux à l’œuvre. Je suis dans une loge sociétale mais comme dans la plupart des loges du Grand Orient ou d’ailleurs la symbolique reprend force et vigueur. Les jeunes générations qui entrent sont demandeuses de symbolisme. La Maçonnerie est de plus en plus cernée par les théoriciens du complot, et on se rend compte que ce qui compte pour nous c’est d’abord l’initiation.
Ce qui nous sépare d’un think tank est simple : ceux-ci ont aggloméré des spécialistes qui sont plus capables que les Francs-Maçons de réfléchir sur un sujet sociétal. Nous avons moins à apporter aujourd’hui qu’il y a 20, 30 ou 40 ans. En revanche nous sommes une société initiatique, et cela nous différencie totalement d’un think tank. Je ne veux pas me faire l’interprète du Grand Orient, mais je pense que revenir à la base, à l’initiation, c’est le meilleur moyen d’agir positivement dans la société. Qu’est-ce que mon initiation m’apporte pour pouvoir penser le Monde ? Il faut se modifier soi-même avant de modifier le Monde.
La saga se déroule actuellement en août 1944, la fin de la guerre se rapproche. Il reste encore un épisode avant la fin?
Jacques Ravenne: non, il en restera 3. On en fera encore un en 1944, un en 1945. Et puis on s’intéresse beaucoup à ce que sont devenus les nazis après la guerre. Croire que cela s’est arrêté brusquement est une erreur historique. Certains nazis ont été récupérés par d’autres pays, et pas seulement en Amérique du Sud. On serait surpris de savoir combien de nazis se sont réfugiés au Caire ou à Bagdad ou en Syrie. Certains des dignitaires nazis les plus sanglants y sont morts dans les années 70/75 sans être inquiétés. L’épouvantable « savoir-faire » nazi y a été très recherché.
Par contre, les questions ésotériques ont été mises sous le boisseau. Les membres de l’Ahnenerbe ont été pour la plupart de véritables universitaires, mais ambitieux, qui n’ont pas voulu attendre que leur carrière universitaire se déroule lentement. Ils disposaient de grands moyens financiers. Cela peut paraître folklorique quand on parle des recherches au Tibet de Bruno Beger dans les années 30, mais quand ces recherches sont appliquées aux camps de la mort ce n’est plus anecdotique. À part les médecins, la plupart ont continué une carrière universitaire sans être inquiétés. Ce sont des centaines d’anciens de l’Ahnenerbe qui ont fait de belles carrières.
Comment faites-vous vos recherches historiques pour écrire vos romans ?
Jacques Ravenne: nous avons maintenant, Eric et moi, une grande habitude des recherches historiques, soit directes comme à Moscou, soit dans les archives numérisées. On trouve beaucoup d’idées intéressantes dans les recherches universitaires. Mais attention, le lecteur d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier. Celui d’aujourd’hui est un passionné, comme celui d’avant, mais en plus il dispose d’internet. Dès qu’il y a une description, une des premières choses que fait le lecteur est de vérifier si c’est vrai.
Parfois on a des surprises étonnantes, des intersignes, des synchronicités. Lors de mes premières descriptions du siège de l’Ahnenerbe, j’avais son adresse à Berlin mais pas de photos. Je possédais le plan de la ville dans les années 40 mais cela ne me disait pas à quoi ressemblait le bâtiment qui avait été détruit. On trouve des photos des rues adjacentes prises par les Anglais en 1945, et ces rues n’avaient pas été détruites par les bombardements. Nous décrivons donc un immeuble haussmannien semblable à ceux du quartier. Mais pendant l’écriture même du livre, la famille d’un soldat américain dépose à la Bibliothèque du Congrès six photos qu’il avait prises de l’Ahnenerbe. Sauf que c’était un palais blanc d’un étage, en bois, avec un grand parc derrière. Rien à voir avec la description que nous avions imaginée. Nous avons dû réécrire ces passages.
Qu’est-ce que la Fraternité de Saturne dont vous parlez dans le livre ?
Jacques Ravenne: elle a réellement existé. Elle fait partie de toutes ces petites sociétés secrètes qui ont vu le jour soit juste avant la Grande Guerre, soit juste après. On y faisait des recherches qui mêlaient ésotérisme et aryanisme. Elles étaient aussi le couvert de sociétés nationalistes. Certaines sont surprenantes, par exemple en prônant une écologie très radicale. D’autres veulent expulser les Juifs dès 1908/1910.
La plus connue est la Société Thulé qui a joué un rôle important dans la montée du nazisme. Pour bien comprendre les influences occultes de ces sociétés, et en conclusion, je rappelle qu’un de ses membres, Dietrich Eckart, proche d’Hitler et qui l’avait introduit dans la bourgeoisie allemande, a demandé de lire un texte à son enterrement en 1923. Dans ce texte on trouve une phrase qui peut résumer toute notre saga du Soleil Noir : « Hitler vous fera danser, mais c’est nous qui avons écrit la musique. ».
Le Graal du Diable, 469 pages, mai 2023, chez JC Lattès et dans toutes les bonnes librairies.