Le peintre Serge Helholc est en résidence à la Bloom Gallery à Valence en Espagne, qui expose ses dernières œuvres. Passionné de symbolisme, il a créé son propre jeu de tarot dans lequel il a mis toute sa créativité et le fruit de quarante années de recherches sur ce thème.

J’ai voulu que ces symboles soient extrêmement expressifs et qu’ils amènent une autre dimension par rapport à l’intuition utilisée pour le tirage de cartes traditionnelles. Je me suis inspiré de personnages qui sont bleus comme dans les peintures traditionnelles des dieux indiens, mais je les ai créés sous la forme d’un personnage de comics qui s’appelle Bidoule et qui m’a prêté son apparence pour la création de toutes ces images d’inspiration alchimique.

Serge Helholc, vous êtes le créateur de Bidoule ?

Oui, je l’ai créé en 1990 ; c’était un personnage dédié à l’enfance, il est sorti sous forme d’album chez Casterman en 1992. Il était comme un archétype de la belgitude, Il est sorti dans le livre qui s’intitule Tant qu’il y aura des Belges, livre qui avait été présenté alors au palais provincial du Brabant.

Ce personnage m’est apparu un jour que j’étais sur la plage, comme une vision, une évidence. J’ai commencé par le dessiner sur le sable, ensuite il est devenu cet ami qui partage ses aventures avec moi. C’est un joker, c’est un fou, une manière, à travers ce masque bleu, d’accentuer l’expression de son visage avec les trois pointes d’un bonnet imaginaire. Je trouvais que c’était bien pour un jeu de tarot de commencer par le Mat, par le Fou, qui régit l’art divinatoire.

Les sujets des différentes lames sont semblables à ceux des autres jeux de tarot, semblables aux lames traditionnelles, mais ils ont une expression et une scénographie qui est différente. Il y a les épées (les divers combats et les chemins, les directions que l’on prend), les deniers (matière et richesse), les bâtons (nature et créativité) et les coupes (générosité spirituelle).

C’est non seulement un jeu de divination mais aussi un jeu de société, que l’on jouait anciennement à certains moments comme le carnaval ou la Chandeleur, dans les cours entre le XIe et le XVe siècle. On s’amusait à changer de rôle. La dame pouvait devenir un chevalier, le roi devenait son fou, et ainsi de suite le temps d’une journée.

Mon travail, avant d’arriver à ce résultat, a consisté en 600 dessins en noir et blanc. J’ai fait une sélection et j’y ai rajouté les couleurs. Pendant cette expérience mon imagination qui voyageait m’a permis de mettre en place et d’interpréter une série de 28 personnages supplémentaires, 28 caractères qui sont des amis du personnage principal, Bidoule. Je ne les ai pas encore utilisés mais ils sont prêts pour en faire, par exemple, un album de bande-dessinée. Ces personnages apparaissent aussi dans ces peintures que j’expose.

Pour ne pas faire d’erreur dans ce cheminement symbolique il m’a fallu, pendant toutes ces années, que je vive au quotidien toujours avec une carte en tête, et que je me pose la question du sens de la vie à travers tous ces symboles. Cette démarche fait partie de moi, de ma créativité et de mon univers symbolique, de mon quotidien, dans lequel j’évolue et je travaille.

Avant d’avoir mon propre tarot j’ai expérimenté une quantité importante de jeux qui ont été créés. On n’en a pas toujours l’origine. Certains tarots importants comme celui de Montaigne, ou celui de Dali, ou encore celui de Jodorowsky, ont su garder une identité et une représentation du rituel qui est importante. Il y a un tarot en France, à Vichy, qui est gardé par un atelier maçonnique de la Grande Loge, et qui est celui de Oswald Wirth.

En quoi votre tarot est-il différent des autres tarots ?

Dans son illustration et dans l’élaboration de ses valeurs symboliques il est neuf, il sort des motifs traditionnels. Il permet à celui qui l’observe et va méditer dessus et s’en imprégner, de ne pas être influencé par des motifs classiques. Mais plutôt de plonger dans quelque chose de plus contemporain et qui l’oblige à faire un exercice nouveau. Le principe du tarot en soi est l’observation de tout ce que la carte va représenter. Ce qui est difficile c’est de n’oublier aucun des symboles. Mais en changeant les symboles on oblige l’observateur à faire cet exercice qui consiste à retrouver de nouveaux repères dans ces différents archétypes.

Cela élargit l’imagination, l’ouvre davantage et encourage le lecteur à développer sa propre perception. Après avoir travaillé sur un tarot académique pendant une quarantaine d’années, le fait de travailler sur mon propre tarot, ou le donner à travailler à d’autres lecteurs, m’oblige à élargir ma perception, au-delà de ce qui m’a été enseigné pendant toutes ces années. C’est un regard neuf qui oblige l’interprète à produire quelque chose qui soit plus proche de lui-même, plus authentique. C’est une nouvelle école du tarot.

En dehors de vous-même, Serge Helhols, y-a-t-il d’autres personnes qui l’utilisent déjà ?

J’ai fait une première édition de cinquante coffrets numérotés, des pièces uniques. Ces cinquante coffrets, ainsi qu’une soixantaine de jeux sont déjà dans les mains, soit de collectionneurs de tarots qui sont souvent des personnes qui pratiquent elles-mêmes le tarot, soit de tarologues professionnels. Dans l’étude de ce tarot il y a quelque chose de très particulier. Il va un peu plus loin car ces personnages qui sont un peu différents des personnages habituels, il a fallu que je leur donne un nouveau positionnement, une nouvelle existence au-delà des attributs traditionnels des arcanes. L’autre aspect qui est extrêmement important, c’est qu‘il y a une carte en plus que dans le tarot traditionnel.

Une carte en plus ? Est-ce que cela ne fausse pas le jeu ?

Cela ouvre le jeu à une dimension mathématique qui le change. Au lieu de travailler sur les 22 archétypes, qui sont vraisemblablement les 22 lettres de l’alphabet hébraïque, celui-ci en a 23. Non seulement par rapport aux lettres de l’alphabet hébraïque mais de tous les alphabets sacrés. La lettre qui vient en 23e position est un shin à 4 branches, au lieu de 3. Ce qui change la notion au niveau du tarot car cette lame que j’ai ajoutée c’est l’Au-delà. Dans le tarot traditionnel on traverse le Monde, mais pas l’Au-delà. Donc j’ai rajouté une dimension akashique à ce jeu qui permet le questionnement sur le passé et sur le futur dans sa représentation immatérielle.

Personne n’y avait songé avant ?

C’est après quarante ans de recherches que j’en suis arrivé là. Avant cela je n’avais pas conscience de la nuance entre le Monde lui-même, ce qui est créé, et l’Au-delà. Il a fallu que je me pose la question de la mort et de la renaissance pour que je puisse poser un geste artistique sur la notion d’Au-delà. Nous sommes bien sûr tous confronté à la mort par l’histoire même de nos sociétés, de nos civilisations, j’ai eu un certain nombre de confrontations à la mort dans ma vie. Cette expérience de présenter, de confronter un public de collectionneurs et d’artistes à cette exposition, est très enrichissante pour moi.

Pour le public c’est aussi l’occasion de découvrir le tarot et mon travail pictural, de prendre plaisir à y jouer avec des coffrets uniques que j’ai dessinés et peints. Ce sont les réceptacles, les petites boîtes sacrées dans lesquelles est gardé chaque fois un jeu de tarot. Il y a le jeu des matières, des couleurs, les représentations du plein, du vide.

On verra aussi dans cette exposition mes dernières peintures de grande taille. Le tarot est très présent, ainsi que les sujets inspirés par cette période de recherche. Je peux dire qu’il y a une approche spirituelle de mon travail dans cette exposition.

Retrouvez toutes les informations concernant l’exposition sur le site de la Bloom Gallery.

C/ Luis Oliag 17, 46004 Valencia, Espagne

Vernissage le 15 février 2024 à 19:30.


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